1382 - Quand ceux qui vont s’en sont allés (3)
Quand ceux qui vont
s’en sont allés
3
12 août 2021[10-12 août 2022]
Matin
Préoccupé de toutes sortes de choses ayant à voir avec la cérémonie, je dors mal.
La peur me taraude de ne savoir mettre en route les enregistrements que j'ai préparés, que la sono elle-même déclare forfait, tant et si bien que je munirai de l’enceinte portative amplifiée pour pallier une éventuelle défaillance — sans compter la crainte que l’on me refoule (effectivement) à l’entrée de la morgue où repose le corps de ma mère.
Il n’en est rien. Le vigile posté à l’entrée de l’hôpital me demande aimablement si je sais où le funérarium se trouve. Je me gare sans trop d’encombre, en outre.
Je suis le premier. D. et M., — le demi-frère de ma mère et son épouse — que je ne reconnais pas immédiatement, ne serait-ce qu’à cause du port du masque, m’emboîtent bientôt le pas pour se rendre dans la chambre funéraire (ils sont déjà venus les jours précédents — une constance dont je m’étonne un peu, sans le manifester pour autant).
Mon père, ma sœur et l’une de mes deux nièces suivent.
Et je suis mon père dans cette pièce où l'on présente sur un chariot roulant les corps des défunts, comme pour m’aguerrir au contact du cadavre — et parce que je ne voulais jamais le faire pour aucun de mes grands-parents auparavant.
C’est ainsi que je caresserai sa main, en m’étonnant qu’elle ne soit plus froide, quelque thanotopracteur s’en étant peut-être mêlé.
J’ai remarqué une rose sur le corps, ainsi qu’une lettre — dont ne s’est pas emparé mon père.
De fait, il n’a pas noté sa présence.
Il ouvre l'enveloppe et constate qu’il s’agit d’une carte de la demi-sœur de ma mère, qui évoque la rupture ayant eu lieu entre entre elles pour une obscure raison, que je me promets d’éclaircir à l’occasion parce que j’aimais cette tante à peine plus âgée que moi (cinq ou six ans tout au plus), qui me donnait accès en son absence à sa chambre, lieu où, durant mon adolescence, je lisais, écoutais ses disques, faisais des enregistrements sur son magnétophone à bandes — et à qui j'empruntais des romans de Roger Vailland, Emile Zola et Guy de Maupassant.
Mon autre nièce arrive, parlant fort, demandant ce qu’on fait de ladite rose et s’extasiant du cœur disposé sur le cercueil (dont j’apprendrai par la suite que sa présence, en fait, était due à mon père).
* * *
Au funérarium, les enregistrements que j'ai réalisés passent sans problème. Ma sœur réclame néanmoins au maître de cérémonie (présent au tout début, mais réduit au rôle d'officiant muet) qu’on fasse jouer les morceaux un peu plus fort.
Je fixe obstinément des yeux le cercueil. Ce n’est rien — décidément1 — qu’un meuble de bois.
Je prête davantage attention que d'ordinaire aux paroles des chansons ; je les évoute comme si c’était la première fois (ne me souvenant que peu d'ailleurs des paroles de la chanson, “L'absence”, interprétée par Serge Reggiani).
Je suis ému aussi par les larmes de mon père.
* * *
Nous sommes ensuite conviés à quitter les lieux pour aller dans une autre pièce et assister quelque dix minutes plus tard aux prémices de la crémation.
Mon père explique alors aux sept autres personnes rassemblées là, en attendant qu’une vidéo ne montre la pénétration du cercueil dans le four crématoire, le choix des chansons, trois d’entre elles lui appartenant en propre, même si ma mère (me dis-je aujourd’hui) aurait sans conteste approuvé son choix.
La vidéo a lieu. (Me trompé-je ? ou avions-nous bien assisté sur place à l’entrée du cercueil de J.-M. dans les flammes — les fleurs [celles que nous avions jetées auparavant les uns après les autres] étant les premières à brûler ?)
* * *
Je raccompagne mon père en voiture jusque chez lui, où nous avons tous rendez-vous.
Sur le trajet, il me dit avoir trouvé « pas si mal » le cercueil pour les indigents qu’il avait choisi sur la foi d’une photo. J'opine en riant, ce trait d'humour contribuant à me détendre.
* * *
L’une de mes deux nièces — A*** — pose bientôt la question du déjeuner. Arrivent le conjoint d’une de mes nièces et ses enfants — que je n’avais jamais vus, l’un âgé de deux ans et demi, l’autre, de cinq mois.
Lui, accepte de se faire fouailler la narine pour pouvoir aller au restaurant — et se rend incontinent dans une pharmacie —, tandis que, de mon côté, j’accepte d’avance d’être ostracisé.
Mon père téléphone au restaurant, et, en même temps qu'il réserve, explique donc que j'ai subi un test datant de trois jours mais qu'entre-temps une deuxième dose de vaccin m'a été injectée.
* * *
Je pars à nouveau avec lui.
* * *
On ne fait aucun problème à notre problème de “pass sanitaire”— puisque, comme l'avant-veille avec T., on ne nous demande rien.
Le repas se passe sans incident — de ces incidents qui sont pourtant l’usage au cours des “enterrements” ou lors de mariages, de vieilles querelles se réveillant tout à coup, quand ce ne sont pas des appétits féroces autour de possibles héritages. Il ne se passe rien, non, à ceci près que je trouve que l’une de mes nièces et son compagnon ne cessent de se trouver des noises au cours du déjeuner !
Et ma sœur, alors que nous nous apprêtons à repartir, manifeste une soudaine envie de vomir.
Nous attendons qu’elle se sente un peu mieux.
* * *
Et puis c’est tout.
* * *
(Enfin — comme tout le reste est littérature — je publie un “post” à chaud à propos de la journée, avant d’écrire ces lignes-ci dans un premier jet, lignes dont je ne compléterai que bien après les linéaments…)
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1 Et ce, même si le lapsus paraît vouloir nier l'assertion…