1490 - Du Côté de chez Erwan/ Le bel Erwan (1)

Publié le par 1rΩm1

 

 

 

Du Côté de chez Erwan

 

[Le bel Erwan]

 

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Pier Jacopo Alari dit l'Antico (vers 1460 ?-1528), Apollon du Belvédère, Bronze partiellement doré, patine noire, argent, Venise, Ca' d'Oro

Pier Jacopo Alari dit l'Antico (vers 1460 ?-1528), Apollon du Belvédère, Bronze partiellement doré, patine noire, argent, Venise, Ca' d'Oro

 

18 mai 2023

J’ai proposé au jeune Erwan de passer chez moi afin de régler certains détails concernant son déménagement samedi prochain.

Je reçois ce message en cours d’après-midi : « Bonjour Monsieur. Etant donné les conditions dans lesquels [sic] mon appartement se trouve (des cartons partout) est-il possible que je passe plutôt vous rendre visite chez vous à 18 h ? Erwan. »

Je réplique aussitôt : « Bonjour. En fait, c’était bien ma pensée — et je crois que je vous l’avais dit. A tout à l’heure. »


Il frappe dix minutes après l’heure prévue. Il a eu la coquetterie — que j’ai notée plusieurs fois — d’avoir ôté ses lunettes [occasion de mieux manger ses yeux bleus1].

© Internet [River Phoenix ; en bas : photogramme du film de Sidney Lumet, "A bout de course"]
© Internet [River Phoenix ; en bas : photogramme du film de Sidney Lumet, "A bout de course"]

© Internet [River Phoenix ; en bas : photogramme du film de Sidney Lumet, "A bout de course"]

Il demande s’il doit se déchausser. Je décline et l’invite à faire « une demi-visite » de mon appartement, dans lequel il n’est jamais venu, sauf à se tenir sur le seuil pour me remettre des clés alors qu’il était absent et que je devais faire venir un artisan chez lui.

L’idée que j’ai en tête, ce faisant, est de lui montrer la topographie de nos lieux de vie respectifs, en particulier le couchage auquel je dois recourir, à l’étage supérieur, depuis qu'a emménagé dans l’immeuble l’autre voisin de palier — puisque ce dernier me réveille au cours de la nuit et m’empêche ensuite de me rendormir.

Nous montons jusqu’au salon-salle de séjour. Comme il fait mine de me suivre à la cuisine tandis que j’apprête à sortir du réfrigérateur une bouteille de bière — je déteste, en vérité, qu’on m’emboîte le pas en pareille circonstance, travers qui partage en deux l’humanité que j’accueille, lequel travers est, par exemple, celui de Nathalie les rares fois où elle est venue chez moi, tandis que l’autre partie, par politesse ou pure indifférence, s’abstient de jouer les suiveurs, ce qui m’agrée tout à fait —, je l’invite donc à s’asseoir et à demeurer sur son siège.

Il porte un jean clair, un tee-shirt, des baskets en toile écrue, des socquettes en coton blanc qui laisseront entrevoir un tatouage cerclant la cheville gauche, détail dans lequel je m’abîme par instants, quand, la jambe gauche posée sur le genou droit (je ne crois pas que ce soit l’inverse), son jean bâille.

Nous parlons donc assez longuement de la cohabitation rendue pénible depuis quelques temps. Il a croisé le voisin, avec lequel sa tentative de prendre langue a été tièdement reçue, et, depuis, a constaté, comme moi — il se défend de jouer les délateurs à ce propos —, les allées et venues — et plus encore les heures de lever — tardives. Il m’assure que, contrairement à ce que j’avais cru, l’interlocuteur du voisin, plus discret et moins prolixe, n’est pas une jeune fille, mais un autre garçon. Il a noté aussi la présence du petit chat, qui miaule devant la porte d’entrée.

Lui, me dit-il, a un « sommeil lourd » tel qu’il ne saurait être dérangé durant ses nuits. Il est également, précise-t-il, de ceux qui s’endorment sitôt la tête posée sur l’oreiller. Seuls des cauchemars, qui l’éveillent en hurlant, sont capables d’interrompre son doux commerce avec Morphée. Je m’amuse, tout en lui disant que jamais il ne m’a dérangé par des cris intempestifs. (Au cours de la conversation, je le vérifierai : Erwan appartient sans doute à la catégorie des grands nerveux ; il se gratte frénétiquement les deux mollets avec une certaine régularité, d’un mouvement qui échappe à son contrôle.)

Je mets fin à ces développements concernant les voisins et l’amène à parler de ses études : pour l’heure, lui, m’intéresse davantage que les désagréments dont j’ai pu être l’objet ¡

J’apprends qu’il a fait ses études secondaires au lycée Georges Clemenceau de Reims — je songe à Judith, mais aussi au Proviseur que j’ai connu — et suivi l’option Histoire des Arts : cela a assoupli toute raideur scientifique en lui (et aidé, soufflé-je, en outre, à des qualités rédactionnelles), tant et si bien qu’il se trouve assez à l’aise dans l’association libre et la recherche d’idées.

Il s’est, cependant, médiocrement passionné au cours des deux années de LEA qu’il vient d’achever, les enseignants dispensant un enseignement par trop simplifié, sinon simpliste, à leur public — et je pense alors à Tristan, qui a dressé, lui aussi, le constat désabusé de cours assez peu passionnants, ce dont je fais part brièvement…

Il ne compte pas poursuivre la même filière, et envisage de s’inscrire sans doute dans une école de commerce ou spécialisée dans la gestion des relations humaines (je m’abstiens de tout commentaire à ce sujet). Son beau-père, « dans le champagne » (je me fais préciser le sens de sa formulation, n'étant d'ailleurs pas certain du genre de l'article employé), pourrait l’introduire dans le milieu des négociants et lui fournir ainsi un débouché professionnel.

Sur mon instigation, nous parlons de la bourgeoisie rémoise, dont il convient d’une présence insigne, davantage en tout cas qu’à ****, ville, il est vrai, davantage étudiante.

Deux ans en Lorraine le montrent réservé quant à l’accueil que peuvent lui avoir témoigné ses habitants. Je repars alors sur la prétendue froideur du Lotharingien, cliché ou réalité, que compense en principe une vertu d’attachement et de fidélité (¡), dit-on cependant.

Je parle de l’affichage des photographies et des tableaux de Foujita sur ses murs de sa cuisine (sans songer alors à la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix à Reims décorée par ses soins).

1490 - Du Côté de chez Erwan/  Le bel Erwan (1)
1490 - Du Côté de chez Erwan/  Le bel Erwan (1)

Et j’évoque aussi la vignette du saint Sébastien apposé sur sa porte d’entrée, dont il ignore le nom du peintre.

Lui, parle d’une tradition champenoise qui consiste à disposer sept épis porte-bonheur au seuil des maisons — et du buis bénit !

Il se trouvera à Milan dès le 28 août, jusque fin février, tant et si bien que le second semestre de la licence à son retour sera déjà entamé. Il ajoutera des « unités de valeur » (j’ignore si l’on dit toujours ainsi) à son cursus durant son séjour dans le chef-lieu de la Lombardie afin d’obtenir le nombre d’ECTS (pour le dire de manière plus actuelle ?) nécessaire à sa poursuite d’études.

Il mamuse énormément quand il me dira que demeurer sous le même toit que sa mère durant les deux mois à venir lui sera dorénavant peut-être difficile…

 

Nous conversons ainsi agréablement durant une heure vingt au moins — avant que je ménage pour lui une possibilité de sortie : une amie l’attend, dit-il, sans qu’il m’ait averti préalablement pour autant de cette présence dans son appartement. J’écourte donc notre entretien.

Il m’avait dit auparavant qu’il n’aurait pas, même si ses amis s’en étonnaient, de « pincement au cœur » quand il quitterait son appartement, et même si c’était le premier dans lequel il avait emménagé… — C’est donc moi qui en aurais un peut-être lorsque je le verrai pour la dernière fois ¡

A la perspective toutefois de goûter une dizaine de jours au moins sans cohabitation importune, [je m]e forge une félicité qui [me] fait pleurer de tendresse !

(à suivre)

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Du Côté de chez Erwan - chronologie restituée à grands traits :

6 juin 2021 Où le narrateur rencontre le jeune Erwan

24-25 juin 2021 Où le narrateur rêve du sémillant Erwan

31 juillet 2021 Où le jeune Erwan emménage et où le narrateur connaît son premier désenchantement

29 août 2021 Où le bel Erwan se montre secourable avec le narrateur

[9-19 septembre 2021] Où le narrateur fait part d’un peu de répit dans son voisinage avec Erwan la pie

[18 octobre 2021] Où le narrateur se montre à son tour secourable avec le bel Erwan.

(à suivre !)

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1Ajout du 28 mai 2023 (puisque nulle part ne paraît mentionnée la couleur des yeux du jeune Erwan ¡).

 

 

 

 

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