1397 - Voyage en Meuse (2)
Voyage en Meuse
(2)
4 novembre 2021
Nuit que froissent des rêves agités. Je lis au milieu de la nuit. Et, parvenant pas à me rendormir, me lève tôt.
Matin
Patrice émerge une heure plus tard. Il n’a pas été dérangé dans son sommeil, vraisemblablement moins léger que le mien, par le jeune Erwan et sa jactance accoutumée.
Nous préparons divers outils et produits nettoyants pour le cimetière de L***.
Nous nous arrêtons en chemin chez un fleuriste et Patrice achète deux pots et un bac de fleurs destiné au caveau familial.
Est-ce pour ne pas évoquer J.-M. ? la conversation dans la voiture se fait essentiellement météorologique. Nous craignons, en effet, de devoir nous tenir sous la pluie, celle qui sévit dans le grincement des essuie-glace au départ de ****.
Heureusement, il n’en sera rien, et l’expédition pour nous rendre sur place durera moins de temps que je ne me l’étais figuré.
Nous sommes bientôt dans ce cimetière dont la pente s’ouvre sur une jolie vue, même si les nuages densément massés lui interdisent de prendre des allures de carte postale.
Pendant que Patrice œuvre au nettoyage du caveau familial, je m’amuse de cette monument funéraire qui se donne, elle, les allures de la colonne d’Arcadius.
Patrice a passé, dans cette petite ville de la Meuse qui jouxte C***, sa jeunesse (à l’instar de J.-M.), mais, s’il m’a désigné auparavant la maison familiale (que je n’aurais pas reconnue lors de notre passage depuis la route), nous ne nous attarderons pas, et je lui sais gré de cette absence de nostalgie (il me revient que nous avions cueilli des fraises dans le jardin derrière la maison, la seule et unique fois sans doute, après le décès de son père, que je n’ai pas connu, où nous étions venus, J.-M., Pascal et moi).
Sur le trajet du retour, nous parlons d’une amie qui devrait emménager ou s’est déjà installée dans une ville proche, après avoir quitté Paris, puis d’autres couples d’amis et de leurs enfants. De leur côté, ni Patrice ni Anne n’envisagent pas de quitter la capitale. Voire : Anne est impatiente de s’y trouver à nouveau.
Il n’est pas encore midi que nous sommes rentrés chez moi. Je prépare un repas d’autant plus rapide que, après émincé quelques champignons, je n’ai plus à qu’enfourner les vol-au-vent achetés chez le boucher la veille et à faire cuire du riz.
Après-midi
Nous passons celle-ci dans le centre historique de Nancy.
Je m’amuse de ce que, tel le touriste de passage, Patrice veuille rapporter des macarons et des bergamotes : Anne, m’explique-t-il, est friande des uns et des autres (le matin, il avait renoncé aux madeleines de Commercy, alors même que nous passions tout près d’un magasin de gros au sortir de la ville et que nous aurions sans encombre pu nous y arrêter). Je m’étonne à part moi du prix, plutôt élevé, dont il doit s’acquitter ensuite.
Puis nous arpentons la vieille ville (prétendument et prétentieusement nommée “ville vieille” depuis une ou deux décennies).
Comme elle est ouverte, en remplacement du Musée lorrain (dont la fermeture se prolonge indéfiniment), nous visitons l’Église des Cordeliers,
sa chapelle ducale, dont nous admirons le dôme polygonal, ses « 386 caissons sculptés par Siméon Drouin d’anges, d’étoiles et des chiffres des ducs Charles III ; Henri II, François II et Charles IV » et son lanternon.
Attribué à Hugues de La Faye, Anges tenant les instruments de la Passion, 1er quart du XVIe siècle, Fresque
Cénotaphe de Philippe de Gueldre, 1ère moitié du XVIe siècle, Calcaire, Nancy, Palais des ducs de Lorraine - Musée Lorrain
Ligier Richier (Saint-Michel, vers 1500 - Genève, 1567), Gisant de la duchesse Philippe de Gueldre, 1548, Calcaire, Nancy, Palais des ducs de Lorraine - Musée Lorrain
Près de la Porte de la Craffe, Patrice me désigne l’endroit où il logeait au moment où il faisait ses études, avant d’habiter quelques temps chez J.-M. (je me rappelle un de ses amis, Douglas, un Américain très beau qui obéissait en tout au cliché de l’Américain au sourire éclatant, aux épaules plutôt larges — les chemises blanches seyaient au torse bien découplé de ce brun à la chevelure presque noire — et — last not least — aux fesses et cuisses joliment moulées dans son jean idéalement taillé pour lui : il était, en outre, d’une gentillesse confondante, et je ne lui connaissais qu’un défaut, celui d’être toujours flanqué de son amie, américaine elle aussi, bien que celle-ci fût très gentille elle aussi !).
Il me semble reconnaître alors, en-dessous de l’étage qu’il me désigne, grâce à la physionomie générale de l’immeuble, même s’il a changé d’enseigne, le restaurant où Hannah — cinq cents ans après la mort de Charles le Téméraire à quelques mois près, ai-je appris en révisant mes fiches lors notre promenade !) — a, elle, enterré sa vie de jeune fille ! Nous étions immensément tristes, il m’en souvient, Simone et moi (j’ai déjà raconté pourquoi), ce jour-là… Patrice, qui se souvient du nom du restaurant, m’assure que je ne me trompe pas.
Nous prenons un verre (Patrice, un thé vert) dans un bar de la Place Saint-Epvre où naguère — avant le confinement — j’étais accoutumé à me rendre. Stéphane, le serveur, ne hâte pas de nous servir et ne fait montre d’aucune formule de reconnaissance, non plus, ensuite, que Gilles, qui circule entre les tables. J’ai pourtant passé bien des moments sur place, et il est arrivé que le premier fasse assaut d’humour, voire de marques de sympathie ou de complicité à mon égard, comme envers T. Tout cela n’incite guère à revenir. Nous ne nous attardons d’ailleurs pas.
Rentré, je regarde les photographies prises durant la journée.
Puis, l’heure du départ approchant, en attendant l’heure du train, nous allons cette fois dans le café où officie Dimitri.
Il nous fait meilleur accueil que — je ne peux m’empêcher de le noter, puisque ce n’est pas la première fois — lorsque je me trouve en compagnie de T., Marthe ou Paul, en accompagnant son service, à l’instar de Stéphane naguère, de quelque formule spirituelle.
Nous glosons le port du masque tel qu’il paraît se pratiquer dans cet établissement tout proche de la gare. Les habitués s’en avèrent affranchis, à la différence de la clientèle de passage, et ce, d’autant que mieux les serveurs ont loisir d’aller et venir à visage découvert désormais.
Soir
Je reçois un message de remerciement de Patrice. Je lui répète, en retour, d’embrasser Anne pour moi au moment où il la retrouvera. Peut-être quand je le reverrai (me dis-je le lendemain) nos dîners, non sans charme en vérité entre célibataires, seront-ils terminés ; mais, comme j’aime beaucoup Anne, le désir me brûle aussi de la revoir…
J’appelle, pour organiser le rendez-vous avec le jeune homme qui sera, puis-je espérer, mon locataire le lendemain.
5 novembre
Je signe le bail avec ce drôle de corps de vingt-et-un ans, habillé grunge, les bras tatoués et le visage arborant divers piercings, aux allures douces et timides, qui travaille dans le bâtiment, et que j’ai préféré à quelques autres candidats locataires.
Il est venu avec sa mère, qui se porte caution pour lui. Comme il a oublié (?) son carnet de chèque, elle lui offre son premier loyer ainsi que le dépôt de garantie.
6 novembre
Cette année, je ne manque pas de sacrifier à l’écoute de Chanson pour une absente alors que j’attends T., Paul et Marthe, invités à venir chez moi passer l’après-midi.