1328 - Mars à Paris (3)
Mars à PARIS/ MARCH in Paris
[Journal extime, 15-22 mars 2022]
Work in progress
3
16 mars 2022 [suite]
Après-midi
L’après-midi, en route vers l’exposition Pionnières : Artistes dans le Paris des années folles, je fais ma station obligée à Saint-Sulpice devant les fresques de Delacroix. (Je me souviens que N***, après que nous étions allés au musée du Luxembourg voir l'exposition consacrée au Tintoret, avait refusé de les voir au prétexte de trop de bondieuseries, ce qui m’avait désarçonné un instant.)
A mon grand étonnement, je croise — je suis certain que c’est lui — Monsieur B***, professeur de latin à l’Université de ****, de sinistre mémoire parmi son voisinage, me dira Claude le lendemain quand j’évoquerai cette rencontre.
Puis je croise cette fois des fleuves impassibles — puisque rue Férou je lis au passage deux quatrains du Bateau ivre (tout en pensant à J.-Ph., à qui j’avais adressé les vers du poème, photographié in extenso à une occasion que j’ai oubliée depuis) —
et me rends à l’exposition du Musée de Luxembourg. Là, je dois patienter vingt grosses minutes avant de pouvoir entrer, tout en admirant une pépinière de vieilles embijoutées qui, dans leurs robes et manteaux, habillées comme on le faisait en province (je ne sais rien des mœurs parisiennes équivalentes) pour aller au concert, exsudent la richesse de toutes leurs fausses pelisses. Je me demande alors si ce musée est leur territoire attitré parce que je me souviens avoir côtoyé dans de circonstances toutes semblables pareille compagnie huppée…
Les œuvres, à l’intérieur, sont inégales, mais toutes s’avèrent intéressantes, à divers titres.
Franciska Clausen (1899-1986), Composition mécanique, 1929, Huile sur toile sur carton Danemark, Aabenraa, The Art Museum Brundlund Slot, MSJ
Irène Codrano, Portrait de Daria Gamsaragan, 1926, Bronze avec patine verte, socle en bois, France, Boulogne-Billancourt, Musées de Boulogne-Billancourt, musée des Années Trente
Tarslal Do Amaral (1886-1973), Lagoa Santa, 1925, Huile sur toile, 50 x 65 cm, Brésil, Rio de Janeiro, Collection privée
Juliette Roche (1884-1980), American Picnic, 1918, 217 x 374 cm, Musée des beaux-arts de Besançon/ Fondation Albert Gleizes
Jacqueline Marval (Marie-Joséphine Valler [1866-1932], dite), la Baigneuse au maillot noir, 1923, Huile sur toile, Collection privée
Marie-Clémentine Valadon (1865-1938), dite Suzanne Valadon, la Chambre bleue, 1923, Huile sur toile, Limoges, musée des Beaux-Arts, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne / Centre de création industrielle, Paris
Gerda Wegener, née Gerda Marie Fredrikke Gottlieb (1886-1940), la Sieste, 1922, Mine graphite et aquarelle sur papier, Paris, Centre Pompidou musée national d'Art moderne/ Centre de création industrielle
Maria Ivanovna Vassilieva (1884-1957), dite Marie Vassilieff, Nu au deux masques, 1930, Huile sur toile marouflée Royaume-Uni, Londres, Aktis Gallery
Une femme m’apostrophe d’ailleurs, me déclarant, en toute familiarité, qu’elle trouve l’exposition « magnifique ». Je réponds en toute sincérité, tandis qu’elle enchérit sur l’injustice dont ces « pionnières » ont été victimes. Comment lui donner tort ? Je m'amuse, cependant, du ton revendicateur de mon interlocutrice1.
La nudité des corps féminins peinte par des femmes atteste « un regard à soi » et vibre d'une sensualité rayonnante.
A gauche : Émilie Espérance Barret (1878-1974), dite Emilie Charmy, Hania Routchine, nue, 1921, Huile sur toile, Collection privée. A droite : Émilie Charmy, Jeune femme, tête renversée, 1920, Huile sur carton toilé, Collection particulière
Tamara de Lempicka (Maria Gorska [1898-1980], dite), Suzy Solidor, 1935, Huile sur bois, Cagnes-sur-Mer, Château-musée Grimaldi
Mela Muter (Maria Mélania Mütermilch [1876-1967], dite) Nu cubiste, 1919-1923, Huile sur toile, Collection privée
Maria Górska (1898-1980), dite Tamara de Lempicka, la Belle Rafalea, 1927, Huile sur toile, Collection particulière
Quelques artistes, cependant, me sont connues — ainsi, vu récemment au Musée d'art et d'histoire du judaïsme, du tableau de Marevna, à l'entrée de l'exposition, particulièrement bien en valeur ici sur son mur rouge —, et je marque d’ailleurs du contentement aux retrouvailles de leurs noms ou de leurs œuvres…
Marie Vorobieff (1892-1984), dite Marevna, la Mort et la femme, 1917, Huile sur bois, Suisse, Genève, Association des Amis du Petit Palais
Marie Laurencin (1883-1956), Femmes à la colombe, Marie Laurencin et Nicole Groult, 1919, Paris, musée des Arts décoratifs, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne/ Centre de création industrielle, Paris
Maria Górska (1898-1980), dite Tamara de Lempicka, Mère et son enfant, 1932, Huile sur contreplaqué, Beauvais, MUDO - musée de l'Oise
[Je verrai, depuis, un documentaire, Un regard à soi, les artistes pionnières dans le Paris des années folles, bien au-delà des aperçus du musée, dont la surface limitée se montre toujours décevant… Le film, à rebours, s’avère par bien des aspects allusif, tant il est foisonnant et tant il réclamerait d’approfondissements.]
Comme d’ordinaire, des œuvres sous vitrine empêchent la prise photographique.
Sophie Taeuber-Arp, Marionnette, "Le Roi-Cerf", 1918 : Le Cerf. Huile sur bois, laiton, peinture métallisée, œillets en métal. 58,5 x 14 x 10 cm © Internet
Sophie Taeuber en compagnie de Jean Arp avec ses marionnettes en arrière-plan. Photographie anonyme, vers 1918. Bibliothèque nationale suisse, Berne © Internet
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Saluant la mémoire de Joséphine Baker (présente dans l’exposition, ainsi que Suzie Solidor), je remonte ensuite jusqu’au Panthéon, afin surtout de revoir les vitraux de Saint-Etienne-du-Mont, son jubé — en songeant, cette fois, que la dernière occasion de les regarder avait été en compagnie M.-C., avant de nous envoler pour la Sicile…
La Pâque juive, le Massacre des Premiers-nés des Egyptiens, la Communion, Premier quart du XVIIe siècle
Je vais encore pied jusque Saint Germain-des-Près, sans trouver de livres d’occasion à acheter.
A l’heure où je rentre, le métro est bondé. Je dois voyager debout, les pieds fourbus des piétinements de la journée. Je ne les délasserai donc vraiment que le soir, sans plus ressortir de l’appartement…
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1Pour contrebalancer, toutefois, l'injustice commise envers ces créatrices, je reproduis certains cartels photographiés durant ma visite des noms qui m'étaient demeurés, jusque là, inconnus.