1451 - Monnaies, toiles, robes et merveilles : septembre à Paris (5)
Septembre à Paris
(Journal extime, 24 septembre - 30 septembre 2022)
5
29 septembre
Je dors peu. Après m’être levé pour aller aux toilettes, j’entends Khadija s’affairer et décide de me lever définitivement.
Je parlemente avec elle afin de ne pas me faire inviter et déjeuner dans l’appartement.
Le métro que nous empruntons pour nous rendre au Musée d’Orsay est bondé. En revanche, la file d’attente s’avère peu conséquente. Ensuite, beaucoup de monde, cependant, piétine devant les œuvres de Munch.
Nous devons nous adapter d’autant.
J’avais vu jadis (en avril 2010 !) l’exposition de la Pinacothèque (intitulée Edvard Munch ou l’Anti-Cri) et reconnais certaines toiles vues alors, notamment Mélancolie (dans une version différente ?). Car je me souvenais — j’en avais été impressionné — tout autant de variations de couleurs comme de techniques à partir de mêmes motifs (des femmes sur la plage, entre autres thèmes), dont je retrouve d’autres (?) avatars ici.
Car je me souvenais — j’en avais été impressionné — tout autant de variations de couleurs comme de techniques à partir de mêmes motifs (des femmes sur la plage, entre autres thèmes), dont je retrouve d’autres (?) avatars ici, certains vus d'ailleurs à d'autres occasions.
Jeunes Filles sur le pont, 1918, Gravure sur bois à la gouge, rehauts d'aquarelle, Oslo, Munchmuseet
Jalousie II, 1896, Lithographie (crayon et grattoir), rehauts de gouache et d'aquarelle, Oslo, Munchmuseet
Hommes se baignant, 1907-1908, Huile sur toile, Finnish National Gallery, Ateneum Art Museum, Collection Antell
Comme Khadija n’est jamais allée à Orsay, nous effectuons un tour partiel des premiers niveaux. L’Olympia de Manet. Les sculptures d’Auguste Rodin et de Camille Claudel. Puis nous errons à l’aventure. Les Nabis. Odilon Redon.
Nous courons la poste. Il est plus de 13 heures quand nous commençons à nous faire à déjeuner et, tout en devisant, prenons l’apéritif.
Après-midi
T. m’a écrit — et son message me fait beaucoup rire. Je raconte à Khadija, qui ne les connaît pas, le décès de Marthe, le deuil de Paul et, depuis, sa rencontre avec une nouvelle compagne (je les avais croisés, elle et lui, le jour de mon départ dans un supermarché, et je m’étais douté, à la façon qu’elle avait eue de s’esquiver alors que nous entamions une conversation, au fait que Paul n’avait pas fait les présentations, au peu de naturel avec lequel il me demandait où trouver du raisin — « pas dans les légumes, en tout cas ! », avais-je répliqué — que cette femme qui l'accompagnait n’était ni une simple connaissance, ni non plus une amie de longue date). Tout en riant avec moi, alors que je lui relis ce qu’a écrit T., Khadija se montre légèrement indignée de pareil remplacement, si prompt…
Nous n’avons plus le temps de visiter un dernier musée avant le train que Khadija doit prendre à 18 heures 28. Celui-ci, malgré la grève, circule et l’emportera dans les trois heures et demie qui nous sont si chichement accordées après que nous avons fini de manger.
Nous allons à pied et je lui montre les Delacroix de Saint Denys-du-Saint-Sacrement et de Saint-Paul (Khadija connaissait le second).
Impossible, ensuite, nous est d’accéder à la Place de la Bastille du fait d’un cordon de CRS et de policiers, et nous marchons jusque Bréguet-Sabin pour prendre le métro. Nous descendons, cependant, après trois stations, tant la presse dans la rame est désagréable. Nous faisons bien, puisque le soleil paraît, pour la première fois durant ces deux jours passés ensemble. Nous errons un peu jusqu’à la Gare de l’Est avant de trouver une terrasse exposée au soleil.
Nous regardons la série de photographies que j’ai pu prendre durant ces trente dernières heures.
Avant de déjeuner Khadija m’a montré un certain nombre de clichés où figurait sa mère de quatre-vingt-huit ans, prostrée et grabataire, les yeux clos la plupart du remps, absente au monde. Elle m’a demandé mon avis quant à son état de conscience. J’évoque ma mère, celle d’Aymeric. Sa mère, toutefois, parle encore de temps à autre : elle possède en tout cas encore assez d’esprit et d’énergie pour tancer sa fille pour son absence du moment, la seule jamais qui s’est offerte depuis que Khadija s’occupe d’elle… Et c’est cela que Khadija m’expose sur cette terrasse ensoleillée avant de devoir prendre son train du retour, et je souhaite à part moi que pareil vampire disparaisse avant qu’il ne soit longtemps, qu’ainsi Khadija soit rendue à sa vie normale, à sa vie de femme, libre et heureuse autant que possible, celle qu’elle menait auparavant, avant qu’elle soit cette captive que ne délivrera (donc) désormais que la mort de la mère.
Je l’accompagne jusqu’à son train. Puis je fais en sorte de disparaître, avant qu’elle se retourne peut-être et adresse un signe d’adieu (j’avais prévenu lors de la dernière étreinte que je préférerais m’éclipser ainsi).