1430 - Si bien que… ? (39)
Si bien que… ?
(Journal extime)
Work in progress
39
26 mars 2022
Dans une pièce de l’appartement de Paul et Marthe, la poussière et les couches de poils accumulées dépassaient de loin que j’avais pu imaginer — et que j’avais vu auparavant. J’avais pris avec moi et me suis servi des lingettes désinfectantes pour ôter la crasse incrustée sur les boîtiers des DVD et la tranche des livres.
Affecté par les quelques heures passées là dans l'après-midi, je dors mal. Je souffre rétrospectivement de savoir que Marthe devait être sérieusement perturbée, suffisamment pour s’abandonner à une mélancolie telle qu’elle pouvait rester sur une chaise, avait-elle confié à M.-C., sans rien faire.
Elle ne lisait plus, ou peu s'en faut. Elle ne regardait pas les DVD qu’elle achetait. Ce sont des centaines de films dont les coffrets ou les boîtiers n’ont pas été ouverts.
N’aurions-nous pas pu savoir (Paul le premier) ou nous douter de sa détresse ? n’aurions-nous lui porter quelque secours ?
Comment une femme si intelligente a-t-elle pu laisser refermer sur elle ainsi le piège de la mélancolie et se sentir si malheureuse qu’elle n’avait plus l’énergie de s’adonner aux plaisirs qui avaient été les siens auparavant ?
27 mars
L’esprit vide un moment, je rêvasse ou m’ouvre au soleil sur une terrasse (avant de commencer à inscrire une phrase)…
Quand je me détache de pensées qui, pourtant, ne me concernent pas — pourquoi me laisser accaparer de considérations qui, précisément, ne me concernent pas ? —, il arrive que je savoure des bouffées de bonheur intense.
Je songe à B. qui m’a dit — l’ai-je déjà rapporté ? — que j’étais moins désespéré (est-ce le terme qu’elle a employé ? je peux me tromper) qu’auparavant. Moi-même l’avais pensé. Il m’arrive de rire beaucoup plus facilement désormais, parfois de n’importe quoi, du moins de quelque motif qui pourrait paraître futile, et qui m’aurait paru tel auparavant… Le timbre de mon rire résonne aussi différemment. Je lui trouve quelquefois des inflexions un peu stupides, comme celles d’un gamin mal élevé qui ne peut s’empêcher de s’esclaffer au spectacle d’une déconvenue et déniche le burlesque dans des situations ordinaires qui pourraient passer inaperçues. A midi, au déjeuner, mon père en se servant manque son assiette et dépose sur la nappe une cuiller de purée… Je ris comme à une plaisanterie spirituelle qu’il aurait faite en décorant ainsi la nappe…
Bonheur pur — car la musique pour peu qu’on s’abandonne à elle et oublie l’être qu’on est — que celui d’écouter les Nuits d’été de Berlioz, sur des poèmes de Théophile Gautier et sous la direction d’Ernest Ansermet, chantées par Régine Crespin, un des rares disques que j’ai prélevés de la discothèque de Marthe — et dont je n’avais jusqu’alors qu’une copie de médiocre qualité.
Régine Crespin singing "Villanelle" from "Les Nuits d'Été"
French soprano Régine Crespin (1927-2007) singing "Villanelle" from "Les Nuits d'Été" by Hector Berlioz - Ernest Ansermet, conductor - L'Orchestre de la Suisse Romande
Dimanche 3 avril 2022
J’ai entamé aujourd’hui la retranscription de mon séjour en mars à Paris. Et suis bien avancé par ailleurs dans celle de l’année 2021, qui souffre de plus en plus d’un défaut de matière.
Invité par mon père à déjeuner. Ma sœur se remet lentement d’une pneumopathie contractée en début de semaine. Elle se portait pourtant comme un charme lundi, alors que je l’avais invitée à prendre un verre en terrasse. (Nous avions croisé T. et l’avions incité à venir avec nous. Ma sœur me connaissait pas T. Elle l’a trouvé « sympathique ».)
Ai-je raconté que, le lendemain, j’ai croisé Danièle ? Elle vit toujours, trente ans après, dans le culte de J.-P. Elle m’a dit que son fils me téléphonerait sans doute. Il voudrait collecter des souvenirs — elle a dit cela bien plus élégamment que je ne le dis ici — concernant l’oncle qu’il n’a pas connu. Cette démarche, je l’avoue, m’a d’abord heurté. Après un léger temps de latence, après qu’elle a réitéré sa demande, j’ai néanmoins accepté.
Je raconte cette rencontre à mon père et ma sœur.
A nouveau, mon père expose son dépit de constater combien les meubles et les tapis achetés avec ma mère ont perdu de leur valeur au cours des dernières décennies. Il cherche encore à alléger la décoration et l’ameublement de l’appartement, que ma mère, il est vrai, a tant et plus surchargée.
Je repars avec un véramine bleu, qui m’a toujours plu.
* * *
J’ai réglé avec Judith, d’une part, avec Pascal (qui ne pouvait m’accueillir en amont du 11 mai) d’autre part, mon prochain séjour à Paris : je dormirai la nuit du 10 au 11 dans le studio de N., du 18 au 22 rue P***, ensuite.