1489 - Voyage à Metz (5)
Voyage à Metz
(5)
17 mai 2023 [suite]
Après-midi
Une visite guidée de l’exposition consacrée à Suzanne Valandon est prévue à 14 heures, nous dit-on au guichet du Centre Pompidou, quand nous prenons nos billets.
Suzanne Valadon peignant dans son atelier, Epreuve photographique, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, bibliothèque Kandinsky
Nous sommes accueillis par un couple nu, dont le sexe de l'homme a été postérieurement gazé au moyen d'une ceinture de feuilles de vigne. Je m’amuse.
Suzanne Valandon, Été, dit aussi Adam et Ève, 1909, Huile sur toile, 162 x 131 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Été, dit aussi Adam et Ève, premier état, 1909, Épreuve argentique noir et blanc, 23 x 16,8 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, bibliothèque Kandinsky
Le nu sous toutes ses formes ou presque, masculin, féminin, corps nubiles, adolescents ou adultes (il y manque le corps des vieillards dans lequel excelle un Ribera), scande d’ailleurs notre déambulation.
Suzanne Valandon, Nu au miroir, 1909, Huile sur toile, 90 x 71 cm en dépôt au musée de Montmartre, Paris, Collection Weisman-Michel
C’est néanmoins la représentation, frontale et tranquille, du corps féminin qui s’avère la plus fréquente, les commandes et achats de tableaux n’étant pas étrangers à ce florilège d’académies féminines — puisque n’est pas pour rien que le prénom adopté par Marie-Clémentine, après Maria, ait été finalement Suzanne, le voyeurisme n’étant pas le seul apanage des vieillards libidineux (à ceci près que jamais on n’accole à « jeune » le substantif « cochon » !).
Suzanne Valandon, Nu à la draperie blanche, 1914 Huile sur toile, 97 x 73 cm, Villefranche-sur-Saône, musée municipal Paul-Dini
Suzanne Valandon, Femme nue à la draperie, 1919, Huile sur toile, 73 x 60 cm, Genève, Association des Amis du musée du Petit Palais
Suzanne Valandon, Nu au canapé rouge, 1920, Huile sur toile, 80 x 120 cm, Genève, Association des Amis du musée du Petit Palais
Suzanne Valandon, L'Avenir dévoilé ou La Tireuse de cartes, 1912, Huile sur toile, 130 x 163 cm, Genève, Association des Amis du musée du Petit Palais
Pour ce qui concerne la version libre du couple biblique d’avant la faute qui nous accueille dès l’entrée, le scandale tient peut-être avant tout à ce que l’Adam, qui originellement (si l’on ose) exhibait son membre viril, était peint d’après nature (si l’on ose dire à nouveau), celle de l’amant de vingt-et-un ans plus jeune que l’auteure de la toile, celle-ci mariée, avant qu’André Utter devienne à son tour son second mari — mainte fois représenté et peut-être le modèle de la créature androgyne drapée dite la Dame au petit chien.
Suzanne Valandon, La Dame au petit chien, 1917, Huile sur toile, 92 x 66 cm, Limoges, musée des Beaux-Arts
Tout cela, nous l’apprenons de la lecture des cartels1 et de l’examen des œuvres et documents exposés autant que de la bouche du « médiateur » qui conduit la visite.
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1L'une des premières femmes de l'histoire à peindre un homme nu de face, Suzanne Valadon se représente avec son futur mari André Utter, de vingt ans son cadet. Si l'évocation du désir et de l'amour s'incarne à travers le thème biblique d'Adam et Ève, l'œuvre n'en est pas moins politique. En effet, une photographie d'époque montre que les feuilles de vigne recouvrant le sexe d'Utter ont été ajoutées tardivement, sans doute en 1920, pour répondre à la demande du Salon d'Automne.
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D’abord modèle (pour Puvis de Chavannes, puis Renoir, Toulouse-Lautrec,
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), La Grosse Maria, 1884, Huile sur toile, 80,7 x 64,8 cm, Wuppertal, Von der Heydt-Museum
Wertheimer ou Hynais — y compris Gauguin, dans un tableau dans lequel l’on ne reconnaît pas immédiatement, hormis peut-être la présence d’une mandoline, la main de l’artiste),
Paul Gauguin (1848-1903), Étude de nu ou Suzanne cousant, 1880, Huile sur toile, 114,5 x 79,5 cm, Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek
Marie-Clémentine-Suzanne devenue peintre cultive surtout ensuite l’autoportrait
Suzanne Valandon, Autoportrait au miroir, 1927, Huile sur carton, 62 x 50 cm, Val-d'Oise, collection de la Ville de Sannois, en dépôt au musée de Montmartre, Paris
Suzanne Valandon, Autoportrait aux seins nus, 1931, Huile sur toile, 46 x 38 cm, Suisse, collection particulière
autant que le portrait de proches — fort proches (Erik Satie a été son amant) ou non —,
Suzanne Valandon, Portrait d'Erik Satie, 1892-1893, Huile sur toile, 41 x 22 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Suzanne Valandon, Le Docteur Robert Le Masle, vers 1930, Huile sur toile, 100 x 81 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Suzanne Valandon, Portrait de Madame Maurice Utrillo (Lucie Valore), 1937, Huile sur toile, 55,9 x 46 cm, Paris, collection particulière
Suzanne Valandon, Portrait de Madame Pétridès, 1937, Huile sur toile, 55 x 46,5 cm, Paris, collection particulière
parfois en groupe selon un regard qui atteste une certaine causticité (?)2.
Suzanne Valandon, Marie Coca et sa fille Gilberte, 1913, Huile sur toile, 162 x 129,5 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts
Suzanne Valandon, Portraits de famille, 1912, Huile sur toile, 98 x 73,5 cm, Paris, musée d'Orsay, en dépôt au Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
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2Seule à soutenir notre regard, Suzanne Valadon se représente en impérieuse cheffe de clan dans cette toile à la manière des artistes de la Renaissance italienne, tels que Parmesan. À ses côtés, son fils, Maurice Utrillo, tient sa tête, lourde, en une pose héritée de l'iconographie de la mélancolie. Le regard évasif d'André Utter, à gauche, annonce son départ prochain du foyer. « Maman Madeleine », quant à elle, veille sur le « trio maudit » que forment les trois personnages. Cette toile, au décor sans profondeur, réduit à un simple drapé, amorce l'intérêt de Valadon pour les scènes de genre.
Est aussi exposé un tableau de Frédéric Bazille — possible source d’un tableau où est représenté par trois fois André Utter dans son plus simple et bel appareil —, où l’on sent fasciné le regardeur-peintre disparu précocement lors de la guerre de 1870, dans une “scène de genre” prétexte à des académies masculines.
Frédéric Bazille (1841-1870), Le Pêcheur à l'épervier, 1868, Huile sur toile, 137,8 x 86,8 cm Remagen, Arp Museum Bahnhof Rolandseck
C’est avec le même plaisir, enfin, que je revois la Chambre bleue, portrait emblématique d’une odalisque affranchie (est-ce pour cette raison qu’elle est portraiturée tête à droite ?) ou tout insoucieuse des préjugés du monde des hommes.
Suzanne Valandon, La Chambre bleue, 1923, Huile sur toile, 90 x 116 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Limoges
La visite guidée terminée, nous refaisons, de conserve cette fois, le tour de toute l’exposition, M.-C. et moi.
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Dans la Galerie 1 a lieu une autre exposition consacrée à La Répétition.
J’erre devant ces toiles, dessins, sculptures, vidéos, installations diverses sans trop de conviction… Cette seconde surface d’exposition, dans sa ténuité du motif qui réunit les œuvres (la répétition en art — même s’il s’agit de « [m]ontrer comment la création peut aussi procéder par répétition, insistance, multiplication, comptage, accumulation » — me semble extensible de toutes les façons, pouvant fournir un prétexte à quantité d’œuvres, isolément ou non) tant et si bien que je suis un peu déçu, le centre Pompidou-Metz m’ayant habitué à d’autres pertinences.
Je fais malgré tout quelques (rares) photographies.
Ainsi, cette double toile de Marlene Dumas, Ressemblance I & II, me fait songer aux corps gisants de Jean-Jacques Hemmer — et aurait pu illustrer mon article sur les dix ans de la mort de J.-M.
Marlene Dumas (Afrique du Sud, 1953), Ressemblance I & II [Gelijkenis I & II] [Likeness I & II], 2002, Huile sur toile en deux parties, 60 x 230 x 2,5 cm (chaque), Paris, Pinault Collection
— tandis que je songe à Aymeric en regardant cette toile de Kupka
František Kupka (1871-1957), Femme cueillant des fleurs, 1910-1911, Pastel et fusain sur papier, 48 x 49,5 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
ainsi qu’à Judith devant des variations autour du même de Josef Albers3, en me disant qu’elles ne valent pas celles découvertes au Musée d’art moderne de Paris en compagnie de cette dernière : je m’abstiens donc de les photographier.
Une installation d’Annette Messager4 — drôle et grinçante, en même temps qu’émouvante (?) — avec des oiseaux empaillés retient longtemps l’attention de M.-C.
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4« Dans une fiction, calquée sur les pratiques de l’enfance, Annette Messager se donne le rôle d’une maîtresse de pension, d’une mère qui élève, garde, protège et punit ses enfants-oiseaux ». Les moineaux empaillés et emmaillotés vivent ainsi toutes sortes d’histoires réunies en six chapitres, « décrivant successivement les cris des oiseaux, leur promenade, le bain de poussière, le repos, la punition » (Marie-Laure Bernadac, in Annette Messager, Mot pour mot, Presses du réel, 2006, p. 9) [https://www.paris-art.com/les-pensionnaires/].
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Nous prenons un verre ensuite, mais délaissons la terrasse, où la température et le vent, de par leur fraîcheur, nous dissuadent de rester.
Puis, voulant payer l’automate-receveur du parking souterrain, M.-C. se trouve à nouveau désarçonnée par la machine et se lance dans une autre tirade anti-moderne dont je m’amuse à part moi.
Nous mettons une heure pour rentrer, en raison cette fois de ralentissements dus à la circulation autoroutière en cette veille du pont de l’Ascension.
Au moment de nous quitter, M.-C. se déclare ravie de notre incursion.
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Je dîne ensuite avec T., avec j’ai rendez-vous en début de soirée.