1255 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie… (15)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si tant est que ce ne soit (toujours) pas

une maladie

Carnets d'un rescapé

(Journal extime)

Work in progress

 

15

 

Nuit du 27 au 28 octobre 2020

J’ai vraiment très mal dormi.

 

28 octobre

Neil veut se déchausser, Neil veut débarrasser la table, Neil veut faire la vaisselle. Il adore le lapin. Entre autres détails, Neil est l’invité parfait.

Il arrête son attention sur l’horloge de parquet Louis XV dans les escaliers qui montent à l’étage. C’est rare, assez étrangement d’ailleurs, qu’on la remarque.

Il a apporté une bouteille de Faugères, achetée chez un caviste non loin de chez lui. Il en prend un verre au moment de l’apéritif. En ouverture, la conversation porte sur les rumeurs de “reconfinement”. Il vit dans l’appréhension d’une récidive : au printemps dernier, il n’a pas supporté l’enfermement continuel chez soi. Il espère pouvoir au moins aller et venir pour son travail.

 

Qu’ai-je appris au cours des deux heures passées en sa compagnie ? L'arrière-grand-père de ce Franco-Tunisien était un Russe blanc que sa femme a poussé à l’exil en 1905. Il était peintre et a vécu dans le Montparnasse de l’époque. Mais, aussi curieux que cela paraisse, Neil ne s’est préoccupé de cet aïeul que récemment, n’appréciant guère l’art moderne auparavant. Il a découvert la peinture d’Otto Freundlich en visitant, lui aussi, l’exposition du musée Montmartre.

Il m’interroge sur la genèse de mon goût pour l’art. Il se dit surtout sensible à la musique, du fait de ses parents, son père étant un bon chanteur (dans une chorale). Il me demande si j’aime la musique et en écoute. Je précise. Au vrai, la peinture, secondaire naguère, a supplanté toutes ces dernières années la musique — depuis, en fait, qu’au fil du temps j’ai éduqué mon œil dans les musées.

Il a deux enfants. L’aînée a vingt-et-un an. L’écart entre le fils et la fille est de quatorze mois. Il ne souffle mot de la mère.

Nous parlons un peu de cinéma — mais (et l’on pourrait s’en étonner) pas de littérature.

Nous nous accordons à faire l’éloge d’Amélie et d’Elvire. J’évoque un peu T., venu depuis peu parmi eux, et leur soutien.

Last but not least : quand il avait vingt ans, il écoutait Barbara et Jeanne Moreau.

1255 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas  une maladie… (15)

— Au fait, quel âge a Neil ?

 

Après-midi

J’ai rendez-vous chez le médecin. Cette fois, c’est lui qui, au prix de beaucoup de difficultés, remplit mon arrêt de travail.

Je prends ensuite un bière dans le café ou travaille Dimitri. J’écris là les lignes concernant Neil. Je pense alors que c’est la dernière fois avant longtemps où nous pourrons boire un verre.

 

Soir

Car, de bien entendu, on nous l’annonce, nous serons “reconfinés” (encore un vocable inusité auparavant, qui paraît un barbarisme tout adapté au procédé moyenâgeux qu’il recouvre…).

 

29 octobre

Matin

Je me lève vaguement déprimé à l’approche des prochains jours.

Cours chez Simone. Nous prenons ensuite un café. Simone a proposé que nous poursuivions les cours pendant le confinement. Simone, à ce propos, me dit que B. pourrait assez mal supporter de ne pas pouvoir danser durant le tunnel de jours obscurs qui se referment sur nous.

 

 

Après-midi

Je déjeune avec mon père, qui m’a invité à déjeuner : il a envie d’une andouillette avant que ce ne soit plus possible.

J’apprends plus de détails sur l’attentat de Nice.

Nous visitons ma mère ensuite. Nous apprenons alors l’obligation de nous inscrire à partir de lundi pour aller la voir. Comme le lundi a été pris d’assaut, nous ne pouvons revenir avant mercredi. Je sens mon père défait.

Ma mère, de retour de la salle où l’on lui a servi un « goûter », est installée dans un fauteuil [? — en fait, j’ai écrit : dans un fauteuil du fauteuil, tant et si bien que je ne sais plus que ce que j’ai voulu dire… — peut-être : fauteuil roulant ?].

[Une conversation [?] s’engage avec les aides-soignants] : la mesure prise concerne la totalité de l’institution, et les visites ne seront permises que l’une après l’autre, et ce, à raison d’une demi-heure.

Mon père s’ouvre du fait à ma mère, qui paraît comprendre que quelque chose de singulier est en train de se produite. Je ne suis pas certain qu’il faille expliquer ce qui se passe, mais suppose que le lui exposer contribue à le soulager, lui.

Après qu’il l’a accompagnée pour une marche dans le couloir — qu’elle a acceptée sans trop regimber —, l’heure est presque écoulée. Il l’aide à se recoucher. Entre-temps, il a profité de leur déambulation pour compter le nombre de chambres occupées (quatorze, je crois).

Précisément, nous sommes informés à l’accueil des nouvelles dispositions concernant les horaires et les visites : sept, en vérité, durant l’après-midi, s’étalant entre 13 heures 30 et 16 heures 30. J’incite mon père à prendre un autre rendez-vous pour le jeudi.

Dans la voiture, je tente, assez mal je le crains, de dédramatiser la situation : il pourra sans doute agir au coup par coup… Je demande à descendre en chemin, puisque un rendez-vous a été pris pour un dernier verre avec Marthe, Paul et T.

Nous sommes évidemment très malheureux de devoir envisager de ne plus voir avant longtemps. T. a proposé que nous allions le soir au restaurant. Je ne suis pas très content que Paul — il semble qu’ils aient débrouillé la situation entre eux, en se téléphonant préalablement — ait choisi de dîner dans une pizzeria (cette pizzeria où je m’étais promis récemment de ne pas revenir).

T. dit s’être senti fiévreux après s’être ravitaillé dans la perspective du confinement. Il a pris sa température — et constaté une légère fièvre. Nous nous inquiétons du fait, en doutant qu’un surplus d’activité ait occasionné les 38° relevés (je me souviens, néanmoins, que cela m’était arrivé, sans retrouver à quel moment précis).

La conversation suit son cours, perturbée par les perspectives dans lesquelles on nous tient. Marthe laisse tomber que nous ne nous verrons pas de sitôt, que nous serons peut-être morts auparavant, faisant éclater son désarroi — et nous restons désorientés un bref instant, sans que nous trouvions de parole lénifiante à lui opposer.

Marthe livre des détails concernant l’attentat de Nice.

Nous décidons d’anticiper l’heure du restaurant. Paul, T. et moi partons de notre côté, pendant que Marthe, piètre marcheuse (elle nous a dit à ce propos que les séances chez la kinésithérapeute, malgré le confinement, se poursuivraient), nous rejoindra en voiture.

S’il n’était pas là auparavant, Dimitri est arrivé, pour prendre son service. Il sert en terrasse lorsque je lui fais mes adieux, muets — puisque à distance (et regrettant de ne pas avoir pu les verbaliser).

 

Soir

Le patron de la pizzeria nous remercie d’être allé manger chez lui pour notre soirée avant confinement. Il est sympathique, et je lui dis « A l’année prochaine ! » — parole qui le désarme un instant. Marthe et Paul commandent, non sans une certaine ironie, une pizza intitulée sur la carte « pizza du déconfinement »

Le saumon que l’on me sert — j’ai évité la pizza — est médiocre, trop salé en surface, quand les légumes le sont trop peu.

Si nous sommes contents d’être ensemble, chacun rumine à part soi sa prochaine disgrâce…

 

Nous nous séparons à 20 heures 30, poursuivant quelque peu notre causerie — en émettant notamment la promesse de nous téléphoner régulièrement. J’ai déjà dit que chacun pouvait passer chez moi à tout moment, où nous pouvons nous réunir en journée.

Nous cheminons quelque peu, T. et moi. Il me dit que nous pourrions organiser quelques « rencontres surprise » — et, puisque je ne sais s’il viendra chez moi, propose de me rendre chez lui, en revanche. Il élude un peu. Il n’importe, la chose est dite. Il argue qu’il sera moins disponible peut-être que lors du “premier confinement” puisque devant en principe travailler. Il ajoute que je devrai raréfier mes appels téléphoniques : encore quelque chose qu’on doit tenir pour dit.

 

La file des voitures est impressionnante à l’heure du couvre-feu.

 

 

 

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