1477 - En Italie [et en France] (récidive[s]), 18

dei passi nei miei passi

in Italia

(rediciva)

Journal extime

 (11 octobre – 21 octobre 2022) 

18

Vendredi 21 octobre 2022, Paris

Encore une nuit courte, d’avance perturbée peut-être par la perspective de devoir me lever tôt.

Matin

Même si les natures mortes ne me passionnent pas toujours, l’exposition “Les Choses” au Louvre dépasse heureusement ce strict cadre pour élargir la notion.

Un peu pressé par le temps puisque je dois repartir en tout début d'après-midi, je la parcours très (trop ?) rapidement, m’affranchissant de la littérature rupestre, mais s’informant tout de même des cartels apposés aux œuvres que je photographie. Et lis aussi les phrases, généralement intéressantes aussi, mises en exergue sur les murs¹.

Je revois — accomplissant des pas dans des pas, encore et toujours — des œuvres déjà remarquées, parfois photographiées,

Italie, Pompéi, Squelette avec deux cruches à vin (askoï), Ier siècle de notre ère, Mosaïque, Naples, Museo Archeologico Nazionale di Napoli

Italie, Pompéi, Memento mori, Ier siècle avant notre ère, Mosaïque, Naples, Museo Archeologico Nazionale di Napoli

Édouard Manet (Paris, 1832 - Paris, 1883), l'Asperge, 1880, Paris, musée d'Orsay, Huile sur toile

photographie : 22 mai 2022

Exposition Proust, du côté de la mère, Paris, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 22 mai 2022

René Magritte, le Modèle rouge [1935], Huile sur toile marouflée sur carton, 56 x 46 cm , Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne

photo : 16 juillet 2021

Exposition Face à Arcimboldo, Metz, Centre Pompidou-Metz, 16 juillet 2021

Vincent Van Gogh, la Chambre de Van Gogh à Arles, 1889, Huile sur toile, 57,3 x 73,5 cm, Paris, musée d'Orsay

en découvre certaines qui m’avaient possiblement échappé ou qui étaient en transit au moment lorsque je visitais, récemment quelquefois, ou naguère, les musées dans lesquels elles se trouvent.

Paul Gauguin (Paris, 1848 - Atuona, îles Marquises, 1903), Mandoline et Pivoines de Chine, 1885, Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre, département des Peintures, en dépôt au musée d'Orsay

Attribué à José de Ribera (Játiva, Valence, 1591 - Naples, 1652), Nature morte à la tête de bouc, vers 1646-1650, Huile sur toile, Naples, Museo di Capodimonte

Luis Egidio Meléndez (Naples, 1716 - Madrid, 1780), Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage, 1771, Huile sur toile, Madrid, Museo Nacional del Prado

[Voire : je contemple quelque réécriture de la même œuvre du même artiste (l’auréole en plus, les cornes en moins !), découverte ailleurs — ainsi qu’un cartel le précisait alors : Se conservan otras versiones en el Prado (n° 7293), en el Fine Art Gallery de San Diego (California) y en una colección particular — et je songe qu’il n’y a guère de chance pour que je me rende quelque jour en Californie…]

Francisco de Zurbarán (Fuente de Cantos, Badajoz, 1598 Madrid, 1664), Agnus Dei, 1635-1640, Huile sur toile, Madrid, Museo Nacional del Prado

Francisco de Zurbarán, Agnus Dei, Óleo sobre lienzo, 0,47 x 0,55 [Inscripción: TANQVAM AGNVS/ IN OCCISIONE (Isaías, 53:7)], Madrid, Real Academia de Bellas Artes de San Fermando

Du fait des vitres ou de l’éclairage qui les frappe, je renonce par deux fois à une prise de vue

Henri Matisse, Nature morte d’après " La Desserte " de Jan Davidsz De Heem, fin août-début novembre 1915. Huile sur toile. 180,9 x 220,8 cm. The Museum of Modern Art, New York © Internet

Francisco de Goya de Lucientes, Nature morte à la tête de mouton, 1808-1812, Huile sur toile, 45 x 62 cm, Paris, Musée du Louvre © Internet

— tandis que, pressé dans mes pas, j’omets, deux fois également, de photographier les cartels qui les accompagnent…

Bernard Buffet, [?]

[???]

(Le propos du circuit, thématique, de l’exposition, dans ses attendus et prolongements discursifs religieux ou profanes, se laisse assez aisément deviner d'une salle à l'autre : de la beauté à la vanité de la chose, de sa matérialité à la dénonciation de toute vulgarité ou trivialité, de la virtuosité des réalisations à leur imitation ou parodie — non sans proposer d’ailleurs des variations de motifs bienvenues, lesquelles inversent quelque peu leur signification d’une époque l’autre, du moral au grinçant, de l’inquiétant à l’(exceptionnellement) apaisé…)

Giuseppe Arcimboldo (1527-1593), l'Hiver, 1573 [?], 76 x 63,5 cm, Paris, Musée du Louvre

Joel Peter Witkin (Brooklyn, New York, 1939), Harvest, Philadelphia [Moisson, Philadelphie], 1983, Photographie argentique, Paris, galerie Baudoin Lebon

Franciscus Gijsbrechts (Anvers, 1649 - Anvers, après 1677), Vanité, vers 1670 ?, Huile sur toile, Strasbourg, musée des Beaux-Arts

Jake et Dinos Chapman (Londres, 1966, et Cheltenham, 1962), Bronze Skull (Yellow with maggots) [Crâne en bronze (jaune et rongé par les vers)], 2004, Bronze peint, Studio des artistes

*  *  *

— Faisant fi des commentaires muraux mais lisant tout de même les indications fournies par les cartels, je déambule donc…

Atelier de Rogier van der Weyden (Tournai, vers 1400 - Bruxelles, 1464), L'Annonciation, vers 1435-1440, Huile sur bois, Paris, Musée du Louvre

Peintre anonyme, Allemagne du Nord, Nature morte aux bouteilles et aux livres, vers 1530 ?, Huile sur bois (chêne), Colmar, Musée Unterlinden

Attribué à Fra Vincenzo Dalle Vacche (Vérone, vers 1446 ? - 1531 ou 1532), dit Vincenzo da Verona, Armoire avec attributs scientifiques et musicaux, Padoue, entre 1520 et 1523, Panneau en noyer et cadre en chêne, marqueterie d'alisier, buis, chêne chêne des marais, cyprès, érable, houx, noyer, olivier, orme, peuplier tremble, aubier de prunus, nerprun, Paris, musée du Louvre, Département des Objets d'art

Attribué à Fra Vincenzo Dalle Vacche (Vérone, vers 1446? - 1531 ou 1532), dit Vincenzo da Verona, Armoire avec attributs religieux et vanités, Padoue, entre 1520 et 1523, Panneau en noyer et cadre en chêne, marqueterie d'alisier, buis, charme, châtaignier, chêne, cyprès, érable, grenadier, nerprun, noyer, olivier, poirier, Paris, musée du Louvre, Département des Objets d'art

Italie, Faenza ou Pesaro, Chauffe-mains en forme de livre fermé, vers 1490-1510, Faïence, métal, Paris, musée du Louvre, département des Objets d'art

(L’on rêve quelques instants à l’utilité de ce chauffe-mains, pour lequel le cartel apporte des précisions intéressantes : Ce chauffe-mains, qui recevait de l'eau chaude par un orifice situé sur le côté, peut aussi avoir été utilisé comme une flasque. Son décor est caractéristique d'une reliure médiévale, et le souci d'imitation a été poussé jusqu'à simuler le fermoir à tenon. Au moment où les livres d'heures, ouvrages de dévotion privée, commençaient à se généraliser grâce à l'essor du livre imprimé, ce type de récipient en céramique, dont on connaît d'autres exemples, leur répondait directement. Il en redoublait la présence dans la sphère domestique, dans un contexte laïc ou religieux.)

Joachim Beuckelaer (Anvers, vers 1533 - Anvers, vers 1574), la Boutique du boucher (macelleria), 1568, Huile sur bois, Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte

(D’autres cartels éclairent d’ailleurs « le regardeur » en attirant son attention sur des détails riches en symboles et allusions : Cette boutique de boucher déborde de viandes, mais toute la chair accumulée suggère d'autres plaisirs : derrière le boucher, amateur de bière, un homme enlace une femme, tandis qu'un personnage récure un pot. La représentation des choses, mêlées aux êtres, la viande, mais encore le gros chou, un symbole de luxure, les carottes, qui évoquent le sexe masculin, est alors un moyen d'exprimer bien des désirs. Elle place le regardeur dans la position de la femme, qui, du haut de l'escalier, observe le couple. Elle engage l'œil et l'esprit du côté de la vie intense des corps.)

Frans Snyders (Anvers, 1579 - Anvers, 1657), Nature morte aux légumes, vers 1610, Huile sur toile, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe

([C]ette Nature morte aux légumes présente en gros plan la récolte d'un couple de paysans renvoyés, eux, en minuscule dans le lointain. Les producteurs sont condamnés à l'état subalterne alors même que ce sont eux qui travaillent la terre afin de produire des marchandises à vendre. Le chou, le cardon, le melon ou les carottes forment une montagne de choses qui se déverse sur nous comme pour annoncer le règne des choses qui prennent le dessus en occupant la scène principale.)

Marinus van Reymerswale (Reimerswale, vers 1490 - Goes, vers 1546), Le Collecteur d'impôts, Huile sur bois (chêne) Paris, musée du Louvre

Esther Ferrer (San Sebastián, 1937), Europortrait, 2002, Photographie, Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel

Salvador Dalí (Figueras, 1904 - Figueras, 1989), Nature morte vivante, 1956, Huile sur toile, Collection of The Dalí Museum, St Petersburg, Floride, États-Unis

Séraphine de Senlis (Arsy, 1864-Villers-sous-Erquery, 1942), Fleurs ou Grand Bouquet au vase noir et fond bleu ou Fleurs et fruits, 1929 Huile sur toile, Paris, collection particulière

Gustave Courbet (Ornans, 1819 - La Tour-de-Peilz, Suisse, 1877), La Truite, 1873, Huile sur toile, Paris, musée d'Orsay

Edouard Manet, Botte d'asperges, 1880, Huile sur toile, Cologne, Wallraf Richartz Museum

(L’on s’amuse, au passage, d’apprendre que, « Charles Ephrussi ayant payé la Botte d'asperges plus cher que le prix fixé par Manet », le peintre lui avait offert « [la peinture d’]une Asperge solitaire [cf. supra], qui justifiait la différence. »)

Odilon Redon (Bordeaux, 1840 - Paris, 1916), Navet, vers 1875, Huile sur carton, Paris, attribué au musée d'Orsay en 1984, déposé en 2017 à Tourcoing, musée des Beaux-Arts

Édouard Manet, le Citron, 1880, Huile sur toile, Paris, affecté au musée d'Orsay en 1986

Émile Bernard (Lille, 1868 - Paris, 1941), Pots de grès aux pommes, 1887, Huile sur toile, Paris, musée d'Orsay

Samuel van Hoogstraten (Dordrecht, 1627 - Dordrecht, 1678), Intérieur hollandais, dit Les Pantoufles, vers 1655-1662, Huile sur toile, Paris, musée du Louvre

Joan Miró (Barcelone, 1893 - Palma de Majorque, 1983), Nature morte au vieux soulier, Paris, 24 janvier - 29 mai 1937, Huile sur toile, New York, The Museum of Modern Art Gift of James Thrall Soby

Italie, Figure féminine aux bras articulés, vers 250-270, Os, Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines

(Cette poupée romaine de l’époque impériale, par sa très petite taille, contraste avec les dimensions de la sculpture de Giacometti

Alberto Giacometti (Borgonovo, 1901 - Coire, 1966), Table, dit aussi La Table surréaliste, 1933, Bronze, Paris, Musée national d'Art moderne - Centre Pompidou

— tandis que le cartel, à nouveau, apporte à son sujet quelques prolongements : L'assemblage est poétique et symbolique. Son incongruité évoque la « rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie », dont le comte de Lautréamont, salué par les surréalistes comme un de leurs prédécesseurs, vantait la beauté en 1869. Le polyèdre, lui, est directement emprunté à Melencolia, I (1514) de Dürer, alors que Giacometti est dévasté par la mort de son père. La Table surréaliste exprime sa souffrance et le surgissement des fantômes.

Ron Mueck (Melbourne, 1958), Still Life [Nature morte], 2009 Édition 1/1, Matériaux divers, Londres, Hauser & Wirth

Autre effet de taille et de représentation, le poulet surdimensionné — puisque de plus de deux mètres — de Ron Mueck, à la sortie de l’exposition, effare et dessille nos yeux quant au monde industriel et pandémique que nous habitons désormais par un ultime rappel : En 2009, la pandémie de grippe A multiplie les images de poulets abattus. Elles frappent tant Ron Mueck qu'il traite l'un de ces volatiles comme ces figures humaines hyperréalistes, naines ou géantes, qui, dans son œuvre, donnent à l'humanité une forme inquiète. L'artiste joue ici encore de la tension entre l'extrême réalisme et l'irréalité des dimensions, qui forcent à regarder de près cette bête pathétique, quand nous prêtons à peine attention à des millions d'autres, malades et mises à mort. Ce poulet paraît soudain plus qu'un détail du monde une chose très humaine qui nous ressemble.

— Et l’on sort, quoi qu’il en soit, de ce parcours porté par l’envie irréductible d’épouser le parti pris des choses pour ce qu’elles éveillent ou remuent, la peinture, l’ébénisterie, la sculpture, la céramique se hissant à même hauteur de regard ou de développement que la sensibilité, exacerbée mais distanciée, d’un poète, tel Francis Ponge ou Henri Michaux…)

-=-=-=-=-=-=-

¹Henri Michaux : « Choses, choses, choses qui en disent long quand elles disent autre chose. »

Paul Klee : « Pyricus reçut le surnom de Rhyparographe (peintre d’excréments), bien que le riche voluptueux payât ses œuvres au poids de l’or. »

Marianne Alphant : « Je n’ai pas votre ambition, madame l’Histoire, j’ai le détail. Le gobelet, le cruchon, l’œillet, le petit oiseau mort sur le dos, pattes raidies, minuscule, ébouriffé. »

*  *  *

Après-midi et soir, ****

Comme je veux réserver pour réserver dans un restaurant où nous sommes accoutumés, T. et moi, le giton de La Grignotière, dont je reconnais bien la voix, prétend — à nouveau — que tout est réservé… Je suis tout aussi dubitatif que la fois précédente.

Et les faits me donnent raison ! Il reste des places lorsque, le soir, nous nous présentons.

Ce retour en fanfare dans un pays où nul ne saurait prétendre être prophète dans sa contrée d’origine, fût-elle une terre d’accueil et de joie immarcescibles, n’empêche heureusement pas de nous réjouir de notre soirée, T. et moi…