1372 - Voyage à Metz (3)

Voyage à METZ

15 juillet 2022

(Work in progress)

3

15 juillet 2022 [suite]

 

Après-midi

 

Après avoir déjeuné très tranquillement et agréablement d’une salade et d’un verre de vin sur la terrasse du Centre, je reprends ma sarabande interrompue avec Eva Aeppli.

 

Eva Aeppli, impasse Robin, vers 1958, Photograhie : Hanjsjörg Stoeclin, Musée Tinguely, Bâle

L’univers que j’explore est un univers morbide et obsessionnel à plaisir, d’une noirceur roborative : « les sculptures textiles à taille humaine », les dessins et peintures, dans leur multiplication et répétition processionnelle, provoquent, lancinante, la vision hallucinatoire de créatures identiques et déshumanisées, partout prêtes à s’animer.

 

Eva Aeppli, Le Tango, 1963, Huile sur toile, 125 × 210 cm, Donation Niki de Saint Phalle, 1993, Stockholm, Moderna Museet

Eva Aappli, Lili et Lülü. Janusköpfige Figur [Figure à tête de Janus], 1974, Soie, kapok, ouate, velours, visage coloré à l'aquarelle et tige métallique, H. 185 cm, Erbengemeinschaft Luginbühl

Eva Aeppli, les Cinq Veuves, vers 1969, 5 figures : soie, kapok, ouate, voile et tiges métalliques, 130 × 260 × 90 cm

Eva Aeppli, Groupe de 13, Hommage à Amnesty International, 1968, 13 figures : soie, kapok, ouate, velours, tiges métalliques et 16 chaises, dimensions variables, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne

Eva Aeppli, Groupe de 48, 1969-1970, 47 figures : soie, kapok, velours et fer, dimensions variables, Stockholm, Moderna Museet

La collaboration avec Jean Tinguely, le recours à des moteurs, permet, précisément, que soit franchie cette limite qui paraissait leur manquer…

Jean Tinguely (Suisse, 1925-1991), l'Avant-Garde, 1988, Ferraille, masques de carnaval en papier mache, courroie. roues en bois et moteurs électriques, 255-205-270 cm, Donation Beatrice Mühler-Oesch Bale, musée Tinguely

Eva Aeppli et Jean Tinguely, Erdhexen (The Terrestrial Witches), 1991, Silk, kapok, wadding, velvet, choir, shirts, metal rods, metal structure, wooden wheel, canapé, electric motor and pallets, 230 x 190 x 420 cm, Paris, Centre National des Arts Plastiques © Internet

Tout cela va sans parodie ni humour (noir). Dans la Table, réécriture de la Cène, « [p]remier groupe rassemblant plusieurs figures individuelles », « [l]a Mort […] a » bel et bien « volé la place du Christ au centre de la composition », quoi qu’en paraisse s’en défendre l’auteure, alléguant (dans une lettre de 1999 où elle « livre l’unique témoignage écrit sur son œuvre ») son interprétation, que l’on n’est pas obligé de suivre.

Eva Aeppli, la Table, 1965-1967, 13 figures : soie, kapok, ouate, laine, fil de soie, velours, tiges métalliques, 13 chaises et table en bois, 125 × 480 × 70cm, Stockholm, Moderna Museet

Andy Warhol, The Last Supper (Camel/ 57), 1986, Polymère synthétique et encre sérigraphique sur toile, Mugrabi Collection

Dans les sculptures les plus tardives, qu’imprime une bascule ou un mouvement giratoire, l’humour se fait grinçant — ce dont témoigne le titre donné à cette roue cauchemardesque.

Eva Aeppli et Jean Tinguely (Suisse, 1925-1991), Komm mit mir auf die Schaukel Luise [Louise, viens faire de la balançoire avec moi], 1991, Ferraille, moteur électrique, 6 têtes en tissu rembourrées de kapok et boas en plumes, 190 × 140 × 100 cm, Bâle, Musée Tinguely

Partout la mort semble entreprendre son empire, son entreprise castratrice,

© Internet

Annette Messager (Berck, 1943), Les Spectres des couturières, 2015, Éléments divers, simili cuir et cordes, dimensions variables, Courtesy de l'artiste et Marian Goodman Gallery

et jamais elle ne paraît vouloir desserrer son emprise, ce qu’atteste, cette fois, la profusion de squelettes et crânes,

Niki de Saint Phalle (France, 1930 - États-Unis, 2002), Le Capitaine Hook (Le Pirate/ Tête), 1964 ,Tissus, laine et objets divers sur grillage, 129 × 90 x 32 cm, Collection Pictet

— obsession qui, par capillarité, infuse aussi les œuvres des compagnes et compagnons qui ont côtoyé les créations d’Eva Aeppli.

Eva Aeppli, les Chérubins, Huile sur toile, 113 x 145 cm, Donation Niki de Saint Phalle, Stockholm, Moderna Museet

Plus peut-être qu’au baroque, l’on songe au mouvement décadent, à ses figures mortifères de carnaval ou de bal…

* * *

Au niveau inférieur, je m’arrête une dizaine de minutes devant un écran géant où sont projetées « plus de 90 millions d’images évoquant la nature (des fleurs, des arbres, des champignons, des paysages, des nuages), combinées de manière aléatoire », « Machine hallucinations » due à Refix Anadol — d’une autre sorte colorée que le monde en noir et blanc proposé par Eva Aeppli.

Refik Anadol, Machine hallucinations. Rêves de nature, NFT (« Non Fungible Token » ou jeton non fongible*), Sculpture de données d’intelligence artificielle, Ecran LED, 10 m x 10 m

* « Une œuvre NFT (photographie, peinture, vidéo, mème,  film…) prend […] la forme d'un fichier numérique auquel est rattaché un certificat d'authenticité numérique la rendant unique et non interchangeable ».

Parcourant la librairie du Centre, je vois à l’étal un ouvrage consacré aux vitraux de Jean Cocteau de l’église Saint Maximin de Metz, qui promettent d’autres « hallucinations » — et que je me propose de découvrir par la suite, n’ayant jamais auparavant eu vent de l’endroit.

Je me rends entre-temps au centre ville, où j’achète — but plus trivial également à mon ordre du jour — un pantalon en toile bleu marine ainsi qu’un sweat-shirt vert amande, l'un et l'autre particulièrement bien soldés.

Durant une halte sur une place en retrait, je bois une bière en terrasse, le temps de défatiguer un peu mes pas. Je me remets en route ensuite, passant devant la cathédrale Saint-Etienne, non sans songer aux vitraux de Chagall que j’avais revus en juillet dernier. Je dispose d’un peu encore de temps pour découvrir ceux de Cocteau, très curieux de visiter l’endroit.

Je crois d’abord l’édifice fermé. J’en fais le tour jusqu’au chevet, empruntant une étroite ruelle.

Aucun autre accès n’étant possible, je retourne dans la rue et constate en actionnant le loquet que les lieux sont bel et bien ouverts.

L’église est tapissée d’une moquette bleu roi à l’intérieur, sans doute destinée à renforcer la dominante des vitraux mêmes, et des lustres modernes à quatre branches de différents coloris sont suspendus comme pour mieux m'accueillir.

Je vais seul dans ces lieux, m’attardant à l’envi devant chaque vitrail.

[Je visiterai, depuis, divers sites — dont celui-ci,

http://espacetrevisse.e-monsite.com/pages/expositions/les-vitraux-de-cocteau-de-l-eglise-st-maximin-de-metz.html

qui, outre des commentaires intéressants, propose en incrustation une vidéo éclairante, remarquablement documentée et illustrée, intitulée Jean Cocteau à Metz : je décalque l’invisible.]

*  *  *

Puis, n’ayant dorénavant plus qu’une envie modérée de retourner dans la galerie commerciale parcourue le matin (pour m’acheter, qui sait ?, une paire de chaussettes ? de chaussures ?), parvenu à hauteur du Centre Pompidou, je détourne mes pieds afin de boire un nouveau demi en face de la gare, en attendant l’heure du train pour rentrer à ****, évidemment réjoui de cette journée.