1450 - Lettre rouge en quatre pages et jours : lettre à J.-M., 16-19 mai 1986 (4)
in memoriam J.-M.
19 mai 1986
Cette fois, il y a abandon du lit conjugal. Lundi, 9 h 15, je déjeune seul dans une cuisine où par les deux fenêtres je vois qu’il pleut. Ça n’empêche pas tout à fait les oiseaux de chanter. J’aurai bien peu dormi ici, et suis cependant content de cette échappée solitaire.
Je me souviens, à présent, que, lors de mon premier séjour à Troyes, Lindsay avait déjà entamé des confidences, laissées inachevées, qui me l’avaient rendu opaque.
Il voulait que je le conduise à Dijon, où il passe l’écrit de sa licence demain. Ainsi nous nous serions vus un peu plus longtemps. Oui, mais je ne veux pas ajouter deux cents kilomètres à mon trajet de retour.
Je me sens donc dans un état étrange, à imputer au premier chef à la fatigue. J’ai couché dans le salon donnant sur l’avenue cette nuit, et le passage des voitures a troublé mon sommeil. En allant chercher du pain tout à l’heure, mal réveillé, j’ai grillé un feu rouge, et manqué de me faire emboutir. Je suis content, mais insatisfait.
L’apparition de Cécile aura coupé ce week-end en deux. Les discours étranges de Lindsay ont crû à mesure que le temps passait. La foncière inconnaissance que l’on a des autres est un leitmotiv que les circonstances de ces semaines dernières ont rendu un trop obsédant
J’avais dit que je te laisserais à la fin de cette feuille… En fait, je te verrai sans doute ce soir, avant que cette lettre n’arrive, puisque j’irai vraisemblablement voir le film de Peter Greenaway [, The Pillow Book].
Et nous dînerons sans doute ensemble dans le courant de la semaine.
Je te laisse donc sur cette promesse d’amitié.
Romain