1272 - De l'Âge - Pascal Quignard, Une journée de bonheur, pp. 80-81
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de Pascal Quignard, Une journée de bonheur, Arléa, 2017, pp. 80-81 :
Qu'est-ce qu'un jour ?
[…] A la brune on n’ose pas faire grincer la grille en la refermant sur le chemin de halage.
On n’ose pas faire claquer le volet de bois qu’on clôt.
On n’ose pas faire reposer bruyamment l’arrosoir sur la dalle de ciment au-dessous du robinet du jardin.
C’est le silence qui, dans le crépuscule, appelle, dans l’atmosphère, la disparition de la lumière.
C’est le silence qui, d’abord, prépare la montée de la nuit et, ensuite, la reçoit.
C’est le silence qui, dans le grand crépuscule de l’automne, entraîne l’immobilité des animaux, le départ des oiseaux, la rétraction des corps sous les manteaux et les laines, la congélation de l’eau dans les glaces de l’hiver.
J’évoque sans doute ce que l’âge est à la mort en sorte de le nommer hiver.
Dans le corps l’âge ne fuit pas la mort mais lui accorde doucement l’entrée où une lenteur l’appelle puis l’attire.
Tout ne s’entend plus très bien et tout ne se voit plus si nettement.
C’est ainsi que l’âge accueille la mort où tout se tait,
où la beauté s’augmente du lointain,
où tout se pleure.
La lumière n’est que l’habit de Dieu.
Parfois Dieu se dénude.
Alors Dieu est vraiment lui-même : il cesse d’être lumière. Il quitte son visage de nuit (Dies). En cessant d’être jour, il cesse d’être Dieu. Alors nous, les chats, les athées, les oiseaux, on plonge notre visage sous le velours de notre patte, on recouvre notre bec sous l’aile lisse et duveteuse, on encapuchonne notre nez sous nos doigts repliés – on se fait un tout petit toit sous le bout de bras où nos phalanges se sont refermées – et on dort.