1365 - Dieppe, Dieppe, Dieppe… hourra ! (6)

Publié le par 1rΩm1

Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…

hourra !

Journal extime

(2 – 8 août 2021)

work in progress

6

 

Jeudi 5 août 2021 [suite]

[suite du précédent billet]

 

En lisant le récit d’Aidan Chambers, sans doute en 1984, on aura déjà compris que j’ai vécu une identification partielle et totale avec le personnage de Henry : totale, en ce que je vivais et revivais continûment sa disgrâce, sans, pour ma part, avoir eu la capacité de rebondir pleinement avant encore quelques années ; partielle, en ce que j’aurais été incapable, précisément, de tourner si rapidement la page de ses amours avec Barry — et ne l’ai fait que trois ou quatre ans après la rupture avec J.-L.

 

C’est par le plus grand des hasards que jai pour ainsi dire gagné le roman d’Aidan Chambers. Quelqu’un avait abandonné, en effet, pour que je m’en saisisse sur le muret de l’immeuble en face de chez moi, le livre, pour une raison que j’ignore — dédain, acte gratuit, ou désir brûlant, tout à rebours, de le transmettre. Je m’en suis donc emparé. Avant que ce ne soit de moi que ces pages s’emparent.

Je ne m’attendais certes pas à ce love story entre deux garçons, ni à tant me retrouver dans les émois de Henry, qui avait comme moi seize ans au début de mon idylle avec J.-L. — et ce dernier, presque l’âge de Barry, à six ou huit mois près.

Elles étaient rares (le sont-elles aujourd’hui davantage ? on peut en douter, dans les livres du moins) les fictions qui retracent avec justesse des amours adolescentes entre partenaires libres et consentants — puisque je ne parle naturellement pas de fictions pornographiques ou d’invraisemblables romances —, et je comprends que François Ozon, après l’avoir lui-même relu, ait caressé le projet d’adapter le roman à l’écran, y projetant et transposant quelque part importante de sa propre jeunesse.

 

Le livre, si je ne m’abuse, avait été publié dans une collection plus ou moins vouée à la jeunesse — et entendait lui parler. Sans autre ambition littéraire que celle-ci — ce qu’attestent à rebours les premières pages, encombrées d’un vocabulaire mimant l’argot des “jeunesde l’époque, ce lexique se raréfiant heureusement par la suite, et le style se faisant plus original —, le roman y réussissait assez bien.

En tout cas, le récit avait su s’adresser à moi, me toucher au profond, même si je ne l’avais pas alors ni immédiatement ni entièrement compris, idéalisant le compagnon mort du narrateur, comme j’avais idéalisé mon histoire avec J.-L. Quoi qu’il en fût, le livre relevait indéniablement d’un de ces hasards objectifs que je prise par-dessus en m’étant ainsi donné comme à moi seul.

 

On ne devrait jamais, il est vrai, s’identifier à des personnages, ces « vivants sans entrailles » qui parviennent (il est tout aussi vrai) à susciter des rencontres avec des spectres issus du passé — Henry, Barry, J.-L. ou Romain (lui-même fictionalisé, ne serait-ce que par ce prénom emprunté) — et ce, à presque quarante années de distance temporelle, spatiale et mémorielle…

 

Le roman m’a suivi jusque bien après. J’ai raconté comment l’attaque cérébrale que j’ai subie a durement mis en échec, au moins dans un premier temps, mes capacités à lire, comment et combien je ne comprenais rien au roman de Simenon auquel je m’étais attelé à l’hôpital.

Pour me lancer dans une lecture simple et plaisante, ayant bien en tête l’histoire en outre, j’ai rouvert la Danse du coucou en juillet 2020. J’ai eu facile à le lire. Voire : j’ai recouvré presque toute ma rapidité antérieure en parcourant ces pages, ce qui a fait de cette troisième (ou quatrième?) lecture du récit de Chambers une sorte, sinon de fétiche, du moins de fléchage, tant vers mon histoire, aussi dérisoire ou pauvre soit-elle, que vers cette “mythologie” personnelle dont je suis parti pour en parler.

Des textes, petits et grands (mais ce distinguo a-t-il vraiment un sens au regard de l’effet qu’ils produisent ?), viennent à nous parfois à point nommé pour nous éclairer et conforter, et j’ai gardé une tendresse particulière pour ce Henry Spurling Robinson en qui j’ai trouvé, avec la même naïveté que celle que promène le personnage, le frère magique ami de cœur que, comme lui, je n’ai jamais eu…

 

Il existe tout de même deux différences — et non des moindres — entre les personnages que je viens d’évoquer.

La première tient à ce que J.-L., lui, ne s’est pas tué dans un accident de moto.

La seconde tient au point de vue dont on pourrait considérer la “trahison” de J.-L. Lui, avait regardé d’une tout autre façon l’échappée, dont au vrai j’avais été si peu acteur, le « grand écart » que j’avais eu avec Simone, encourageant même cette idylle qui sonnait pourtant si faux — et dont j’avais précipité, auprès d'elle comme de lui, la fin.

S’en trouve confortée d’ailleurs l’hypothèse que j’ai risquée d’une ressemblance entre J.-L. et Barry quant à une sorte d’amour libre revendiquée par ce dernier — dans une version aussi arrangée qu’arrangeante pour qui occupe le sommet de toute figure géométrique, d’autant que l’amour qui chassait l’autre était un clou “hétéronormé” (straight), pour J.-L. du moins.

C’est pourquoi, choisissant mon camp, je me suis exhorté à rompre définitivement. Bien sûr, une jalousie incandescente présidait aussi à l’acte que je m’étais alors résolu à poser. Au demeurant, à quelques protestations près émises par les trois autres protagonistes de cette histoire d’« amour en fuite » — j’espère n’être pas injuste à ce propos, la mémoire faillant nécessairement après tant d’années —, j’ai peu été retenu au moment de m’en aller.

Je suis parti sans faire de drame, je crois. Si j’ai connu une Nuit de Walpurgis en la circonstance, c’est bien ma Descente aux Enfers pour tenter de rallier au plus vite en stop ma tanière, dont je ne suis sorti que quelques années plus tard…

* * *

5 août 2021 [suite]

Après-midi

Nous déjeunons d’un sandwich sur un banc près de la jetée, avant de parcourir les rues bordées de maisonnettes du Tréport.

Nous renonçons à prendre le funiculaire qui mène au haut des falaises de la Côte d’Albâtre : toute une file d’attente s’est massée en ce début d’après-midi. Quant aux trois cent soixante-cinq marches qui ascensionnent la paroi rocheuse, il est naturellement hors de question de les gravir. Je propose — je ne vois pas vraiment pourquoi nous n’y parviendrions pas — de nous y rendre en voiture.

De fait, une route y mène. Je me gare dans une rue en pente d’où un petit sentier conduit aux dernières marches de l’escalier boudé et, de là, jusqu’à ce promontoire de craie, d’où la vue de la ville est impressionnante. Cependant, le soleil tape sur cette étendue rase plutôt rudement, et nous négligeons de faire une halte dans le grand bar-restaurant inhospitalier et froid où, dans le film d’Ozon, Alex a un entretien avec son professeur de français, incarné par Melvil Poupaud.

Nous reprenons donc la voiture, faisons quelques kilomètres jusque Mers-les-Bains, dont nous longeons la plage, bien différente de celle du Tréport, puisque bordée de villas pimpantes et très peu ouvrières, qui refluent jusqu’aux rues adjacentes.

1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)
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1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)
1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)
1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)
1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)

Le cinéma de la ville affiche insolemment son dédain du “pass sanitaire” et nous en parcourons programmation et horaires, sans trouver de film [sans doute Annette de Léo Carax passait-il trop tard dans le mois, ou était-il déjà passé en juillet] qui nous donne envie.

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Une installation de sculptures rythme aussi nos pas, et je me montre assez sensible à ce City Slicker

Carole A. Feuerman, New York City Slicker [1986, Résine époxy et peinture à l'huile, 73 x 53 x 36 cm ?]
Carole A. Feuerman, New York City Slicker [1986, Résine époxy et peinture à l'huile, 73 x 53 x 36 cm ?]

Carole A. Feuerman, New York City Slicker [1986, Résine époxy et peinture à l'huile, 73 x 53 x 36 cm ?]

débarqué sur le front de mer — où nous buvons un premier verre avant d’aller reprendre notre excursion.

 

A Eu, la dernière des « trois villes », nous nous garons devant le château.

Nous visitons la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent, dont nous découvrons la crypte et ses gisants.

Saint Laurent O'Toole (archevêque de Dubin, mort à Eu en novembre 1180), XIIe siècle ; Philippe d'Artois, mort en bas âge en 1397. Statue d'enfant avec robe blanche, les pieds sur un lion. Petit gisant de marbre, portant la couronne comtale.
Saint Laurent O'Toole (archevêque de Dubin, mort à Eu en novembre 1180), XIIe siècle ; Philippe d'Artois, mort en bas âge en 1397. Statue d'enfant avec robe blanche, les pieds sur un lion. Petit gisant de marbre, portant la couronne comtale.

Saint Laurent O'Toole (archevêque de Dubin, mort à Eu en novembre 1180), XIIe siècle ; Philippe d'Artois, mort en bas âge en 1397. Statue d'enfant avec robe blanche, les pieds sur un lion. Petit gisant de marbre, portant la couronne comtale.

Nous prenons un autre verre, avant que je n’appelle mon père, qui me fait part d’une nouvelle dégradation de ma mère.

 

Nous faisons une dernière halte à Ault, faisant face à ses falaises (dont Paul, je m’en souviens, m’avait parlé, qui l’avaient impressionné).

1365 - Dieppe,  Dieppe,  Dieppe…  hourra ! (6)

 

Soir

Nous apprenons la validation par le Conseil Constitutionnel du “pass vaccinal” boudé par les gérants du cinéma de Mers-les-Bains.

Ledit “Conseil” n’a pas vraisemblablement appris, ce que je sais depuis l’école primaire, que anticonstitutionnellement (et ses vingt-quatre lettres) constitue (si l’on ose dire !) le mot le plus long de langue française. Et ledit Conseil a, qui plus est, perdu le sens de cet adverbeautant que invalidé l’acception même de l'organe de contrôle qu'il est censé représenter, dont il ne revêt que les oripeaux.

Par les voies d’Internet, je découvre que le tableautin de la cheminée est, en vérité, une reproduction de la toile — de grande dimension, elle —, le Triomphe de Bacchus, de Diego Velázquez, ce qui explique la réminiscence que j’avais eue en le voyant la première fois…

Diego Velázquez, le Triomphe de Bacchus, Huile sur toile, 165 x 255 cm, vers 1628-1629, Madrid, Musée du Prado
Diego Velázquez, le Triomphe de Bacchus, Huile sur toile, 165 x 255 cm, vers 1628-1629, Madrid, Musée du Prado

Diego Velázquez, le Triomphe de Bacchus, Huile sur toile, 165 x 255 cm, vers 1628-1629, Madrid, Musée du Prado

 

 

 

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