1386 - Si bien que… ? (22)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si bien que… ?

 

(Journal extime)

Work in progress

 

22

 

20 août 2021

Quelque chose qui s’apparente à de la dépression. Rien qui vaille, au fond, d’être explicité. Ce journal-ci s’est interrompu d’ailleurs. Aucun entrain à le mener. Je me contente de reprendre — avec peine — les pages écrites en juin à Paris, ce qui évite toute actualité et circonscrit mes propos à des moments heureux en compagnie des amis parisiens.

Précisément, on ne devrait écrire — ce que je sais pourtant depuis longtemps — que dans la joie.

 

23 août

J’apprends au cours de la soirée que nous passons chez moi avec Christine et Jean que celui-ci est nettement plus âgé que je l’aurais imaginé. Il a quarante-six ans, quand Christine vient d’en avoir trente-quatre. Décidément, Christine a toujours eu et en a encore un faible pour les hommes plus âgés qu’elle.

J’apprends aussi que l’ami[e ? — me demandais-je à sa mention] de C**** — nous parlons régulièrement de lui avec Christine, toujours à son instigation d’ailleurs —, qu’elle avait évoqué(e) [?] déjà la fois précédente, s’appelle, en fait, Valentin. De savoir cela me met en joie. J’improviserai, mes deux invités partis, un petit refrain dans ma tête en un pastiche d’une chanson célèbre : il avait de jolis petits tétins… Valentin ! — tant la nouvelle m’a ravi —, et tant ce jeune homme, de l’âge de Christine (je ne sais plus quel nombre de jours les sépare, mais on les compterait sur les doigts d’une seule main) est réjouissant à écouter, agréable à regarder, intéressant à entendre

— Tous ont trente-quatre ans (la moitié de la vie ¡), récapitulé-je : Christine, Justine, Anouchka, Julien, Adrien, Romain — et C**** !

 

25 août

Autre révélation, autrement plus dérangeante, qui me fait même passer de la stupeur à quelque une colère rétrospective — en tout cas, une forme très vive d’agacement… —, irritation à propos laquelle je ne sais quelle personne incriminer. Car je ne sais vers qui tourner tout ce qui m’agite ou me vertige : ma mère, mes parents — l’un et l’autre —, ou tout bonnement moi

J’avais donné rendez-vous à ma sœur la veille. J’avais pour idée de ne nous retrouver à la terrasse d’un café (le même, en vérité, que précédemment) afin de resserrer nos liens, de les conforter, après ces longs mois d’épreuve partagée auprès de ma mère — voire de chercher comment aider mon père dans son récent, difficile veuvage. Il ne s’agissait naturellement pas de dégoupiller quelque grenade à retardement, mais, tout à rebours, de jeter l’air de rien (!) une passerelle entre les jours et les êtres, les silences et les affections, les afflictions et les allègements, dans quelque échange anodin, voire lénifiant. On est parfois très naïf…

Sont-ce des justifications ? Peut-être. Peut-être, me disais-je, ai-je pu manquer d’attention envers l’une ou l’autre : je connais mes raideurs, retenues, difficultés à m’épancher. Je me souviens néanmoins d’une complicité qui s’était établie entre ma sœur et moi durant notre cohabitation, laquelle a duré une année, le temps de “mon service militaire”, occasion pour elle de quitter mes parents à l’âge de vingt-deux ans et de larguer des amarres nécessairement incertaines ensuite.

*  *  *

Notre conversation, d’abord toute banale, a roulé sur mon séjour prochain à Paris. Je m’inquiétais à part moi de ce départ, même si c’est mon père, toujours pragmatique, qui avait initié la question, de sorte que j’ai pu déterminer entre sa propre hospitalisation, celle de ma sœur, mes propres rendez-vous médicaux, le moment le plus favorable pour partir, au tout début du mois prochain

Puis il a été question de la succession de ma mère, que compliquent les dispositions d’un régime matrimonial spécifique, prévu par mon père en cas de disparition de l’un ou de l’autre des conjoints — à quoi je n’ai pas entendu grand-chose (je me montre toujours rétif à pareilles considérations matérielles et pécuniaires, j’en ignore la raison, alors que je me sais matérialiste et pragmatisme pour ce qui me concerne — mais me concerne uniquement), sinon que nous héritons d’ores et déjà de la part de ma mère, ma sœur et moi, que nous en sommes les « nus-propriétaires », tandis que mon père s’avère dorénavant l’usufruitier (mais ai-je bien compris ? je ne peux le certifier…) de la moitié des biens. Nous parlons de cela, ma sœur et moi — elle est beaucoup plus avisée que moi à ce sujet —, sans que j'émette trop de commentaires, ni d’avis, ni d’états d’âme, d'autant que nous n'avions bien sûr ni elle ni moi de prétention à l’héritage avant la disparition de mon père.

Cependant, elle, se dit perturbée par cette situation.

Mon père ni le notaire n’avaient réfléchi, par ailleurs, qu’un inventaire serait nécessaire des biens mobiliers [« meubles meublants », ai-je appris par la suite], dont la liste à dresser serait selon toute vraisemblance délicate et longue.

*  *  *

C’est ensuite que le mercure saisit le vif — et que rien de vraiment lénifiant n’a pas pu avoir lieu…

Comment empoigner un pareil paquet de nœuds ? Comment faire — plutôt —, en attendant d’en démêler à mesure certaines implications, pour trancher le substrat ô combien gordien de pareil paquet ?

*  *  *

1386 - Si bien que… ? (22)

Ce que me dit ma sœur me stupéfie, en effet. D’après elle, mes parents auraient ignoré mon « orientation sexuelle », selon ses termes, durant près de trente ans alors que je croyais avoir signifié depuis longtemps auprès d’eux mon amour des garçons.

Il aura fallu, en fait, la rupture avec R., il aura fallu le harcèlement téléphonique à toute heure du jour et de la nuit (nuitamment, en bonne préférence !) de R., en crise, se faisant le délateur zélé du traître que j’étais supposément être devenu tant auprès des amis, parfaitement au courant, eux, qu’auprès de mes parents ; il aura fallu cette crise, violente et continue durant quatre mois au moins, pour que les auteurs de mes jours prennent conscience de préférences dont je dois bien conclure qu’ils n’avaient aucune envie de se les avouer auparavant

 

J’ai donc eu durant toutes ces années la pure illusion d’avoir posé l’affirmation tranquille de mon “identité sexuelle ” en nous installant J.-L. et moi dans le lit de la chambre d’amis du toit familial quand j’avais dix-sept ans. Pourtant, ces deux corps nus dans cette pièce que mon père traversait sur la pointe des pieds pour choisir une cravate auraient dû suffire à l’informer à mon sens de ce que son fils faisait de ses nuits — sans compter les jours, parfois — avec son premier amant. C’est pourquoi je m’étais cru dispensé de tout discours fracassant sur ce chapitre, l’époque n’étant guère encore aux coming out, devenu un ou deux lustres plus tard autant de rigueur que de saison…

Et le regret cuisant me point bien évidemment de n’y avoir pas sacrifié quand j’avais dix-sept ans.

L’ironie veut d’ailleurs que je rendais grâce alors — et l’ai fait au long de ces années — à mes parents de leur compréhension, de leur discrétion, de leur ouverture d’esprit, de leur intelligence, de leur tolérance à mon endroit !

Or, d’après mon père, ma mère refusait tout net de parler de cela avec lui, après qu’elle aura vraiment compris la nature de mes relations avec R.

Or, d’apprendre cela aujourd’hui me blesse infiniment. Car comment ne pas se sentir nié dans une part déterminante de mon être, laquelle a pu conditionner des choix d’existence — ceux-ci décidés, en vérité, en toute conscience dès lors que j’ai compris que je préférais les garçons ?

(à suivre)

 

 

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