1409 - Si bien que… ? (32)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si bien que… ?

(Journal extime)

Work in progress

 

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1409 - Si bien que… ? (32)

 

27 décembre 2021

Je me poste au P****, au cas où j’apercevrais Justine ou Romain. Avec ma sacoche, en voulant m'installer, j’emporte une fine baguette cloutée d'un des champs de la table.

Je ne ressens aucune nostalgie. La clientèle durant ces quelques derniers vingt mois s’est beaucoup renouvelée. Je ne reconnais personne, hormis un jeune homme à la pilosité blond roux, plus barbu qu’il ne l’était auparavant — ce qui est bien du temps. Il a engraissé. Je lui donne entre trente et trente-cinq ans, désormais. Le barman au comptoir et la jeune fille qui servent sont tout nouveaux. Cependant, Gil, un ancien serveur, fait une courte apparition, avant de s’installer sur la terrasse. (Je n’ai jamais très bien compris pourquoi les garçons de café aiment ainsi tant venir sur leur lieu de travail, à moins que ce ne soit pour le plaisir particulier de se faire servir…) Les confinements successifs ne lui pas ont vraiment réussi : il est devenu gras, plus encore que le jeune homme reconnu tout à l’heure, et dont j’aperçois la peau nue entre la taille du pantalon et le pullover, alors qu’il sort pour téléphoner à l’extérieur.

 Davantage de gens se sont installés dehors, plutôt qu’à l’intérieur. Ce sont de grappes de jeunes ou de très jeunes gens fumeurs, installés sous les calorifères — il ne fait pas très froid, 8 ou 9 degrés — que, par plaisanterie, j’appelle les « grille-pain » (la première fois que j’ai vu cela, c’était à Paris, dans le Marais, en compagnie de N***, en octobre 2009 ; ils ont prospéré depuis…).

 

Rendez-vous a été confirmé hier soir — et précisé quant à l’horaire aujourd’hui — avec Nathalie, Léo et Sylvia (puisque tel est son nom, que je n'avais pas retenu mais que me réapprend sa signature) pour demain. J’accuse réception de son dernier message.

 

 

 28 décembre

Nathalie est la première. Comme le café choisi pour notre rendez-vous ne paraît pas encore ouvert, nous attendons Léo et Sylvia. Nathalie plaisante : elle est obligée de guetter l’arrivée de Léo ; elle a lui a confié la veille son vélo (ils ont passé la soirée ensemble et ils se sont couchés à une heure et demie du matin) ; or, c’est elle qui a la clé de l’antivol.

Venant d’une direction différente, Léo et Sylvia arrivent concurremment.

Nous décidons d’aller au P*** et je m’amuse de constater que tous trois se sont prestement affublés du masque (dont j’ai entendu le matin qu’il était dorénavant obligatoire [? — sans doute : facultatif] dans les centres villes).

Ces trois-là se connaissent depuis le lycée — et se connaissent bien. Aussi, comme ils sont également bavards, est-ce souvent que je peine à suivre leur conversation, qui fuse, et ce, non sans m’épuiser un peu, d’autant que je dois emmagasiner toutes les informations les concernant.

C’est l’anniversaire de Nathalie. Ils lui offrent, l’une un roman d’un écrivain letton, l’autre un livre de recettes d’un grand chef israélien (si j’ai bien suivi, puisque j’ignore de qui il peut s’agir…).

Je demande à « réactualiser mes fiches » en demandant où Léo et Nathalie se trouvent désormais. Léo est toujours à Berlin, jouant du violon dans différents orchestres de chambre qui le demandent ici ou là. Il passera très prochainement des auditions, des sortes de concours en aveugle, qui lui vaudraient d’être promus remplaçants au sein de plus grandes formations. Nathalie, qui a toujours été celle à le plus bouger, commence en début d’année une vacation d’études hébraïques à l’Université de Graz (j’en étais resté à Londres ; entre-temps, elle a résidé en Israël, à Budapest, entre autres lieux). Je me souviens l’avoir rencontrée à Berlin en 2005 — c’est elle qui nous avait avisés, R. et moi — dans la file d’une exposition consacrée à Goya : elle voyageait seule entre différentes villes d’Allemagne, manifestant un enthousiasme juvénile qui nous avait impressionnés. Ces derniers temps, elle habitait, elle aussi, Berlin, et devra sous-louer son appartement durant son séjour autrichien. J’apprends incidemment que Julie habite une ville d’Allemagne (Essen ?), après avoir (anciennement) résidé à Brème, puis divers endroits en Hollande ; elle devrait prochainement épouser un batteur que connaît Léo, avec lequel elle connaît un bonheur sans nuage selon l’expression consacrée. Je parle d’une transcription d’une partition de Debussy que j’avais entendue jouer lors d’un récital à l’Opéra de Lorraine dont elle était l’auteure. 

 Je parle un peu de Christine, que connaît un peu Léo, en expliquant comment d’orthophoniste elle est devenue professeure de français, même si j’avais tenté de décourager sa vocation. 
 

Claude Debussy, d’après le portrait de Marcel Baschet, 1884 © Gallica-BnF

Claude Debussy, d’après le portrait de Marcel Baschet, 1884 © Gallica-BnF

Sur ma demande, j’apprends que Sylvia a soutenu sa thèse, qu'elle est titulaire de l’Education Nationale et actuellement en disponibilité afin de pouvoir occuper son emploi d’ATER. 

La conversation roule assez longtemps sur la manière dont chacun, en raison du coronavirus, s’est dépêtré de cours ou de répétitions à distance, et je retrace la genèse de l’accident cérébral survenu en mai, non sans lien, estimé-je, avec la situation sanitaire que nous subissions alors. Rapportant ces souvenirs d’un travail devenu épuisant et pesant, je me sens gagné par un curieux sentiment d’oppression, et j’écourte donc l'évocation de ce moment.

Dans le fil en aiguille qui fait rebondir d’un sujet l’autre, Léo retrace la situation dépeinte dans une étude symphonique pour quatuor à cordes, harpe et voix inspiré du récit le Masque de la Mort Rouge — dont je lui donne le nom de l’auteur —, tandis que, pour avoir entendu l’œuvre musicale à je ne sais quelle occasion (et peut-être enregistrée), je lui livre le nom du compositeur, André Caplet. En revanche, impossible m'est de retrouver sur le moment le nom de la ville de Salzbourg, qu’eux parviennent cependant à deviner par périphrases et rapprochements successifs ¡

 Nathalie est la première à partir. Elle est invitée à déjeuner par ses parents et est attendue pour midi et demie. Nous conversons encore un peu, notamment de ces vacances de Noël propices à un retour aux sources que semble n’apprécier que peu Sylvia. Léo, qui restera lui un peu plus longtemps que Nathalie et Sylvia (qui rentrent le lendemain), explique que ses parents lui fournissent désormais davantage de champ et de respiration, ne serait-ce que pour s’entraîner à l’instrument. Je ne m’étonne guère d’apprendre incidemment que Martine, la mère de Léo, a dû certainement étouffer ses deux garçons. (De sa propre initiative, elle m’avait invité pour les vingt ans de Léo et, si je n’y étais pas allé — assez stupidement, d’ailleurs, pour ne pas laisser en plan R. —, j’avais fait parvenir le Docteur Faustus de Thomas Mann. Je calcule que Léo a trente-trois ans — l’âge probable de Nathalie, également )

 Je demande des nouvelles des parents de Léo, que connaissait J.-M. — je croise assez souvent sa mère, et je raconte que nous aurions pu nous voir lorsque lui, était venu se faire faire une carte d’identité parvenue à expiration, elle, rencontrée à la terrasse d’un café proche de la gare et attendant leur digne rejeton, en manquant ensuite à sa promesse de me l’amener, toutes choses que je ne narre que partiellement — ; je demande aussi des nouvelles de Marie M., puisque celle-ci était une amie proche, restée en contact avec elle, de sa mère (je me trompe à propos de Charles, le fils de Marie, que je n’ai pas eu comme élève (confusion !) mais que je trouvais, comme par hasard à l’entour de mes classes de classe, adolescent tourmenté dont je soupçonne qu’il se trouvait en détresse dans un établissement technique qui ne lui plaisait pas, dans une cascade d'incidentes qui ne sont pas pour autant des coqs-à-l'âne — et ont leur logique, insoupçonnable et plaisante). 

 Je donne le signal de départ peu avant treize heures. Le moment passé avec eux m’a ravi — je le leur dis — ; mais il m'a aussi singulièrement fatigué… Contrairement à ce que j’avais envisagé, je les quitte sans avoir formulé d’invitation, ne me sentant aucunement le courage de mettre en œuvre un repas, même improvisé… 

 Entre-temps la pluie s’est mise de la partie, et je rentre sous une averse battante et le vent, assaut conjugué que la température douce contrebalance pourtant. 

 

 

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