1437 - Et en attendant d’autres Espagnes… (14)
Et en attendant d’autres Espagnes…
(Paris - Madrid - Tolède - Madrid - Paris)
Journal extime
(10 mai - 22 mai 2022)
14
22 mai
Matin
Je joue les toupies alenties. Je me livre à une première partie du ménage.
Après-midi
Comme rapporté auprès Aymeric la veille, j’ai réservé le matin pour 14 heures une entrée pour l’exposition du Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacrée à Marcel Proust, intitulée Du côté de la mère.
En vérité, Aymeric avait tort de vouloir se prémunir d’un sujet pour lui trop sensible : le propos porte surtout sur la judéité de l’écrivain, du fait de sa mère, née Weil. Les œuvres d’art — et je m’en réjouis — sont plus nombreuses qu’au musée Carnavalet pour l'exposition consacrée au même auteur.
Gustave Caillebotte (1848-1894), Boulevard Haussmann, effet de neige, 1879-1881, Huile sur toile, Flers, musée du Château
Gustave Caillebotte, Vue prise à travers un balcon, 1880, Huile sur toile, Amsterdam, Van Gogh Museum
Eugène Boudin (1824-1898), Dame en blanc sur la plage de Trouville, 1869, Huile sur carton, Le Havre, MuMA
Je m’amuse de cette représentation de Robert de Saint-Loup, que, pour moi, je ne me serais figuré si caricatural [dont pourtant je vérifierai par hasard la conformité un peu plus tard].
Kees van Dongen (1877-1968), Robert de Saint-Loup, vers 1946-1947, Gouache et aquarelle collé sur carton sur papier, Collection particulière
Je m’amuse aussi — pour d’autres raisons — de cette toile de Jacques-Emile Blanche, la danseuse ayant posé dans son costume de scène. Cet orientalisme de bazar haut en couleurs est, lui aussi, conforme à tout un imaginaire…
Jacques-Émile Blanche (1861-1942,) Ida Rubinstein dans Shéhérazade, 1911, Huile sur toile, Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque-musée de l'Opéra
Faisant le pont avec les expositions du musée d’Orsay, l'une consacrée à Huysmans critique d’art, l'autre à la collection Frick réunissant tableaux, eaux-fortes et pastels de James Whistler, ainsi que celle consacrée au « roman parisien » de Proust à l’Hôtel Carnavalet, je me retrouve nez à nez à nouveau avec Montesquiou
Paul César Helleu (1859-1927), Portrait du comte Robert de Montesquiou, vers 1913, Pointe sèche, Bayonne, musée Bonnat-Helleu
Henri-Lucien Doucet (1856-1895), Comte Robert de Montesquiou-Fezensac, 1879, Huile sur toile, Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, legs du modèle
— occasion de plonger dans l’ambiance scandaleuse des plus notoires « pédérastes » (disait-on alors) du temps [il ne m’y manquait guère que Lorrain, avec lequel néanmoins j’avais comme rendez-vous l’après-midi même ¡].
Paul Adam (1862-1920), l'Assaut malicieux, Illustration d'Henri de Toulouse-Lautrec représentant Oscar Wilde, La Revue blanche, nº47, 15 mai 1895, Paris, Musée d'Orsay
Léon Bakst (Lev Samoilovitch Rosenberg, dit; 1866-1924), Bacchante, [1911] Étude pour le costume de Vaslav Nijinski dans le rôle d'Iskender pour La Péri, ballet de Paul Dukas, Mine graphite, fusain et gouache sur papier Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
Je parcours ensuite la collection permanente du musée, que nous n’avions pas eu le temps de voir lors de notre précédente visite, Aymeric et moi.
Je suis sensible à certains détails parmi la diversité des objets, œuvres, documents, qui clignent de l’œil ou m’adressent à moi pour des raisons personnelles.
Ainsi, ce cliché, qui date du référendum de 2005, semble issu d’une époque révolue, celle d'une cohabitation pacifique entre Juifs et Arabes.
Ma visite s’achève par une série de peintures dont l’artiste m’est inconnue.
Esther Carp, Sans titre (hommes barbus) Huile sur toile, mahJ, don de Nadine Nieszawer en souvenir de Flavie et Jaques Nieszawer
Esther Carp, Sans titre (personnages à vélo), années 1950,Huile sur toile, mahJ, don de Nadine Nieszawer
* * *
Ensuite, voulant profiter le plus possible de cette dernière journée à Paris, la curiosité me porte vers l’exposition du Petit Palais consacrée à Giovanni Boldini.
Ainsi je ne quitte pas tout à fait l’époque où a vécu Proust, et, d’ailleurs, le nom du peintre m’est depuis longtemps connu, à cause de Jean Lorrain, qui référait souvent à ses peintures, et du portrait qu'il avait réalisé de Montesquiou en dandy dressé tout en gris — tant et si bien que je pensais que l’artiste était avant tout un portraitiste, qui plus est mondain, tel Jacques-Emile Blanche ou Henri Tissot.
Georges Goursat dit Sem (1863-1934), Jean Lorrain, Boldini, Kate Moore, Madeleine Lemaire, Montesquiou, Jean-Louis Forain et Yturri, 1905, Chromolithographie, París, musée Carnavalet - Histoire de Paris
Or, si de fait les portraits sont de loin les plus nombreux, si la postérité a surtout retenu ceux-ci, certaines de mes réticences fondent à mesure que je parcours l’exposition.
Giovanni Boldini (1842-1931), Portrait de Mary Donegani, Huile sur bois, Viareggio, Istituto Matteucci
Femme en noir observant le “Pastel blanc”, Vers 1888, Huile sur bois, Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Portrait d'un pianiste dans l'atelier du peintre, Vers 1910, Huile sur bois, Collection particulière
Portrait du comte Robert de Montesquiou, 1897, Huile sur toile, Paris, Musée d'Orsay, don d'Henri Pinard au nom du comte Robert de Montesquiou, 1922
De tous ces tableaux comment ne pas être surtout sensible à ce portrait d’un jardinier réalisé à même le couvercle intérieur de la mallette contenant les tubes de couleur du peintre ?
Giovanni Boldini (1842-1931), Boîte de peinture avec le Portrait du jardinier des Veil-Picard, Vers 1897, Huile sur bois (portrait) ; bois (boîte), Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Et l’on peut par conséquent souscrire aux commentaires contenus dans les cartels concernant Montesquiou, d’une part :
Aristocrate, poète, intellectuel, collectionneur, esthète, dandy, Robert de Montesquiou est tout à la fois le modèle du baron de Charlus, chez Proust, et celui du Des Esseintes de Huysmans dans À rebours. Il évoque à lui seul toute la vie mondaine et artistique de l'époque. Dans son portrait tout en nuances de gris, Boldini ne dissimule pas l'impertinence et la vanité du comte. Assis de face les jambes croisées, avec son profil altier tourné vers sa canne à l'allure de sceptre, il semble déclarer, comme ce vers tiré de son recueil “Les Chauves-Souris” : « Je suis le souverain des choses transitoires. »
et ce jardinier plus ou moins débraillé, d’autre part :
En 1897, Boldini se rend à Besançon chez Jules-Louis et Olga Veil-Picard, couple d'amis et mécènes du peintre. Il réalise à cette occasion le portrait de leur jardinier à l'intérieur du couvercle de sa boîte de peinture, où sont encore conservés ses pinceaux et ses couleurs. Assis sur un banc en extérieur, la cigarette à la main, le corpulent jardinier pose sans aucune affectation. Il devient ainsi le sujet de l'un des portraits les plus sincères de l'artiste, très loin de l'allure affectée de ses portraits mondains.
[Quand je travaillerai à recadrer les photographies prises ce jour-là, je m’amuserai de cet autoportrait en creux que constitue ce cliché du Portrait de Diego Martelli…]
Giovanni Boldini, Portrait de Diego Martelli, Vers 1865, Huile sur toile, Florence, Galleria degli Uffizi - Galleria d'arte moderna di Palazzo Pitti
Certaines toiles, parmi les plus tardives, m'étonnent de par leur vigueur d'exécution, voire leur modernisme — avant que je ne découvre la phrase de Guillaume Apollinaire confirmant mon impression à leur propos.
Fin d’après-midi
J’achève le ménage et plie bagage.
Soir
Je suis secoué par une toux qui semble quelquefois inextinguible. Puisque je n'ai pas de voisin de siège (à nouveau), j'ôte le masque, qui aggrave les quintes. Et me mets la tête sous le casque pour n’entendre ni les annonces ni les conversations alentour.
Il est 23 heures quand je regagne mes lieux — cet appartement presque trop vaste pour contenir ce que je suis.