1250 - Précoce vendange, vendange tardive (journaux parisiens parallèles) (1)
Précoce vendange,
vendange tardive
Journaux parisiens parallèles
(Journal extime)
Work in progress
1
J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Guillaume Apollinaire, Alcools, “Vendémiaire”
[J’apprends incidemment que du fait du réchauffement climatique les vendanges ont dorénavant lieu au début du mois de septembre.
Que penserait donc le poète de ce vendémiaire anticipé ?]
Jeudi 2 septembre 2021
Fin d’après-midi
Je pars de chez moi en avance, ayant dans l’esprit de boire un verre sur une terrasse près de la gare, d’autant que le temps s’est mis brusquement au beau (il risque même de faire trop chaud à Paris dans les jours à venir, si j’en crois la météorologie annoncée).
Marthe, Paul et T. sont attablés là.
Je les quitte une demi-heure ensuite. Je ne sais pourquoi T. a lancé la conversation sur la cohabitation entre le chien et les chats dans l'appartement de Paul et Marthe ; Marthe a développé cela avec luxe de détails — dont il est ressorti surtout qu’elle laisse les uns et l’autre faire, le chien chapardant la nourriture des chats —, et je me suis copieusement ennuyé — voire irrité qu’on puisse laisser les animaux prendre un tel empire dans sa vie quotidienne…
Un double contrôle à la gare a été mis en place : outre celui des billets, celui en tout premier lieu du “passe sanitaire”. Les gens sont massés sans ordre et — bien sûr ! — piétinent et cherchent à se déborder à droite comme à gauche sans observer la distance d’au moins un mètre préconisée sur le billet même.
Je fais montre d’une humeur de dogue et apostrophe mon contrôleur à propos de ce manque d’organisation.
Installé dans le wagon, je subis la conversation téléphonique de ma voisine et ne peux empêcher une réflexion acide. Cela produira toutefois un résultat heureux puisqu’elle changera de place, me laissant seul à ces lignes-ci (le stylo est dans la sacoche, elle-même dans la valise, et je dois allumer l’ordinateur).
Je produis d’ailleurs moi-même un incident involontaire en voulant me mettre de la musique sous le casque et me couper ainsi de toute intrusion intempestive (je sais les annonces nombreuses dans le train, spécifiant toutes sortes de détails inutiles) : en fait, je n’ai pas connecté le “bluetooth” ; or, c’est le téléphone qui, par son haut-parleur, crache assez peu musicalement le Concerto pour un ange d'Alban Berg ; je surprends le regard offusqué de deux autres passagers — et comprends enfin que c'est moi le fauteur de trouble qui dérange son entourage !
Je reçois un message de Pascal qui m’avertit de me munir d’une multiprise lorsque je viendrai le lendemain, celle de la cuisine ne fonctionnant plus, après que W. le lui a signalé lors d’un séjour dans leur appartement.
Je lui réponds que, précisément, je suis déjà parti et dans le TGV !
Soir
J’achète deux plats indiens à la Gare de l’Est pour un dîner improvisé.
3 septembre
Matin
Judith me prévient qu’elle sera, comme à l’accoutumée, en retard. Moi-même m’étais trompé de ligne de métro, avais rebroussé chemin et m’étais pressé pour être à l’heure. Elle arrive vingt minutes plus tard.
Si j’avais vu à Copenhague des toiles de Vilhelm Hammershøi, je ne suis pas certain d’en avoir remarqué de ce peintre dont le nom — Peder Severin Krøyer — m’était totalement inconnu avant de visiter l’exposition l’Heure bleue qui lui est consacrée au Musée Marmottan.
Un bel autoportrait, puis un très bel autoportrait double (sa femme, elle-même peintre, et lui s’étant représentés chacun sur un même tableau) ouvrent une première galerie de tableaux.
Marie Krøyer et Peder Severin Krøyer, Double portrait de Marie et Peder Severin Krøyer, 1890, Huile sur toile, Skagen, Skagens Künstmuseer
La peinture est assez souvent d’ailleurs le sujet des toiles, elle et d’autres artistes peignant devant la mer, celle-ci représentée dans des cadrages parfois insolites qui invitent à reconsidérer l’espace.
Peder Severin Krøyer, Oscar Björck peignant à Skagen, Huile sur toile, Skagen, Skagens Kunstmuseer
Peder Severin Krøyer, Oscar Björck peignant dans le jardin des Brøndum,1884, Huile sur bois, Skagen, Skagens Kunstmuseer
Peder Severin Krøyer, Marie Krøyer peignant sur la plage, 1889, Huile sur bois, Skagen, Skagens Kunstmuseer
Peder Severin Krøyer, Tempête sur la mer, 1882, Huile sur carton sur toile, Skagen, Skagens Kunstmuseer
Un tableau donne son nom à son exposition, la lumière crépusculaire et bleutée devenant, de fait, à mesure que se constitue l’œuvre, la manière comme la matière du peintre.
Peder Severin Krøyer, la Plage de Skagen au clair de lune, 1899, Huile sur panneau, Copenhague, Skatens Museum for Kunst
Certains tableaux relevant de scènes pittoresques — cela se sent, cela se voit — ont été peints afin d’être exposés dans les salons parisiens,
Peder Severin Krøyer, Départ des bateaux de pêche après le coucher du soleil, Skagen, Huile sur toile, Aarhus, ARoS Aarhus Kunstmuseum
l’artiste ayant vécu dans la capitale de la peinture alors ;
Peder Severin Krøyer, le Déjeuner des artistes à Cernay dit aussi Un déjeuner d'artistes à l'hôtel Léopold de Cernay-la-Ville, 1879, Huile sur bois, Skagen, Skagens Kunstmuseer
mais, n’y étant pas demeuré, il acquiert davantage d’originalité, de personnalité, de sincérité — même si ses portraits peuvent paraître conventionnels quelquefois — dans les toiles de la maturité.
— Et j’emporte en esprit l’ineffable expression réjouie de ce petit garçon sortant nu de sa baignade, dans cette heure bleue, crépusculaire, pourtant estivale et solaire, résumant (d'autant qu'elle est la préquelle symétrique du tableau de 1908) toute une peinture heureuse.
Peder Severin Krøyer, Garçons se baignant un d'été sur la plage de Skagen, 1899, Huile sur toile, Copenhague, Skatens Museum fort Kunst
* * *
Au sous-sol, devant les toiles de Monet, par-delà des redites,
je m’essaie à corriger la luminosité de l’appareil photographique pour la rapprocher de celle de certaines toiles de Monet, et j’ai la satisfaction d’y parvenir à peu près.
De même, je produis un effet approchant ce tableau de Gauguin exposé parmi les meubles du rez-de-chaussée que nous parcourons, avant que Judith ne pratique de larges coupes claires au premier étage du pavillon et que nous nous en allions.
Après-midi
Après l’avoir un peu cherché, nous déjeunons non loin de la Place de la Muette dans un restaurant libanais dans lequel nous étions déjà allés auparavant.
Judith me demande comment va mon père après le décès de ma mère.
En retour, après avoir développé ce que je peux appréhender d'un deuil plutôt taciturne, je lui demande comment se portent N. et les enfants : la situation ressemble d’assez près à ce qu’elle était en juin lors de mon dernier passage, à ceci près qu’elle s’est aggravée. Ainsi Lucien a appris à la rentrée devoir, pour son école d’ingénieur du son, sacrifier à un stage en alternance — tombait-il vraiment des nues ? je n’en suis pas persuadé —, et, tandis que les autres s’étaient démenés pendant l’été pour se trouver une entreprise, il cède à une indolence de mauvais augure, ayant repris son rythme de lever tardif, en début d’après-midi…
Ce qui est également nouveau, c’est que Flore s’interpose, tout en prenant sa défense, entre ses parents et lui.
Pour sa part, elle n’a pas cherché à faire valoir des équivalences après son année d’hypokhâgne, n’est pas parvenue à s’inscrire en psychologie, choisissant Histoire par défaut — mais ne compte en aucun cas suivre les cours.
Lui, est presque anorexique.
N. s’accuse d’avoir été un mauvais père. Il a eu une crise de larmes au beau milieu d’une nuit précédente, pleurs que Judith a énergiquement calmés : il suffit d’un dépressif à la maison, lui ne l’est pas, et devrait faire face.
Judith se débat encore et toujours avec son petit pavillon investi de rats ou de souris — et je me dis rétrospectivement que j’ai bien fait de pas me laisser persuader d’une affaire immobilière mirobolante dont elle et moi serions a présent bien embarrassés.
Je raconte les premiers agacements envers le jeune Erwan, qui, jusqu’à preuve du contraire, abrite une jeune fille sur son (notre !) toit, ce qui veut dire logiquement deux fois plus de nuisances sonores, voire davantage parce que ce petit couple (si c’est en un) est pris de bavardages (lui, surtout) à n’en plus finir…
J’espère que ce n’est que provisoire car, l’aurais-je su auparavant que j’aurais refusé tout net une cohabitation dans un appartement si petit. Et je jugerais malhonnête de constater que le jeune homme ait loué le bail en toute connaissance de cause.
Judith me répond qu’à cela, malheureusement, il n’existe pas vraiment de recours.
Je grimace à pareille pensée.
Gros et petits enquiquinements occupent ainsi le terrain de nos causeries. Heureusement, la matière s’en trouve déblayée, et nous en serons quittes pour les prochains jours… (Je remets au plus tard les révélations familiales dont ma sœur m’a fait part une semaine [?] auparavant…)
Le déjeuner terminé, nous prenons ensemble le métro, elle pour rentrer chez elle, moi, changeant deux fois de ligne, pour me rendre au musée Rodin.
-=-=-=-=-=-
Samedi 16 octobre 2021
Parmi les /ch/ à penser avt mon départ, j’ai oublié le + important (p-ê !) mettre sur 1 clé USB les photos de l’appart — afin de passer 1 annonce
J’étais content de moi pourtant. J’avais m recousu 1 bouton à ma veste d’hiver (en cas d'automne !) — et reprisé un pullover (ma sœur m’a rapporté que je reprisais mes chau7, ce dont j’avais pas le moindre souvenir !) Valise et sac pleins à craquer.
Avant de partir [ajout] Je prends le verre rituel & me fais servir par Dimitri himself [souligné].
[Ajouté :] Installé dans le TVG, j’envoie un msg à B. avec l’espoir qu’elle précisera les modalités de notre soirée du lendemain (et l’espoir aussi qu’elle m’invitera à dîner !). Las, elle remet /au matin suivant/ [une réponse plus précise]
Je passe le trajet sous le casque, tout en lisant [: j]e suis désormais bcp + endurant, m si je me ménage quelques pauses.
[Ajout : Enchifrené. Masque apparaît d’autant + désagréable !]
A la Gare de l’Est, je m’emmêle entre mes ≠ cartes de métro et renonce à faire la queue et marche jusqu’à la station Jacques Bonsergent. Le guichetier ironise sur les 4 cartes que je lui présente. Je ne prends conscience de la confusion [inachevé]
Voisins [ajout : du rez-de-chaussée de l’immeuble en face] bruyants. J’augure assez mal de la nuit à venir.
[à ajouter : envahissement du matériel, jusqu’à l’agacement (en moi, alors j’imagine le lecteur !) : mais qu’ai-je à penser dorénavant, libéré des obligations prof, sinon cela, + les soucis de la santé
Je voyage sans voisin de siège. Quel luxe ! D’autant que le jeune h installé en face à côté d’un barbon qui tient à tt prix à lui faire la causette a dû souffrir de pareille incontinence verbale !)]
[à ajouter : Gare de l’Est, j’emporte un dîner indien, épicé à souhaiter, pour les délices de mes papilles…]
17 octobre
Après-midi
Musée J-André avec J et N. Botticelli. Espace saturé (idéal à la propagation du coronavirus). Cette évidence des chefs d’œ, qui coupe court à toute velléité de commentaires.
Allons à la dérive par la suite avant de trouver un lieu où nous poser
N tjs aussi peu réservé. Ns a tt de m accompagnés — à l’expo en amont, ds ce café-salon de thé en aval.
Judith, co d’ordinaire, domine les échanges. Je la seconde autant q je le peux.
Il est bientôt 16 h.
J’appelle B., afin de lui fixer 1 rdz-vs. Nous convenons de ns retrouver à 17 h.
Passons salle Gaveau p. [que] N. réserve des places de concert.