1388 - AUTOUR DU 25 AOÛT 2021

Publié le par 1rΩm1

 

 

Autour du 25 août 2021

Le déni d’une mère ?

 

1388 - AUTOUR DU 25 AOÛT 2021

 

En revoyant le film de François Ozon, Eté 85, dont j’ai déjà publié des extraits, je n’ai pu qu’être sensible à cette scène, que j’avais d’ailleurs oubliée dans le roman d’Aidan Chambers, la croyant originale :

mais la retrouvant ensuite dans ces fragments de la Danse du coucou :

    2. Au bout de la première semaine, je me mis à passer avec Barry la nuit du samedi et la quasi-totalité des nuits de la semaine.
    « Ta mère, dis-je la première fois.
    — Eh ben, quoi ?
    — Ça ne te dérange pas ?
    — Plus depuis longtemps.
    — Mais elle ?
    — Elle est très douée pour ne savoir que ce qu’elle veut bien savoir. Et la médecine lui sert à effacer ce qu’elle n'arriverait peut-être pas à ignorer toute seule. Depuis la mort de papa, elle prend des somnifères très puissants. »
    Mais quand même, elle devait savoir. Forcément. Le contraire était impossible. Et c'est pour ça que je n'arrive pas à comprendre le cirque qu’elle a fait devant le juge. Que j’avais une mauvaise influence sur Barry, que je lui faisais faire des bêtises... tout ça. Non, elle doit vraiment être folle.

    3. « Que dirais-tu d’un plateau de douceurs ?
    — Je vous croyais endormi, mon doux seigneur.
    — Non, sans déconner. »
    Je n'avais pas la moindre idée de là où il voulait en venir.
    « Comme tu voudras », dis-je.
    Et il m’offrit un nouveau souvenir de Southend d’un genre que je ne connaissais pas encore. De cela, il fut prodigue avec moi : je veux dire d’expériences nou­velles. C’était un de ses aspects passionnants. Je ne savais jamais ce qui allait arriver la minute suivante.
    Mais cette expérience-là me plut, même quand l’effet de surprise fut dissipé.

    4. Un matin, je m’éveillai juste avant l'aube. J’ai­mais m’éveiller tôt avec lui. C’était les moments les plus chouettes. Silence. Tiédeur. Les bruits du petit matin, dehors. La dérive du sommeil. Lui. Le regarder. Il dormait comme il faisait tout le reste. Franchement, carrément, jusqu'au bout.
    Ce matin-là, il était déjà réveillé et me regardait.  Il m’embrassa et dit :

    Laisse rouler ta tête ensommeillée, amour,
    Trop humaine sur mon bras infidèle.
    Le temps et les lèvres consument
    Et dissipent la beauté individuelle
    Des enfants pensifs, et la tombe
    Prouve que l’enfant est éphémère :
    Mais dans mes bras jusqu’à l’aurore
    Que reposent ces créatures vivantes,
    Mortelles, coupables, mais pour moi
    D'une entière beauté.

    Et moi, pour le remercier. je dis :
    « Mais c'est un poète qui s’ignore. »
    Il rit :
    «  Ton génie naissant présente encore manques et lacunes, mon p'tit gars, dit-il en riant. Ce sont des vers d’Auden. Tiens, W.H., lui aussi, par une étrange coïncidence.
    — Quelle coïncidence ?
    — Eh ben mon vieux. Ozzy va avoir du boulot avec toi ! Shakespeare !
    — Quoi, Shakespeare ?
    — Mon Dieu, mon Dieu, l’ignorance crasse de cette génération ! »
    Je souris de sa condescendance et pris l’air malin.
    « On ne peut pas tout avoir, pas vrai ? Je suis jeune et beau, c'est déjà pas mal.
    — Shakespeare a dédié ses sonnets à un certain Mr. W.H. qu’on soupçonne généralement d’avoir été son amant.
    — Ah oui ! Pigé !
    La lumière se fit enfin.
    « Mais je n'aurais pas cru que tu te sentirais coupable…“Mortelles, coupables…” je ne sais plus trop.
    — Non, dit-il, et j’imagine qu’Auden non plus. Mais les temps ont vachement changé depuis qu'il a écrit ça.
    — C’était quand ?
    — Chaipas. Dans les 1930, je dirais...
    — Mais comment se fait-il que tu connaisses ce poème ?
    — Tu te crois le seul élève qu'Ozzy ait jamais invité à entrer dans sa terminale de lettres ? »

(Aidan Chambers, la Danse du coucou [Dance on my Grave], Texte traduit par Jean-Pierre Carasso, Editions du Seuil, “Points-virgule”, 1983, pp. 186-189.)

 

Le réalisateur, dans le scénario, a substitué assez judicieusement ensuite au sonnet de W. H. Auden un poème de Verlaine, transposition saphique du couple formé par les deux garçons :

         "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses…"

 

« De la douceur, de la douceur, de la douceur. (INCONNU1.) »

Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses :
De cette façon nous serons bien heureuses,
Et si notre vie a des instants moroses
Du moins nous serons, n'est-ce pas ? deux pleureuses.

Ô que nous mêlions, âmes sœurs que nous sommes,
A nos vœux confus la douceur puérile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile !

Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Eprises de rien et de tout étonnées,
Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu'elles sont pardonnées.

Paul Verlaine, Romances sans paroles, “Ariettes oubliées”, IV, 1874.

 

Ces trois quatrains feignent très habilement l’excuse — celle que l’on fournit, celle que l’on demande — en sorte d'affirmer possiblement le contraire. Dans le trajet interne du texte, en effet, entre son début et sa clôture, deux propositions s'annihilent

Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses :

      […] elles sont pardonnées.

tout en cryptant en son centre l’identité réelle des deux partenaires et en claironnant leur innocence :

                                           […] nous sommes,
A nos vœux confus la douceur puérile
De cheminer loin des femmes et
des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile !

Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
[…].

 

* * *

Je n’ai pu également — naturellement — que songer à ma propre mère, pourtant fort différente pour bien des raisons du personnage interprété par Valeria Bruni Tedeschi dans le film…

 

-=-=-=-=-=-

1. Dans ce jeu de masques, le poète prétendument « inconnu » n'est naturellement que Verlaine lui-même — puisqu'il s'agit, en vérité, du premier vers de “Lassitude” (in Poèmes saturniens).

Le sonnet d'Auden, quant à moi, me fait songer au dernier quatrain “Green” du même Verlaine, avec lequel il entretient de troublants échos lexicaux, du moins dans sa traduction en français :

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

(Romances sans paroles, “Aquarelles”, “Green”, v. 9-12.)

 

 

 

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