1378 - Quand ceux qui vont s'en sont allés (1)

Publié le par 1rΩm1

 

 

in  memoriam  M. N.

 

Quand ceux qui vont

 

s’en sont allés

 

1

 

9 août 2021

Matin

Je sacrifie à un “test Covid” dans l'éventualité où je serais refoulé à l’entrée du funérarium. Heureusement, j’échappe à toute file d’attente (je me suis présenté le premier à l’ouverture de la pharmacie). L’intrusion dans la narine du goupillon s’avère encore plus désagréable quand on s’y attend.

Je me rends au funérarium (ainsi que je m'y attendais, les vigiles à l'entrée, à la mention de l'endroit, ne me demandent pas de produire de “pass sanitaire”). En regardant ce visage fardé, préparé pour la circonstance, je ne peux m'empêcher de remarquer les protubérances faites par les dentiers, remis en place, alors qu'il n'en était plus besoin tous ces derniers mois, ma mère ayant cessé de se nourrir ; des traits de crayon comme des hachures ont été ajoutés, comme pour étoffer les sourcils trop effilés — à moins que ce ne soit pour une autre raison esthétique qui m'échappe…

Je fais face — l’expression est à prendre autant au propre qu’au figuré —, mais l’envie de revenir ne me prendrait, elle, pour rien au monde (contrairement à mon père, qui reviendra l’après-midi même).

J’appelle T., puis M.-C. Celle-ci me dit qu’elle a téléphoné à Marthe, qui s’est longtemps ouverte à elle de la dépression qu’elle traverse, jusqu’à n'avoir l’envie de rien, sinon de demeurer sur une chaise les bras ballants. Je devinais Marthe dépressive, mais je ne pensais pas que c'était à ce point…

 

Après-midi

Mon père a laissé un message : la crémation aura lieu jeudi à 10 h 30 — mise en bière et fermeture du cercueil les précédant. Or, mon rendez-vous à l’hôpital avec le Professeur R*** est prévu à 9 heures 20, exactement à l’heure de la mise en bière !

Je téléphone au numéro de l’ancienne secrétaire du Professeur R*** — ce sont les seules coordonnées que je retrouve sur le moment —, pour avertir que je ne pourrai venir.

A ce moment-là seulement, la digue des larmes, refoulées jusqu’alors, cède. Je me souviens alors que ce n’était que le lendemain du jour de la cérémonie funéraire consacrée à J.-M. au moment de quitter Pascal et F. que des pleurs m’avaient gagné, laissant un instant Pascal décontenancé.

 

J’écris divers messages aux amis : à Simone, B., A., M., Valérie, Claudie, Aymeric et à Khadija. J’essaie de varier les messages, de les personnaliser autant que possible, en fonction de la connaissance que les uns ou les autres avaient de ma mère, tous l'ayant rencontrée, voire quelquefois côtoyée — hormis Aymeric, mais nous l’avons très souvent évoquée au cours de sa longue et inexorable déchéance…

 

 Je retrouve T., Marthe et Paul sur une terrasse.

T. m’explique comment il y a peu le chien a mordu Dimitri (celui-ci lui ayant marché sur la queue sans l’avoir vu).

La légèreté avec laquelle les uns et les autres donnent raison au chien me semble tout à fait injustifiée : Marthe et Paul pourraient faire en sorte de ne pas laisser la bestiole s’installer sur le passage des serveurs ou des clients — mais il faudrait pour ce faire qu’il soit autrement mieux dressé ! Or, Dimitri a tout de même été mordu jusqu’au sang, son pantalon percé par les crocs de l’animal . Et je m’étonne que Dimitri ait si promptement pardonné au chien pareille morsure…

 

Soir

B. et M. m’ont répondu.

Après avoir tenté de joindre Pascal au téléphone, je rédige un message que j’efface par mégarde. Je mets presque une demi-heure avant de réussir à en écrire un nouveau et l’envoyer.

 

10 août 2021

Matin

Je trouve les messages de Simone et d’Aymeric quand j’ouvre l’ordinateur. Aymeric est bien matinal (6:01 !). Leurs messages me touchent beaucoup.

Je fais les enregistrements que m’a demandés mon père pour la cérémonie au crématorium. J’y ajoute Rémusat — que j’avais déjà demandé à Patrice d’adjoindre au moment du décès de J.-M., la mort de sa mère ayant précédé de quelques mois celle de J.-M. Cette fois, le sentiment de la dépossession (C’est drôle jamais on ne pense/ Qu’au dessus de dix-huit ans/ On peut être une orpheline/ En n'étant plus une enfant…) concerne ma mère, non celle de J.-M. (j’ai aussi plaqué sur le  piano les accords de Quand ceux qui vont…) 
 

 

Je fais entendre à mon père l’enchaînement des morceaux, lui fais juger de l’opportunité de leur ordre. Reste que mes enregistrements sont ceux de disques vinyl, le seul support apte à les recevoir étant mon lecteur-enregistreur de minidisc.

Je m’amuse de l’expression de « cercueil pour les indigents », choisi aux Pompes Funèbres par mon père. De même, il a choisi l’urne funéraire la moins chère, arguant que ma mère n’en aurait que faire…

Simone et Khadija téléphonent lorsque nous rédigeons et mettons en forme un faire-part de décès. Je diffère.

Nous allons « chez le Syrien », comme dit toujours mon père pour désigner le marchand du magasin de reprographie tout proche de chez moi, afin que soit reproduit le faire-part de deuil que j’ai préparé.

Il évoque une photographie de ma mère à Alep devant la Mosquée des Omeyyades [?], photographie que j’ai pour ma part toujours beaucoup aimée.

 

Après-midi

Deuxième injection de ce drôle de vaccin à ARN.

Pour patienter durant les quinze minutes de rigueur, je lis les dernières pages de le Mausolée des amants, saisi par certaines des similitudes entre ce journal-ci et celui de Jean-Luc Lagarde. Voire : en une sorte de Je me souviens à la Georges Perec, c’est d’un vécu commun qu’il s’agit quelquefois…

 

Je téléphone sans succès à Khadija.

Puis j’appelle le crématorium afin de savoir si mon support sera recevable. J’en ferai l’expérience le lendemain après 14 h 30, ainsi que m’y invite aimablement mon interlocuteur.

 

Soir

Je dîne dans un restaurant avec T. Nous sommes contrôlés avant d’entrer. En revanche, dans un café de la Place S***, le garçon ne nous demande rien.

 

 

 

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