1256 - Carnets d'Indonésie, lettre à J.-M. (6)
[in memoriam J.-M.]
[Résumé : Après un second viol, désormais, arrivé, ou plutôt retourné, dans la nullité jakartanaise, il me semble comprendre l’angoissant vide d’intérêt de cette ville — une sorte d'un autre viol en mineur…]
27 [?] juillet 1987
Car, je me le demande bien, que vais-je faire ici toute une semaine ? De buildings en bidonvilles, dans l’immense désordre automobile, la laideur et la saleté, comment vais-je passer le temps ? Jacques et Myriam restent ici pour deux mariages, l’un le 31, l’autre le 2… Mais moi ? Qu’ai-je à faire ici ?
Pour l’heure, c’est le farniente, après un périple qui fut tout de même fatigant… En première lieu, à cause des distances, que l’on parcourt à pas de tortue.
En fait, la question cache d’autres questions, plus difficiles. Elle pose, en particulier, le problème de la relation à Jacques et Myriam. A Jacques, peut-être plus particulièrement. Il a tellement pré-mâché jusqu’ici le voyage pour moi que je n’ai rien encore avalé de vraiment cru. A dire vrai, cette protection virile — je ne peux l’appeler autrement eu égard à la manière dont je fantasme Jacques, peut-être du fait de son apparence physique — me plaisait, me plaît énormément. Mais, également, j’ai vécu avec lui d’un constant mal à l’aise. Car, en ma compagnie, Jacques est ombrageux. Nous ne nous parlons pas beaucoup, et je n’arrive pas à savoir ce qu’il pense. Les seuls sentiments qu’il ait laissé paraître n’étaient guère, en certaines occasions, que des moments d’impatience (cela m’amusait d’ailleurs de le voir ainsi silencieusement s’exaspérer, d’autant que je ne l’avais jamais vu ainsi) lors de certaines lenteurs indonésiennes, et, également, une impatience dissimulée mais assez nette à rentrer à Jakarta, non pour cette ville, qu’il déteste, mais pour Myriam sans doute — puisqu’il ne pouvait y avoir d’autres raisons à cette impatience… Mais rien de net ni de clair n’a été dit, ni de ses goûts ni de ses dégoûts.
Je me rends compte, également, que je ne me suis guère montré plus prolixe : à part mon enthousiasme pour la montagne et mon abandon momentané au Bromo, je n’ai rien non plus révélé de mes humeurs intérieures. Globalement, tout s’est passé sans heurts ni irritation de la part de l’un ou de l’autre ; mais j’ai l’impression gênante a posteriori d’un possible manque de passion pour le contenu de ce voyage… Ce manque de spontanéité a fini par devenir bloquant, au moins de mon côté.
Si bien que ? — J’hésite sur la conduite à tenir. Le mieux, je crois, serait de nous aérer — ou d’en parler —, ou de faire l’un et l’autre.
Mais j’exagère peut-être les faits. Je m’en veux, également, d’avoir trouvé agréable ma dépendance tant qu’a duré le voyage que nous venons de faire, et de la trouver pesante parce que nous sommes de retour ici.
Bref. A suivre — et à démêler. J’entrevois plusieurs solutions possibles, qui ressemblent à des choix à faire, chose toujours difficile, le choix “gidien”, dans son âpreté, m’étant assez ressemblant… !
(« à suivre » !)