1279 - Vocable maternel (pensée nocturne du 16 décembre)
T. me fait remarquer l’usage que j’ai fait à plusieurs reprises de la locution « de la secousse », me raillant gentiment de ce qu’elle est fort proche en vérité de l’expression « du coup » : il sait bien que cette dernière, surnuméraire dans la phraséologie contemporaine, m’agace beaucoup.
Pourtant, dans ce lotharingisme familier, je vois une raison d’emploi spécifique : « du coup », en effet, est bien trop court, caricatural, violent et sans nuance ni subtilité, à l’instar de la cause (toujours discutable) qu’il voudrait attribuer au « branle universel ».
Or, une cause n’est pas une causalité — ce qu’attesterait la traduction linguistique volumineuse en mots, syllabes et lettres que l’on lit ou entend dans « de la secousse ». Ainsi le génie de la langue (quand bien même il s'agirait de la langue populaire, au vrai plus active et vivace dans l'oralité) tendrait à rendre compte d’une chaîne plus hasardeuse, partant, plus complexe dans ses effets, laquelle déclencherait la sorte d’« effet papillon » sans gravité d’un cahot sans commune mesure avec un chaos — fût-il conque, ou quelconque.
Je m’amuse — c’est entendu… Mais je pourrais soutenir au fond que « du coup » et « de la secousse » relèvent dans la pensée de deux emplois très différents.
Je m’avise surtout tout à coup que « de la secousse » appartenait (appartient encore, par filiation !) au vocabulaire de ma mère. Vocable maternel, je n’ai jamais entendu cette expression proférée (je m’amuse toujours…) de la bouche de mon père.
Mais n’est-ce pas ma mère — ainsi que j’ai déjà dû le dire — qui, cahin-caha, m’a appris à parler ?
* * *
Et si je ne pense guère à elle, à sa mort — contrairement à J.-M. et à la mort de J.-M. —, je m’avise aussi que des formulations en moi me viennent, qui étaient les siennes.
(Ce sont d’ailleurs des phrases arrachées aux masses épaisses de la nuit — comme au magma maternel… terra magna… alma mater… — autres vocables qui me viennent à l’esprit… ?)