1404 - Mais… en attendant de partir ? (4ter)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Mais… en attendant de partir ?

 

(Journal intime, 18 août - 24 septembre 2022)

 

Work in progress

 

 

4 ter

 

1404 - Mais… en attendant de partir ? (4ter)

 

16 septembre 2022

Nous sommes plutôt nombreux dans ce hall à attendre. Et je suis en retard. Le GPS — selon les dires d’une femme à qui, en désespoir de cause, j’ai demandé mon chemin — m’avait égaré.

Nous sommes nombreux, patients parqués dans ce hall de clinique à devoir patienter. Les minutes, déjà grosses de l’attente, passent et passent sans que soit appelé quiconque. Aussi s’allongent-elles encore.

Je constate bientôt que seuls deux guichets fonctionnent, l’un pour les sorties, l’autre pour une pré-inscription de rigueur avant de rencontrer un spécialiste. J’évalue à au moins une demi-heure le retard déjà pris auprès de l’anesthésiste avant de pouvoir espérer parvenir au guichet de “pré-inscription”.

Puis le mouvement daigne s’accélérer un peu. Trois réceptionnistes officient désormais. Sont reçues plus rapidement les deux patients — ils étaient cinq ou six quand je me suis installé — qui demeuraient avant moi.

 

La femme qui me reçoit enfin est peu aimable. Elle me fait répéter, une nuance d’irritation dans la voix, mon nom, que j’ai bredouillé. Je prends sur moi de jouer les Stentor, prêt pourtant déjà à toutes les défaites. D’ailleurs, je suis bien obligé de constater que j’ai oublié chez moi ma “carte vitale” et ma carte d’identité sur la vitre du photocopieur après avoir entrepris de reproduire ces précieux sésames.

Heureusement, j’ai leur double dans ma pochette.

Sans le conserver, mon interlocutrice photocopie absurdement la photocopie, après avoir dit, ce qui me soulage tout à fait, pouvoir se contenter de cela. Comme, par ailleurs, ce que j’ai déjà prérempli paraît la satisfaire et qu’elle se radoucit un peu (peut-être a-t-elle noté mes difficultés d’élocution entre-temps), je me détends de quelques tours sur mon ressort. Le fil d’Ariane qu’il me faut suivre pour parvenir jusqu’à l’étage où il me faut me rendre m’est toutefois débité un peu rapidement, et je demande donc que soit répété l’itinéraire jusqu’à l’ascenseur.

 

Je marche alors le long d’un couloir (qui met mes pas dans d’anciens pas) au cours de la signalétique rose que je suis, poursuis yeux collés au sol, après être monté d’un ou deux étages : je me souviens, en effet, de pareil corridor vitré parcouru pour me rendre jusqu’à la chambre de Marthe hospitalisée là en raison d’un cancer du sein — puis, sans doute au même niveau (« oncologie » ?), un an ou deux plus tard, jusqu’à la chambre de J.-M. Je note cela machinalement, sans m’y attarder, sans y lire, sur le moment, un « ramentevoir » qui n’est dans doute pas entièrement anodin

 

Au terme de ce dédale de flèches roses qui bifurquent au gré de couloirs et de doubles portes à traverser, je retrouve, dans une nouvelle salle d’attente, la plupart des patients qui me précédaient.

Je salue poliment à la cantonade : j’ai déjà constaté, alors que les uns et les autres venaient s’agglutiner dans le premier lieu, cet empressement à manifester une politesse qui paraît également exprimer le sentiment diffus d’une solidarité…

 

Il est presque 14 heures — quand j’avais rendez-vous, en fait, trois quarts d’heure auparavant. Je n’arrive guère à lire. Ce retard m’obsède : n’ai-je pas, en fait, passé mon tour ? Parce que c’est, certes, une évidence que compliquent (malgré tout) d’autres implications : ici chacun attend son tour. Et chacun, en attendant ce tour, fait d’instinct le dos rond. Chacun se fait humble. Car ce tour quel est-il sinon celui désormais d’un malade impatient d’un soin tout en redoutant l’issue, voire le verdict, de son rendez-vous ? Et l’on sent des désirs latents d’épanchement sur son cas. Pourtant l’on retient des paroles à ce sujet : s’il existe des préséances dans la maladie, y en a-t-il pour autant dans la complication, dans la guérison, la rechute, ou l’exemption de tout soin ? Et de faire le dos rond ne permettait-il pas, quoi qu’il en soit, un énoncé définitif, cependant ?

C’est peut-être un raisonnement analogue à quelque pensée magique auquel je cède moi-même. Je ne sais, en effet, ce qu’il faut penser de cette politesse hasardée par les uns et les autres, même si je la trouve plutôt bienvenue… On se sent pris, par ailleurs — chacun le mesure, même obscurément — dans les rets d’une autorité contre laquelle on ne peut se débattre — ou si peu —, tant et si bien que toute espèce d’arrogance s’abolit dans l’attitude de tous, chacun arrondissant l’échine et le geste

 

Le temps passe tant et plus sans que, dans le défilé des différents médecins qui se présentent à la porte, soit appelé mon nom. J’ai complètement renoncé à lire.

Après avoir balancé un moment, je m’enhardis à demander autour de moi si quelqu’un doit rencontrer le Docteur F****. Une femme opine. Je m’enquiers de l’heure à laquelle elle est censée passer. « 14 heures », me répond-elle. Il est 14 heures 30. Je me prends à espérer qu’il reste possible que l’anesthésiste soit très en retard.

 

Enfin, un homme se présente, qui m’appelle. Je croyais devoir avoir affaire à une femme ; mais je suis bientôt engagé à m’asseoir dans un bureau face à cet homme plutôt âgé qui arbore sur sa blouse son patronyme, F****, en effet.

Je m’emmêle dans mes papiers, ne trouvant d’abord pas le dossier dûment complété qui lui est destiné. Je me montre embarrassé et, comme je suis malgré moi impressionné par cette mine que je ne peux que supposer que sourcilleuse et professionnelle, fût-elle d’emprunt ou d’opérette, sous le masque (tout le personnel a cette mine, impatiente, sinon contrariée, sans qu’il soit besoin de voir vraiment le visage en son entier), j’appuie en proportion une mimique de l’embarras. Quand je retrouve l’objet convoité, on parcourt les lignes si consciencieusement remplies ; à quoi suivent des questions auxquelles je m’avère plutôt en peine de répondre : la nature de la septicémie en 1985, ainsi que celle de l’opération pratiquée en 2020 à la suite de l’AVC. J’explique avoir scrupuleusement recopié l’intitulé du descriptif dans le rapport du neurologue, mentionne la pose d’un “stent” dans la carotide, en exprimant le regret de n’avoir pas pensé à photocopier ledit rapport. Je reçois quelques miettes de gentillesse — ou d’indulgence — en retour : on m’assure que ce n’est pas grave au demeurant…

Je ne suis pas le seul pour autant à être victime de confusions. Concernant les médicaments que je suis amené à prendre au quotidien, les consignes qu’il me donne quant à leur prise la veille et le jour même de l’opération apparaissent erronées sur la feuille qu’il imprime, tant et si bien qu’il me la reprend et la froisse plutôt rageusement. Au moins, dans les rôles respectifs et pourtant inverses que nous devons tenir l’un envers l’autre, partageons-nous une même contrariété…

* * *

Plus difficile à rapporter à propos de ce double passage chez le gastroentérologue et l’anesthésiste sont les inquiétudes qui m’agitent depuis cinq à six mois et qui concernent les embarras intestinaux et autres avaries de tuyauterie dont je suis la proie. Passons sur les gargouillis infâmes — immondes, au sens premier du terme — et les maux de ventre, de plus en plus aigus. Passons plus encore sur la défécation incontrôlée, les sphincters n’obéissant plus, qui m’a pris lors d’un retour chez moi après un restaurant avec T. à la fin de l’hiver [?]. Se conchier ainsi un jour avant d’atteindre le grand âge et sans avoir été victime d’une immense frousse est à la fois désagréable et terriblement humiliant…

* * *

[Ajout du 8 octobre 2022 :] Je n’ai pas rapporté précédemment ce moment où, le dimanche 11 septembre dernier, deux personnes m’ont hélé alors que j’entrais dans un café en compagnie de T.

J’ai reconnu E***, une collègue qui enseigne le français, et son compagnon, L***, un enseignant de philosophie, que j’aime guère et avec lequel j’ai eu maille à partir, que je n’avais pas vus depuis un peu de deux années. Or, ils m’accueillent avec force sourires et démonstrations d’amitié, tout en demandant chaleureusement de mes nouvelles… Et lui de se lancer dans une assez longue narration : il sort d’un long congé maladie en raison d’un cancer à l’estomac dont il est dorénavant guéri grâce à un chirurgien dont il chante les louanges — de même que celles des cliniques luxembourgeoises, s’étant fait opérer en effet au Luxembourg puisque E*** et lui y travaillent, les émoluments y étant autres que ne l’était naguère leur paie de professeurs de l’Education Nationale française

1404 - Mais… en attendant de partir ? (4ter)

A quoi je raconte mes propres maux, avec le plus de légèreté que je puis — non sans songer obscurément que je n’aurais pas la chance de L*** au cas serait diagnostiqué le même type de cancer ¡…]

 

Dimanche 18 septembre

Tout en ayant différé, j’expose ma situation de futur opéré à mon père et ma sœur. Ma sœur m’offre spontanément de m’emmener et rechercher le jour dit. Les détails qu’elle expose à propos du protocole à suivre dans les trois jours avant la coloscopie du 4 octobre démystifient quelque peu et dégonflent l’inquiétude qui avait crû au cours de dernières semaines écoulées, depuis que rendez-vous avait été pris auprès du gastroentérologue.

* * *

J’adresse un message à Duncan au cas où il serait disponible le dimanche suivant à l’heure du déjeuner.

La perspective de mon séjour parisien m’apparaît de plus en plus comme une planche de salut que rien, j’espère, ne viendra savonner

 

 

 

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