1261 - Si tant est que ce ne soit (toujours) pas une maladie… (18)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si tant est que ce ne soit (toujours) pas

une maladie

Carnets d'un rescapé

(Journal extime)

Work in progress

 

18

 

 

Dimanche 8 novembre 2020

Le citron que je veux presser, en partie moisi, me reste entre les doigts. Je sors en acheter un autre. La circulation automobile est presque inexistante en ce dimanche de “reconfinement”.

J’ai invité ma sœur et mon père. J’apprends, au cours de la conversation, que ma sœur et moi faisons toujours nos comptes, tandis que nos parents ont très tôt cessé de le faire, telle une hérédité non transmise. Mon père, lui, comme je raconte être tombé dans les escaliers de l’immeuble l’avant-veille, impute l’incident à ma façon de marcher : selon ma mère, lui comme moi, et comme les ascendants mâles du côté paternel, attaqueraient le sol par les talons. Je rappelle que l’on m’a dit déjà — était Khadija ? était-ce Simone ? — que ma démarche était la même que celle de mon père.

Ils repartent assez tard. Je me livre à une sieste. Je ne serai finalement pas sorti de la journée. D’ailleurs, le temps ne s’y prête guère.

Le soir, je regarde le début de Rio Lobo. Les femmes qui jouent dans le film paraissent anachroniques : leur « émancipation » — toute relative — est celle des années soixante-dix. Sans doute est-ce la chevelure lâchée qui trahit le plus ce point de vue revisité.

 

Lundi 9

Je m’amuse de ce que l’orthophoniste soit si longue en jambes. Cela se voit surtout quand elle porte un pantalon. Elle soutient que j’ai accompli des progrès. Ceux-ci ne me paraissent pas si évidents que les difficultés qui subsistent.

Il fait beau. Je sors, alors que la femme de ménage s’affaire.

Je le constate : les appels téléphoniques sont bien moindres que durant le premier confinement.

J’entends, le soir, l’annonce d’un prétendu vaccin aux résultats plus ou moins miraculeux. J’incline au scepticisme.

Je regarde, après un documentaire sur John Wayne, la moitié du film Transit de Christian Petzold. La voix qui double (la version originale est inaccessible) Franz Rogowski me semble familière. Ce n’est que le lendemain, en regardant la seconde moitié, que j’apprends que c’est celle de Grégoire Leprince-Ringuet.

Le voisin, toujours aussi prolixe, m’indispose.

Je continue d’avancer très lentement dans ma lecture de le Château de Franz Kafka.

Dessin de Franz Kafka exposé à Berlin lors de l'exposition qui lui est consacrée à l'Académie des arts de Berlin en 1966.

Dessin de Franz Kafka exposé à Berlin lors de l'exposition qui lui est consacrée à l'Académie des arts de Berlin en 1966.

 

Mardi 10

Je reçois un appel téléphonique du service de neurologie concernant l’analyse de mes cycles de sommeil : mon rendez-vous est « déprogrammé » (en raison de l’épidémie de coronavirus très certainement).

J’annule auprès de l’orthophoniste mon rendez-vous de jeudi pour pouvoir déjeuner en compagnie de Christine, qui a demandé de décaler d’un jour le moment où nous devions d’abord nous voir.

L’orthophoniste, avant des exercices de prononciation, propose des tâches qui me rappellent ceux du neuropsychologuepuisqu’elle a pris connaissance de son rapport entre-temps.

 

11 novembre [?]

Nous passons une heure et demie ensemble, Paul, Marthe, T. et moi au Parc S***. La parole est y plus contrainte que d’ordinaire, et, si nous avons plaisir à nous voir, les plaisanteries ne fusent guère. — Et nous parlons beaucoup de ce virus qui empêche nos existences de se laisser libre cours.

Marthe se plaint de douleurs durant la marche, les séances avec la kinésithérapeute s’étant réduites à un rendez-vous hebdomadaire.

Des enfants jouent dans l’aire qui leur est dédiée ; on se rencontre entre adultes, on converse sur les bancs ; ce serait comme des jours ordinairement tranquilles — d’autant qu’il ne fait pas froid.

T. me raccompagne jusqu’à la sortie du parc et nous convenons de nous voir vendredi.

Je découvre, en rentrant, que W. m’a appelé la veille. Or, alors que je m’apprête à le faire, elle me rappelle. Cela me fait très plaisir de bavarder avec elle. Nous ne nous sommes guère vus ces dernières années, mais une complicité vieille de presque quarante ans demeure. Celle-ci s’est construire à mesure, et la part inchangée en nous y trouve ses repères ; la connaissance que nous avons l’un de l’autre, intuitive, se joue de ce qui pourrait être impermanent. W. est à la retraite, tandis que son compagnon, plus jeune qu’elle, travaille encore. Elle vit à la campagne et peut donc se promener sans être inquiétée des restrictions d’heure — mais l’est-on véritablement en ville, où je n’ai jamais été contrôlé ?

Elle m’explique qu’elle aurait aimé profiter de son loisir pour reprendre le saxophone ; mais elle est appareillée « comme une ado » du fait de soins d’orthodontie et juge malaisé le heurt de la ferraille contre le bec de l’instrument. Nous nous promettons de nous voir dès que nous le pourrons. Nous sommes, à l’évidence, sincères, au moment nous nous disons cela…

Alors que je téléphone avec le portable à Christine, mon père m’appelle sur le téléphone fixe. J’écourte la conversation afin de pouvoir le rappeler. Il ronge comme il le peut son frein en attendant de voir ma mère. Je le constate : lui, volontiers plutôt taciturne, est devenu disert, et, si je m’irrite à part moi de nombreuses redites dans ses paroles, je prends ce mal bénin en patience, anticipant ou complétant, malgré moi et malgré tout — ce qui peut l’agacer aussi — certains de ses propos…

Je rappelle Christine ensuite, qui paraît tout heureuse de ce que j’aie pu composer avec l’orthophoniste. Sa visite d’inspection s’est bien déroulée, et elle se montre très contente — ce dont j’avais pourtant douté du fait qu’elle ne m’avait contacté que tardivement — de me voir le lendemain.

 

12 novembre

Je déjeune [donc] avec Christine. Elle éprouve à ce qu’elle fait beaucoup de joie.

Ce disant, le débit est précipité, les paroles, tout électriques. Elle m’explique — cela en doit être la raison — qu’elle ne dort que très peu (quatre heures par nuit, spécifie-t-elle). L’inspection s’est fort bien passée, ses élèves mettant leur point d’honneur à faire montre de discipline et de participation.

Elle répète à loisir le plaisir qu’elle trouve à me voir. Je m’aperçois que j’ai fait préchauffer le four alors qu’une heure plus tôt j’y avais déposé le fromage : celui-ci s’étant irrémédiablement transformé en une flaque grasse et molle. Cependant, Christine se montre en tous points une invitée facile, puisqu’elle trouve bon tout ce qu’elle mange.

Je lui propose des coupes à glace et des verres. J’ai également mis de côté des livres qui pourraient lui être utiles. Je l’aide ensuite à transporter le tout dans sa voiture.

 

J’invite mon père à venir déjeuner le lendemain. Puis je fais des courses d’appoint, occasion de marcher quelque peu.

 

 

 

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