1340 - Mars à Paris (10)
Mars à PARIS/ MARCH in Paris
[Journal extime, 15-22 mars 2022]
Work in progress
10
20 mars 2022 [suite]
Alors que, sortis du musée, nous plaisantons sur les noms féminins donnés aux armes (ainsi qu’aux ouragans), j’apprends que le nom de la station Barbara est dû à la proximité du cimetière de Bagneux où elle est enterrée (du fait de la présence des siens, précise Aymeric, comme Judith s’était étonnée du lieu de sa sépulture).
Nous commentons dans un bar du Marais ensuite votre visite — et tombons d’accord : la sensibilité commune y répugne, et, de la Nature, c’est surtout le carnage des animaux et sa cruauté qui dominent dans ce que nous avons vu. Aymeric a visité quelque trente ans auparavant un musée très différent de celui que nous avons parcouru. Quoi qu’il en soit, nous nous accordons à nouveau : nous n’y retournerons, sinon jamais, du moins pas avant longtemps…
La conservation dérive sur des préventions alimentaires en fonction de nos amies les bêtes — affection que nous avons d’ailleurs assez peu. Judith évoque tel charcutier qui proposait à Paris dans les années cinquante-soixante tel pâté de crocodile, telles connaissances qui s’étaient vues proposer de la viande de singe… Elle-même a regretté de s’être lancée dans la cuisine d’un sanglier quelques années auparavant, l’odeur forte de sa cuisson l’ayant dissuadée de le manger, l’incitant à tout jeter par la suite. Bref, nous nous amusons des anecdotes que nous produisons les uns les autres sur pareil sujet.
Comme l’heure de la confection du repas approche (Judith nous a parlé de l’amie actuelle de Lucien, végétarienne, qui a converti celui-ci à l’élaboration de menus à base de légumes, alors qu’il se nourrissait naguère pour l'essentiel de pâtes et de pizzas), elle dit devoir nous laisser, après qu’Aymeric, au prétexte de se rendre aux toilettes, a réglé nos consommations. Judith proteste, mais Aymeric rétorque qu’elle a payé plein tarif la visite au musée, quand nous, avons bénéficié, peut-être indument et de mon fait (je n’avais pas compris grand-chose aux conditions de réductions et d’exemptions de l’endroit), d’une totale gratuité qui, sur place, n’avait pas occasionné de vérifications de pièces justificatives, en raison sans doute de l’affluence…
Restés seuls, je raconte à Aymeric les circonstances du décès de Marthe et ses conséquences.
Nous nous rendons en avance au restaurant. Notre table se trouve « à l’écart », comme je l’avais demandé. Cependant, elle ne deviendra « propice aux conversations intimes » que lorsque seront partis nos voisins immédiats. Pour le moment, en dépit du fait que nous sommes dimanche soir, l’endroit s’avère bondé. A notre grand dam, nous apprenons qu’il n’y a plus de filet de canette aux choux et poire.
Après examen de la carte, les vins s’avèrent onéreux. Un sommelier en salopette et tennis, avec une coupe à la Polnareff des débuts de la carrière du chanteur (celui d’avant les perruques à boucles blondes — et du port des lunettes), comprenant que je n’ai pas envie d’un bouteille à cent euros, nous aiguille sur un cru de Languedoc, la bouteille la moins chère de la carte, en vérité. Il apporte un troisième verre et le goûte avant de nous servir. Je plaisante et lui dis qu’il fait un beau métier. Le vin est agréable et accompagnera bien notre repas. Les plats sont d’ailleurs corrects.
Aymeric a reçu un message d’un collègue positif au coronavirus qui demande s’il venir travailler le lendemain. Nous nous amusons de ce que le SMS s’achève par « quand penses-tu ? ».
Ses vingt-cinq années d’ancienneté et d’expérience professionnelle antérieure n’ont toujours pas été prises en compte par une administration tatillonne, vraisemblablement avaricieuse, alors même qu’Aymeric à la suite d'un concours a pris du galon, puisque devenu chef de l’atelier où il travaille. Suit un développement sur le peu d’autorité dont il fait montre envers ses collègues, ce que je suis tout prêt à croire, étant donné ce que je sais de lui.
Aymeric me demande si j’ai des projets de vacances. Je songe fortement à l’Espagne, à entreprendre le voyage annulé aux vacances de printemps pour cause de “pandémie” en avril 2020. Lui, ignore encore où ils iront, P*** et lui, durant l’été.
Il se plaint de ce que, ses journées terminées, il n’a plus guère d’énergie pour quoi que ce soit. Il attribue cela à l’effet de l’âge.
Il me parle d’un endormissement que j’aurais, plein d’indulgence, dissimulé dans la relation de la conférence à laquelle nous avions assisté la fois précédente après la projection du documentaire Paragraphe 175 au Mémorial de la Shoah. Je lui assure que je ne m’en étais pas aperçu. J’évoque les endormissements de Claude au cinéma, qui se signalent à mon attention par de légers ronflements.
Nous sommes parmi les derniers clients. Le garçon demande si nous voulons « un digeo ». Cette parlure nous amuse. Au moment de l’addition, il s’assoit sans façons à la table voisine (il nous dira qu’ensuite c’est « l’esprit de la maison »), tout en bavardant : il doit bientôt faire confirmer sa qualité de sommelier — dont il a obtenu le deuxième grade sur quatre ; il assure, sans forfanterie aucune, qu'en goûtant les vins on peut discerner s’il est bon : certains mauvais vins sont à l’origine de cancers de la bouche, argue-t-il.
Bref, outre que nous trouvons notre sommelier éminemment sympathique, nous nous amusons beaucoup.
L’addition est tout de même un peu élevée, deux fois plus qu’elle l’aurait été si nous avions pu manger au restaurant indien de la Bute-aux-cailles.
Nous nous quittons à la station Saint-Paul, empruntant des directions opposées.
Je m’aperçois qu’il est déjà tard : 22 heures 50, indique l’horloge du quai. J’envoie un SMS. Lui, doit se lever à 5 heures 45 et a une heure encore de trajet.
Je lui adresserai ce courriel le lendemain :
Bonsoir Aymeric,
Merci pour ton courriel, qui me fait plaisir.
J’ai pensé à toi plusieurs fois durant la journée. J’avais craint un effet négatif, toujours possible, du vin blanc sur ton sommeil ; mais il faut croire que notre sommelier (sommeillier ?) était de bon conseil... Content aussi que tu aies apprécié la rencontre avec Judith, qui sait se montrer spirituelle et assez spontanément liante — qualités que je lui envie ¡
J’ai poursuivi aujourd’hui mon périple muséal. Bien aimé l’exposition Gallen-Kallela, que je te recommande — même si les mythes à l’œuvre m’ont moins séduit que sa peinture de la nature… Peut-être devrait-on suivre, par ailleurs, la chronologie et visiter d’abord la rétrospective du Petit Palais : je verrai demain ce qu’il en est ! Le décor impressionniste de l’Orangerie est, quant à lui, plus inégal [cf. les dindons de Monet, décor inachevé il est vrai]…
Je suis allé ensuite à pied jusque les Halles (où j’ai acheté l’intégrale des quatuors de Shostakovich, dont j’avais envie depuis longtemps). Il faisait bien beau lors de ma promenade. En chemin, j’ai croisé la vitrine d'une librairie qui m’a fait songer à la cabane en plumes de coq du Musée de la chasse et de la nature et son rangement de volumes.
Bonne nuit ! Tâche de récupérer le manque de sommeil d’hier, et merci encore pour notre soirée.
Romain
P.S. - Le billet du jour de Chevillard à propos de l’âge et du vieillissement ;-) :
La vieillesse est un naufrage, dit-on. Mais le hors-bord et la gondole ont sombré depuis longtemps. Reste à couler la galère.