1424 - Et en attendant d’autres Espagnes… (5)
Et en attendant d’autres Espagnes…
(Paris - Madrid - Tolède - Madrid - Paris)
Journal extime
(10 mai - 22 mai 2022)
5
13 mai 2022 [suite], après-midi
Après la peinture européenne au tournant du vingtième siècle et au-delà, je parcours une exposition sur l’art américain des deux derniers siècles
Josef Albers (Bottrop, 1888-New Haven, 1976) Casa Blanca B, 1947-1954, Óleo sobre lienzo adherido a masonita
Marsden Hartley (Lewiston, 1877-Ellsworth, 1943), Tema musical n.º 2 (Preludios y fugas de Bach/) Musical Theme No. 2 (Bach Preludes et Fugues), 1912, Óleo sobre lienzo adherido a masonita
Ralston Crawford (Saint Catharines, 1906-Nueva York, 1978), Autopista de ultramar/ Overseas Highway, 1939, Óleo sobre lienzo, 71,1 x 114,3 cm
— pour plonger ensuite dans l’art médiéval et renaissant, puis dans d'autres merveilles, au hasard des salles, dans un désordre chronologique ayant pour mérite de susciter la surprise autant que le renchérissement…
A cet étage, les QR-codes des cartels dont je prends des clichés fournissent, pour certaines œuvres du moins, outre des commentaires d’intérêt inégal, la taille des tableaux, ce qui permet d’apprécier leur véritable mesure parmi celles qui épouse la précision virtuose des miniatures et celles qui ont de justes prétentions avec de plus grandes machines faites pour proprement époustoufler et emporter très haut et très loin le regardeur…
Francisco de Zurbarán (Fuente de Cantos, 1598-Madrid, 1664), Santa Casilda/ Saint Casilda, Hacia 1635, Óleo sobre lienzo, 171 x 107 cm
Francesco Guardi (Venecia, 1712-1793), El Gran Canal con San Simeone Piccolo y Santa Lucia/ The Grand Canal with San Simeone Piccolo and Santa Lucia, Hacia 1780, Óleo sobre lienzo
Piéter Jansz. Saenredam, The West Façade of the Church of Saint Mary in Utrecht, 1662, Óleo sobre tabla, 65,1 x 51,2 cm
Watteau (Valenciennes, 1684-Nogent-sur-Marne, 1721), Pierrot contento/ Pierrot Content, Hacia 1712, Óleo sobre lienzo, 35 x 31 cm
Caspar David Friedrich, Mañana de Pascua/ Easter Morning, Hacia 1828-1835, Óleo sobre lienzo 43,7 x 34,4 cm
Eugène Delacroix (Charenton-Saint-Maurice, 1798-Paris, 1863), El duque de Orleans mostrando a su amante/ The Duke of Orléans showing his Lover, Hacia 1825-1826, Óleo sobre lienzo
Jan Brueghel el Viejo (Bruselas, 1568-Amberes, 1625), Cristo en la tempestad del mar de Galilea/ Christ in the Storm on the Sea of Galilee, 1596, Óleo sobre cobre, 26,6 x 35 cm
Petrus Christus (Baerle-Duc, hacia 1410-Brujas, 1475-1476), La Virgen del árbol seco/ The Virgin of the Dry Tree, Hacia 1465, Óleo sobre tabla, 15,8 x 11,4 cm
Andrea della Robbia (taller) (Florencia, 1435-1525), Pareja de ángeles en adoración/ Pair of Adoring Angels, Hacia 1510, Terracota parcialmente vidriada y policromada
Rafael (y colaborador) (Urbino, 1483-Roma, 1520), Retrato de un joven/ Portrait of a Young Man, Hacia 1518-1519, Óleo sobre tabla
Tintoretto, El anuncio a la mujer de Manué/ The Annunciation to Manoah's Wife, Hacia 1555-1559, Óleo sobre lienzo
Bronzino (Monticelli, 1503-Florencia, 1572), Retrato de un joven como san Sebastián/ Portrait of a young Man as Saint, 87 x 76,5 cm
Lucas Cranach el Viejo (Kronach, 1472-Weimar, 1553), La ninfa de la fuente/ The Nymph at the Fountain, Hacia 1530-1534, Óleo sobre tabla, 75 x 120
Jan de Beer (Amberes (?), hacia 1475-Amberes, antes del 10 de noviembre de 1528), La Anunciación/ The Annunciation, Hacia 1520, Óleo sobre tabla
El Greco (Candía, 1541-Toledo, 1614), La anunciación/ The Annunciation, Hacia 1596-1600, Óleo sobre lienzo
Un tableau de Carpaccio est mis en vedette, puisque récemment rénové, attirant l'attention des visiteurs — ils ne sont pas nombreux dans le musée, ce qui permet de circuler tout à son aise — sur des détails
Carpaccio, Young Knight in a Landscape (c. 1505)
et j’achève — ou presque — ma visite par le Caravage et d’autres de ses continuateurs adeptes du ténébrisme non des moindres.
Caravaggio (Milan, 1571 - Porto Ercole, 1610), Sainte Catherine d'Alexandrie, 1598-1599, Huile sur toile, 173 x 133 cm
Ribera, San Jerónimo penitente/ Saint Jerome in Penitence/ Saint Jérôme en pénitence, 1634, Óleo sobre lienzo
Valentin de Boulogne (Coulommiers, 1591 -Roma, 1632), David avec la tête de Goliath et deux soldats, 1616-1618, Huile sur toile
Dirck van Baburen (atribuido) (Wijk bij Duurstede, hacia 1594/1595-Utrecht, 1624), San Sebastián atendido por santa Irene y su criada/ Saint Sebastian attended by Saint Irene and her Maid, Hacia 1620, Óleo sobre lienzo
Il Guercino (Cento, 1591-Bolonia, 1666), Jesús y la samaritana en el pozo/ Christ and the Woman of Samaria at the Well, Hacia 1640-1641, Óleo sobre lienzo
Avant que de quitter les lieux, une exposition sur l’hyperréalisme en art (j'ai oublié, depuis, son intitulé) me convie à allonger les mètres déjà parcourus. A rebours de la collection permanente, beaucoup de monde — quoique dans une moindre mesure (heureusement !) que dans les expositions parisiennes — piétine là.
Tout ne m’intéresse pas uniment parmi ces trompe-l'œil et autres rivalités avec la réalité ou fantaisies composant avec elle, mais certaines œuvres valaient ce détour.
Isabel Quintanilla (Madrid, 1938-2017), Bodegón del membrillo/ Still Life with Quinces, 1989, Óleo sobre tabla, Colección privada
Raffaellino del Garbo, (Florencia (?), hacia 1466-1524), Retrato de un hombre/ Portrait of a Man, Hacia 1500, Temple y óleo sobre tabla, Londres, The National Gallery
Cornelius Norbertus Gijsbrechts (Amberes [?], antes de 1630-después de 1675), Vajilla de plata en una alacena/ Silverware in an Open Cabinet, Óleo sobre lienzo, Gante, Museum voor Schone Kunsten
Jan Van Eyck, Díptico de la Anunciación/ The Annunciation Diptych, Hacia 1433-1435, Óleo sobre tabla, Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza
Giuseppe Arcimboldo (Milán, 1526-1593), La tierra/ The Earth, Hacia 1570, Óleo sobre tabla Viena-Vaduz. Liechtenstein. The Princely Collections
Antonio López (Tomelloso, 1936), Ventana por la tarde/ Window in the Afternoon, 1974-1982, Madrid, colección ACS
Fin d’après-midi
Je surprends dans le bus du retour une conversation — en français ! (de résidents français, très vraisemblablement) — comme quoi il ferait chaud à Tolède dans les jours à venir ! Me voici donc averti — et puni par avance d’excessives déambulations…
Le jeune homme qui attendait comme moi à l'arrêt de bus et dont je m'aperçois alors qu'il saigne à la main tout en tamponnant sa blessure m’emplit d'une soudaine et douce pitié. Cette blessure qui saigne provoque en moi un mélange mystérieux d’empathie et d’identification, non sans prolonger, dans ce contexte très trivial, les vibrations des tableaux vus auparavant, tel le Sébastien si délicatement soutenu par Irène et sa servante, et mon imagination lui porte un instant secours.
Entre érotisme et sacralité, me revient en mémoire, entre maint autre passage possible, cet épisode rapporté dans l’Âge d’homme par Michel Leiris :
Un jour que j'en revenais avec ma sœur et la femme de ménage, nous fûmes témoins d'un accident.
Un jeune garçon boucher qui descendait une côte, lancé à fond de train sur son vélo, dérapa ou prit mal son tournant : il s'en alla donner en plein dans l'arche du pont du chemin de fer et retomba à la renverse, le front ouvert, les bras en croix (?), sa bicyclette tordue affalée près de lui. Instantanément, ma sœur vint au blessé, lava le sang qui coulait de son front avec un peu de l'eau que nous rapportions, s'empressa jusqu'à ce qu'il fût revenu à lui. « On aurait dit une sainte », dit plus tard la femme de ménage, parlant du dévouement de ma sœur avec admiration.
Cette scène m'a fait une vive impression : la soudaineté de l'accident, la bicyclette se cabrant comme si elle allait escalader le pont,puis retombant toute percluse, le garçon inanimé en bleu ciel et blanc comme sont les bouchers, et du sang rouge maculant sa tête, et ma sœur penchée tendrement sur lui pour nettoyer la plaie. Il me semblait que, comme le disait la femme de ménage, ma sœur était bien une « sainte » et qu'elle avait fait là, soignant ce garçon blessé, quelque chose de très au-dessus de son âge, de très moral en même temps que peut-être un peu osé, qui la faisait passer d'emblée de la catégorie des jeunes filles à la catégorie des femmes.
(Michel Leiris, l’Âge homme, Gallimard/ “Folio”, 1939, pp. 108-109.)
* * *
Je pars du café où le serveur de la veille — pourtant peu expansif, qui m’a reconnu et m'a proposé d’emblée un verre de vin blanc — en laissant l’ordinateur. Je m’en aperçois une fois rentré, au moment où je vide ma sacoche.
Je me précipite au dehors. Dix minutes à peine se sont écoulées. Sur la table, libre encore, l'appareil s'est envolé.
Heureusement, après m'être adressé vainement à deux serveurs différents, j'avise mon précédent interlocuteur, qui, d'un large geste, me désigne l’endroit où il a conservé précieusement mon portable. Je le remercie avec toute la chaleur que me permet mon frenglish de fortune. Et lui paraît tout d'un coup radieux à son tour que je sois si content. Peut-être en va-t-il des mœurs espagnoles, d'abord impénétrables : sous des dehors assez peu aimables mes interlocuteurs, dans la relance, en vérité, cèdent aisément à davantage d’aménité…
Soir
Fort des 18000 pas accomplis au cours de la journée — et, surtout, que d’escaliers gravis pour accéder au dôme d’une cathédrale sans grâce ni Grâce ! — je décide, après dîner, de s'abandonner au bonheur en chambre — et de ne plus me divertir du tout.