1306 - Si bien que… ? (7)

Si bien que… ?

(Journal extime)

Work in progress

7

13 mai [suite]

Vu un téléfilm (Baisers volés, de Didier Bivel) [5 mai], qui, plutôt convenu pour une large part dans son propos comme dans son argument initial, a fini par m’intéresser.

Si, pour les besoins du scénario, les réactions des personnages semblent souvent outrées, les unes et les autres, soit dans le rejet, soit dans l’acceptation, elles demeurent réalistes. L’âge des protagonistes — seize ans — est sans doute tardif (il s’agit d’élèves de seconde). Je me souviens, en effet, avoir été en butte à mes petits camarades bien plus tôt, dès la cinquième et en classe de quatrième et troisième surtout — à partir du moment où mes parents se sont venus s’installer à L****, et que, après l’avoir été dans des établissements toujours mixtes, j’ai été scolarisé dans un lycée de garçons, dont les mœurs, pour le moins différentes, ne laissaient pas de m’interloquer. Ils jetaient leur dévolu sournois et brusque sur mon entrejambe en piaulant « sexe ! sexe !! sexe !! », non sans changer de cible (c'est-à-dire de personne) à qui mieux mieux, et paraissaient en tirer un plaisir dont je ne voyais pas l’intérêt…

Le pire de ce que j’avais à subir avait lieu durant les heures de sport. Du fait de l’absence de l’enseignant censé nous surveiller — ce professeur avait la réputation d’être alcoolique et devait, après nous avoir laissés à nous-mêmes, s’adonner à la boisson dans le bureau attenant au gymnase —, tandis que d’autres jouaient les indifférents et feignaient de n’en rien voir, certains, assez nombreux pour s’encourager mutuellement, m’abreuvaient d’insultes auxquelles je n’entendais rien, me molestant à coups de poing. Je me prostrais pour éviter le plus possible les coups. (C’est ce même repli, cette même posture que j’ai adoptée lorsque, le jour des élections législatives de 1978, nous avons été agressés par des activistes d’extrême-droite, J.-L. et moi.) Je m’émettais pas un cri, je ne protestais pas, j’attendais que la pluie de coups cesse.

(Je ne me défendais pas ? Outre que ce n’est pas dans ma “nature” [si tel est le juste terme], comment l’aurais-je pu ? J’étais accablé de mon impuissance et, je le pressentais peut-être, par tant de bêtise. J’attendais sans doute de prendre mon envol — et d’avoir raison, même en silence, même à mes yeux seuls… — Et tout le reste m’échappe, bien évidemment !)

Ce sont donc mes “petits camarades” du collège qui m’ont instruit, bien avant moi, d’une orientation sexuelle dont je n’avais, pour lors, qu’une idée confuse, voire pas du tout encore d’idée…

Il en a été beaucoup mieux pour moi, cependant, à partir — précisément — de mon année de seconde. L’orientation en classe littéraire a dû jouer : j’ai réussi sur ma route à semer en quelque manière mes tortionnaires, qui, si les uns n’ont pas suivi « la voie royale » des études scientifiques, pour les autres ont dû quitter l’établissement… M’a aussi sauvé et délivré de mes poursuivants l’amitié — celle de J.-P., celle de Didier. Moqueries et quolibets sont devenus de plus en plus rares, et leur décrue m’a rendu l’existence d’autant plus plaisante que je me suis épanoui dans des études qui ont pris bien plus de sens pour moi qu’auparavant…

Une scène du téléfilm m’a fait fortement songer à ce que j’ai moi-même vécu — celle où le protagoniste est rejoint par mon ami dans sa chambre A ceci que j’ai froidement mis mes parents devant le fait accompli : mon père traversait sur la pointe des pieds la chambre d’amis où nous étions couchés, J.-L. et moi, afin de cueillir une cravate dans l’armoire avant d’aller travailler… Notre nudité sous nos draps, pensais-je, devait être alors plus parlante que les mots…

*  *  *

[Regardé une seconde fois il y a quelques semaines, le téléfilm de Didier Bivel, qui m’a bien davantage plu que la première fois. Le jeu de Bérenger Anceaux, qui incarne Nathan, tout en sensibilité et nuance, y est pour beaucoup.]