1396 - Voyage en Meuse (1)
Voyage en Meuse
(1)
Mercredi 3 novembre 2021
Matin
Je revois le médecin. Nous nous accordons pour modifier la prescription du neurologue, de réduire à 60 mg la dose des statines.
Elle me conseille le thym pour la rhinite. Je ne sais pas si je sacrifierai aux infusions, que je ne goûte guère et qui produisent après coup des bouffées de thym émanant de l’appareil digestif.
Après-midi
J’attends Patrice à son arrivée de train dans le café où travaille Dimitri.
En début de soirée, heure à laquelle je ne suis pas accoutumé, les lieux sont bondés.
Au moment où j’embrasse Patrice, je respire un effluve récent de tabac.
Il commande un verre de pinot noir d’Alsace, trop frais à son goût — servi, de fait, comme un vin rosé.
Dans un message que j’ai reçu en début d’après-midi, il avait proposé de m’inviter au restaurant, et nous arrêtons donc de plutôt déjeuner le lendemain chez moi et de dîner en ville.
Emma a repris le travail, non sans plaisir. L’enfant est conduit à la crèche dans la journée.
Anne poursuit des pourparlers, désormais en bonne voie, avec un repreneur de son bail, tant et si bien qu’elle pourrait prendre sa retraite assez rapidement, peut-être en début d’année.
Lui, ira à La R*** durant quinze jours la semaine prochaine, afin de repeindre en partie l’appartement dont elle est locataire : Anne a été victime d’un dégât des eaux et a touché une indemnité, insuffisante néanmoins pour tout remettre en bon état, repeindre notamment les bas de porte mais s’occuper d’autres avaries encore ; aussi Patrice s’y attellera-t-il durant son séjour.
Nous partons à la recherche d’un endroit où manger. En chemin, il allume une cigarette. Il commente cette reprise du tabac, en prétendant en limiter les incidences et gérer sa consommation. (Je ne dis rien. Je songe à part moi que son père et son frère sont morts tous deux d’un cancer généralement attribué au tabagisme. Je ne dis rien : j’ai moi-même tant fumé. La vie s’épuise de toute façon à son rythme propre — elle est un long cancer, selon une plaisanterie qu’il me prend de temps à autre de risquer. Autant que ce ne soit pas, pour autrui, pour soi, dans la souffrance pourtant. Je ne crois pas que J.-M., dont nous commémorerons le souvenir le lendemain, aurait reproché à son cadet de n’être pas parvenu à cesser de fumer.)
Le premier restaurant que je lui désigne lui convient.
Après que le serveur — moyennement aimable — a visé notre « pass sanitaire », nous nous installons à l’étage, à l’invite et sur les pas mêmes d’un.e maîtr.ess.e d’hôtel autrement accorte, laquelle sera notre amphitryon local.e et remplira nos verres de vin, de façon plutôt généreuse par la suite, au prétexte de finir l’une ou l’autre bouteille entamée.
Pour apéritif, Patrice commande un verre de Côtes du Rhône blanc très agréable.
Nous devisons de choses et d’autres en rapport avec le contenu de nos assiettes, associations d’idées plus ou moins heurtées (je raconte notamment que nous avions dîné là, Pascal, F. et moi, à je ne sais quelle occasion), bâtons rompus à peine interrompus par notre serveuse, qu’on entend, à une autre tablée, expliciter à des touristes les produits du terroir, cru ou nourriture solide, attestant une ignorance de certains détails : elle nous expliquera, avec un trémolo déceptif dans la voix, avoir dû quitter un Paris où elle a habité trente-et-une années — un point commun avec Patrice, mais selon un trajet inverse — pour la Lorraine, où elle se trouve fraîchement débarquée…
Patrice a invité les parents du compagnon de Lucie le dimanche précédent, ce qui l’a passablement occupé (Patrice est un bon cordon bleu, et il tenait à bien recevoir ses invités). Anne, qui ne les connaissait pas encore, est venue pour l’occasion, profiter de Paris — ce qu’un budget serré ne lui permet que temps à autre. La rencontre, me dit-il, s’est bien passée, inscrivant davantage encore le petit couple dans l’avenir radieux qui lui est promis (lui, s’est trouvé un poste au Ministère des Finances).
Tout ce que nous mangeons est très bon, mais se recroqueville sur l’assiette en jouant les portions congrues. Nous nous en consolons par les verres que nous buvons. Le pinot noir de Côtes de Toul — à quarante minutes (!) d’où nous nous trouvons, entend-on préciser, et je souris de cette inexactitude en espérant que cela ne prendra pas autant de temps pour traverser le toulois le lendemain ! — est « bien fait » et, cette fois, servi à température idéale.
J’explique à Patrice que la mère du restaurateur a été la gérante et coiffeuse d’un salon, que nous avons été quelques temps ses clients, J.-M. et moi, avant que J*** ne s’occupe à son tour de nos têtes, après qu’elle-même, en fait, en a eu ras la coupe d’un métier qu’elle trouvait trop répétitif… Chantal est, par ailleurs, une élève et amie de Simone, que j’aime bien, et que j’ai quelquefois plaisir à croiser entre deux cours.
Il n’est pas si tard quand nous sortons des lieux.
Nous décidons alors d’un commun accord d’aller au C*** prendre un dernier verre. Le lieu nous rappelle une jeunesse que, sans tout à fait l’avoir partagée, nous avons vécue sur un même fuseau temporel. Lucie, une autre ancienne élève dont j’avais espéré — à défaut de celle de “Germain” ¡ — la présence, douce et toujours agréable, devenue serveuse à l’instar de Dimitri, paraît définitivement en allée de l’endroit…
Nous n’avons pas tant bu, mais l’effet de la fatigue sans doute alentit notre conversation. Nous rentrons bientôt, non sans avoir organisé le lever du lendemain.
Patrice n’est pas venu chez moi depuis un peu plus de huit ans et commente quelques changements survenus entre-temps. J’ai disposé par plaisanterie en-dessous du lustre près de la cuisine et de la salle d’eau une poubelle destinée au tri du plastique, du carton et du plastique, pour qu’il ne s’y cogne pas la tête malencontreusement, comme il arrivait parfois.
Nous regagnons rapidement nos chambres respectives, de sorte de nous lever suffisamment tôt le lendemain pour ce en voyage en Meuse que Patrice m’a demandé de faire avec lui.