1509 - March in Paris (4)
Journal extime
(19 mars - 26 mars 2023)
4
20 mars
Matin
Je me hâte depuis les Tuileries jusqu’à l’Hôtel de la Marine. Sous les arcades de la rue de Rivoli, je heurte du pied le gobelet empli de quelques pièces par un gamin. Je ramasse les piécettes jaunes en m’excusant, mais je n’ai pas le temps de m’attarder.
Cependant, Judith, comme à son ordinaire, prévient qu’elle sera en retard. En outre, elle n’a pas prévu le bouclage des stations de métro autour de la Place de la Concorde.
Si le ciel est moins fuligineux qu’en mars dernier, la vue sur la place est gâchée, en revanche, par les cars de CRS massés là…
Judith paraît néanmoins bientôt dans un manteau en laine aux jolies couleurs automnales, les pieds chaussés d’élégants mocassins dorés, les cheveux plus longs que six mois auparavant, ce qui lui sied mieux, à mon sens, que la coupe que je lui avais vue précédemment.
Nous visitons l’exposition issue de Ca' d’Oro. Les œuvres exposées sont bien mieux mises en valeur que sur place grâce à un éclairage approprié, l’obscurité les isolant et les soulignant ici. Quelques pièces, dans une première pièce, sont celles de la collection Al Thani, que je revois avec le même plaisir que leurs homologues vénitiennes.
Contemplatrice d'étoiles, Asie Mineure occidentale, Période chalcolithique, vers 3300-2500 av. J.-C., Marbre, pigment
Le loisir m’est donné de prendre de nouveaux clichés.
Coupe à vin de l'empereur Jahangir, Nord de l'Inde, Datée de 1607 ou 1608, Jade néphrite, Inscription en persan comprenant le nom et les titres de Jahangir ainsi que deux quatrains
Francesco Guardi (1712-1793), Vue de la Piazzetta en direction de l'île de San Giorgio Maggiore, 1775-1785, 45 x 72 cm, Huile sur toile, Venise, Ca' d'Oro
Francesco Guardi (1712-1793), Vue du Môle et de la Salute,1770-1780, 45 x 71 cm, Huile sur toile, Venise, Ca' d'Oro
Pier Jacopo Alari dit l'Antico (vers 1460 ?-1528), Apollon du Belvédère, Bronze partiellement doré, patine noire, argent
Vittore Gambello dit Camelio (1455/1460-1537),Bataille [entre] deux cavaliers [et les Géants] (Combattimento tra cavalieri e giganti) ; Bataille avec deux satyres, Bronze, patine noire
Michele da Verona (1469/70-vers 1540), Le Christ, sa mère et saint Jean, Huile sur bois transposée sur toile
Andrea Briosco, dit Riccio (1470-1532), Cinq reliefs destinés à l'autel de la Vraie Croix, Bronze, patine noire
Andrea Briosco, dit Riccio, Triomphe de la croix ; Vision de Constantin ; Bataille du pont Milvius [Storie della Vera Croce : Sogno e battesimo di Constantino], bronze
* * *
L’exposition parcourue, nous décidons d’aller au Stube pour déjeuner. Nous devisons tout en marchant. Elle n’a pas du tout aimé le film Caravage, qu’elle a vu la veille, inutilement violent à mon sens.
Nous voyons à nouveau, déplacé de quelques mètres, le garçon qui mendiait quelque une heure et demie plus tôt. Judith a raison, qui allègue que le gobelet placé sur le trottoir est destinée à être renversé, technique de mendicité destiné à attendrir le passant distrait.
Nous errons quelque peu avant que Judith retrouve la rue de Richelieu.
Pendant que nous déjeunons — elle, d’une soupe aux pois cassés, moi, d’un Koubiliac assez bon et roboratif —, Judith me montre des photographies de l’aménagement du pavillon en deuxième corps de bâtiment où elle et N. habitent : elle a garni d’un trumeau et d’une console avec un plateau en marbre rouge d’Italie l’entrée, d’une autre console son propre palier à l’étage.
Elle me demande des nouvelles de ma retraite. Comme j’explique ne pas encore savoir si ma demande d’invalidité sera ou non acceptée et, le cas échéant, à quel taux, elle ne comprend pas à quoi correspond cette pension d’invalidité propre au régime de la fonction publique en raison d’une autre sorte d’invalidité dont bénéficie Francis, qui semble ne comporter que des maigres avantages.
Après que nous avons déjeuné, elle passe chez son coiffeur prendre rendez-vous, auprès duquel elle n’a pas pris rendez-vous depuis un an — un vieux beau (vraisemblablement gay) assez caricatural. Elle se fait copieusement appeler « ma chérie » tandis qu’il multiplie les roucoulades.
Devant la Bibliothèque Nationale, une queue s’est formée. Judith s’enquiert de la raison de la file d’attente : c’est l’ouverture, et les lecteurs entrent pour investir les lieux. Nous nous faisons indiquer une entrée réservée aux visiteurs dans une autre rue, à l’opposé du bâtiment.
Je profite de quelques chaises installées devant le bâtiment pour consulter mes messages. Rendez-vous est fixé Place Verlaine à 17 heures 30 par Aymeric. Je prends aussi connaissance d’un message de Patrice : Anne et lui voudraient revenir jusque Paris de Strasbourg, ce qui voudrait les trimballer ici et là et repartir finalement seul avec ma voiture jusque ****. Je laisse un message sur leur boîte vocale, en tentant de ne pas laisser percer mon agacement.
Le cabinet des médailles et antiques est malheureusement fermé. Nous devons nous contenter de voir — à partir de son seuil, délimité par une barrière — la seule salle de lecture ouverte.
Nous marchons ensuite en direction de la Place des Victoires, assez mal nommée puisque ma cheville gauche me lâche et que je m’étale de tout mon long ; je me reçois sur les mains pour amortir ma chute, mais aussi en me tordant le pied assez durement. Sur le moment, je me relève sans trop de dommages, hormis la douleur due à ma cheville tordue.
Nous prenons un verre sur la terrasse ensoleillée de la Place des Petits Pères, en face de la Basilique Notre-Dame-des-Victoires. Judith dit vouloir s’entraîner au piano avant de donner son propre cours. Elle rentrera en Vélib’. Nous marchons donc en direction de la Place Colette, en passant par le jardin du Palais Royal. Les magnolias (ou des tulipiers ?) sont en fleurs et Judith tombe en arrêt devant leur exubérance florale. Khadija m’appelle à ce moment-là : la grève des trains du jeudi 23 l’obligera sans doute à rentrer plus tôt.
Nous nous quittons quelque dix minutes plus tard, Judith et moi.
Je vais ensuite jusqu’au quartier latin en empruntant une correspondance de métro. J’achète deux livres d’occasion, l’un, que je destine à Claudie, l’autre, que j’offrirai à Khadija.
Je repasse à l’appartement, mais, à la suite d’un ralentissement puis d’un arrêt sur la ligne 4, n’ai qu’à peine le temps de m’y poser…