1356 - Si bien que… ? (20) • Le jeune Erwan

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si bien que… ?

 

(Journal extime)

Work in progress

 

20

 

31 juillet 2021

Le jeune Erwan emnage, aidé par sa petite famille.

J’éprouve une impression désagréable d’envahissement. Ils se sont garés cavalièrement sur la place pour handicapé en face de l’immeuble. Le garçon de cinq ou six ans — Charles ? — se montre proprement insupportable. Il court, saute à pieds joints, court, trépigne dans la pièce principale. Son frère le remet en place ; mais, livré bientôt à sa seule mère, il recommence de plus belle, tandis qu’elle et moi remplissons l’état des lieux. Elle, se montre tatillonne. Les amabilités de la première visite ont presque totalement disparu.

J’ai apporté deux rideaux à œillets. Le jeune Erwan veut bien installer le jaune moutarde, mais repousse le rouge framboise. Je dis en plaisantant que c’était le choix inverse qu’avait fait la précédente locataire.

Hélé par sa mère, le jeune Erwan vient de son paraphe hérissé et compliqué signer l’état des lieux enfin en passe d’être rempli. Je peine, de mon côté, à écrire « réfrigérateur » : il prononce le mot en détachant bien les syllabes ; je souffre un instant de mon handicap. Je propose un escabeau pour l’installation des rideaux ; il s’offre de le porter ; je suis légèrement vexé — me prend-il pour un vieillard ou un infirme ? — et réplique « Sûrement pas ! ».

Pour avoir la paix et en finir les turbulences de Charles, la mère a collé entre les mains de son trublion un téléphone portable.

Enfin, je les quitte, quarante-cinq minutes après leur avoir ouvert. Je conclus que le jeune Erwan — qui a ôté le masque au cours de son déménagement avec son beau-père — est bien moins beau que dans mon souvenir ; il porte des lunettes, et sa peau est acnéique ; il possède un joli petit corps, cependant.

 

Visite à ma mère, à peu près dans le même état que la fois dernière. Mais j’accepte mieux la vision de cette femme dont le visage s’est momifié et m’est devenu étranger. Il me semble qu’au moment où je lui caresse la main et l’embrasse en partant elle esquisse le même sourire que le lundi précédent.

Je rentre à pied de l’unité de soins et croise un cortège de manifestants hostiles à la vaccination. Comme ceux que j’avais vus le samedi précédent,

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les participants ont des apparences très différentes de celles auxquelles je suis très habitué. Les pancartes bricolées avec les moyens du bord sont à distance à peine visibles. Le cortège se ferme par un porteur de crucifix (ce dernier très gros, et sans doute fort lourd à porter), et l’absence de pancarte, slogan ou commentaire pour accompagner ce christophore contribue à rendre énigmatique — sinon brouillardeuse — cette agrégation de personnes brandissant également des drapeaux bleu blanc rouge et réunies là pour apparemment de bonnes et moins bonnes raisons…

 

Je suis installé sur la terrasse où travaille Dimitri — qui tarde toujours à me saluer lorsque je suis en compagnie de Paul, Marthe et T., et qui paraît alors ne s’adresser qu’à moi, tant et si bien que je m’irrite qu’il se rende si peu sympathique aux yeux de mes amis — quand je reçois un appel téléphonique que je ne comprends pas immédiatement. C’est le beau-père du jeune Erwan qui a laissé un message à la suite d’une fuite qui s’est déclarée à la cuvette des WC. Je rappelle donc. Lui, m’interroge sur ce que j’entends faire. Je lui dis que je serai bien incapable de réparer par mes propres moyens, qu'il y faudra l'intervention ultérieur d'un artisan. Il se propose alors d’acheter le joint défaillant dans un magasin de bricolage et de le remplacer. Pour temporiser un peu et pouvoir passer un moment avec T., Marthe et Paul, je dis que je serai sur place une heure plus tard.

Lorsque je rentre chez moi, je vois la camionnette quitter la rue avec le jeune Erwan à bord. Je frappe à la porte de l’appartement. Le siège des WC est entièrement démonté. La mère me préviendra quand la réparation sera terminée.

J’observe plus ou moins les allées et venues, espérant qu’une ou deux places de parking se libèreront, ce qui serait l’occasion de quitter l’emplacement que ma voiture occupe, de façon à ce que l’on se gare ailleurs que sur la place pour handicapé.

Après une grosse demi-heure, le jeune Erwan et son beau-père sont revenus. Je commence à me demander si le beau-père a les compétences pour s’occuper de remplacer le joint de la cuvette qu’il est allé acheter — et s’il ne s’agit pas plutôt de m’estamper de quelques billets… Bref, je m’impatiente — tandis que mon imagination se plaît, comme souvent, à de possibles conséquences négatives ¡…

Je vais d’une fenêtre à une autre, guettant ainsi le moment d’un dénouement. (Le matin, j’ai cru comprendre que la mère du jeune Erwan viendrait rendre visite à son fils, perspective que j’ai trouvée franchement déplaisante, peut-être à cause de ce semi-cauchemar fait auparavant — et que ma mémoire n’a pas oblitéré…)

Je vois la mère fumer dans la rue, qui me remarque et me dit de venir.

Le beau-père m’assure que la fuite est désormais réparée. Je lui demande alors combien je lui dois. A la somme de 11 euros demandée, tout en déplorant qu’il ait eu à s’occuper de cela lors d’une journée déjà fort remplie, je réplique par un billet de 20. Il dit de voir cela avec sa femme. Elle, me renvoie à son mari. Je repars que celui-ci vient précisément de me renvoyer auprès d’elle. Et, par plaisanterie, je m’avance vers le jeune Erwan, en lui tendant le billet. Commence alors un échange à double sens — dont je ne suis pas sûr qu’il ait vraiment conscience, même si je crois possible que nos inconscients soient à même de traduite des sous-textes latents, même involontairement, surtout s’ils sont pris au dépourvu. Il me répond en effet : « Je ne prends pas d’ [ou l’] argent ! » Je ris et donne finalement le billet au beau-père. Ce petit monde — sauf Charles, dans mon souvenir, occupé à tapoter sur le téléphone qu’on lui a abandonné — reflue vers la cuisine, où je viens de m’adresser au beau-père.

Commence aussi un autre échange, qui a lieu surtout avec le jeune Erwan et moi, et auquel je me (et lui aussi, me semble-t-il) prête volontiers. Lui — hospitalité qui n’était pas venue à l’esprit des deux adultes qui l’accompagnent —, offre de m’asseoir.

Je lui demande quelles études il compte entreprendre. Anglais, italien, allemand, russe ou chinois, me répond-il. Je conseille [¡] le chinois. « La deuxième puissance économique », commente-t-il. Lui, me demande si j’enseignais « à la Fac ». J’explique rapidement que je l’ai fait, mais ai pris par la suite d’autres options.

Je l’observe à plaisir. Gestuelle et diction appartiennent à celle d’un charmant pédé — obviously —, et cette évidence me confond.

Pareille causerie et ses possibles incidences se font par-delà les parents, ce qui achève de me séduire, et je me dis que cette jeune pousse saura (je suis certain, en fait, que c’est déjà fait) s’affranchir de ses tuteurs — pensée réjouissante, s’il en est ! (Et il me vient — et reviendra par instants — de joyeuses pensées obscènes ¡…) [Sait-il — après tout, ce n’est pas impossible ¡ — que j’ai en pensée fait l’amour avec, par, pour ou de lui ?¡… Tout cela est si sain, si roboratif, si innocentaprès tout !]

*  *  *

[Il me faudra cependant déchanter. Je n’aurai finalement été amoureux du jeune Erwan qu’un court moment. Car le jeune Erwan s’avère bientôt un voisin bruyant, brisant alors la nuque à mes humeurs d’érotomane...

Il cohabitera d’abord avec une jeune fille [¡], dont, pris d’une inspiration mi-dépitée mi-humoreuse, je décréterai qu’il s’agit en toute probabilité de sa cousine ¡ — Heureusement, la demoiselle s’envolera, dès la rentrée universitaire, et je ne la reverrai plus.

Dans mon immeuble — moins toutefois que dans celui de Dieppe où je séjournerai quelques jours plus tard — se propage un type de voix éclatante, telle, je le découvre bientôt, celle que possède le jeune Erwan. Or, non seulement son timbre de voix s’échappe du plafond, mais plus encore mon voisin est un bavard pathologique. Si je n’entends jamais ses interlocuteurs — il en reçoit souvent pourtant —, je l’entends, lui, presque continûment, d’autant que, quand il est seul, il passe le plus clair de son temps à téléphoner (ou à “chatter” sur “le réseau”, je ne sais au juste). Un soir de septembre, sa conversation me tirant de mon sommeil, j’ai dû changer de chambre ; las, j’ai été à nouveau réveillé une heure et demie plus tard — il était alors quatre heures du matin — en entendant de nouveau, de l’autre chambre, cette fois sur le palier une conversation retentissante, menée comme en plein jour

Si j’ai balancé sur la conduite à tenir, je n’ai pas balancé longtemps. Dès le lendemain matin, le jeune Erwan recevait une missive destinée à mettre un holà comminatoire pour ne pas risquer une cohabitation qui s’envenimerait à mesure. Comme ce sauvageon reste un garçon gentil et éducable, que je me suis montré menaçant mais courtois, nos relations sont donéravant polies et cordiales ; d’ailleurs, l’occasion s’en présentant, je me suis expliqué quant aux doléances que je lui avais adressées, auxquelles il a répondu — chose agréable à entendre — que j’avais eu raison… Je tâche donc de ne plus trop s’irriter de son impénitente logorrhée sous le plafond de mon bureau — endroit où je me tiens très souvent —, ce à quoi je parviens malgré tout assez mal… Et j’ai depuis changé de chambre pour ne pas m’exposer à l’entendre nuitamment…

En ce moment d’ailleurs [juin 2022], l’étudiant en langues étrangères [!] est rentré, si j’ose dire, dans sa Marne profonde, au sein du cocon maternel, les cours à l’université ayant cessé dès la fin mai. Je savoure donc la paix chez moi recouvrée, les délices bourgeoises seyant bien à mon tempérament placide, qu’un rien en trop peut toutefois assez facilement dégonder !…]

 

Soir

Coup de téléphone à M.-C. Je partirai vraisemblablement avant elle (qui rentre ce week-end) en Normandie.

J’appelle T. pour le lui dire. Et de l’inviter dès à présent — en vérité, les mots me viennent, sans les avoir auparavant médités — pour le 10 au soir.

 

 

 

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