1508 - March in Paris (3)
Journal extime
(19 juin – 26 juin 2023)
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Dimanche 19 mars 2023 [suite]
Soir
Je suis invité à dîner chez eux par Anne et Patrice — plutôt que de manger dans un restaurant, ce qui me convient tout à fait, connaissant les talents de cuisinier de Patrice.
Je vais à pied, constatant, à partir de la Place de Ménilmontant, que des ordures jonchent trottoirs et rues, contrairement aux rues que je viens de parcourir en aval de la butte, vierges de tout détritus.
J’ai bientôt la confirmation qu’Anne est finalement autrement plus bavarde que Patrice (il est possible aussi que Patrice lui cède les rênes de la conversation).
Ils sont allés au cinéma dans l’après-midi. Anne, qui détient une carte d’abonnement dans une salle de leur quartier, s’était réjouie de l’affluence, sans savoir que c’était « la fête du cinéma ». L’apprenant, puisqu’elle avait cru à un regain de fréquentation, elle fait un instant la moue, puis reprend l’optimisme que je lui connais : au moins les gérants de salles auront-ils pu engranger les bénéfices de l’opération.
Le sujet est lancé, ainsi que celui des expositions que je compte visiter.
J’irais voir avec Khadija le nouveau film d’Ozon — celui-là même dont eux sortent —, puisque je bénéficie d’une invitation pour deux places dans la salle de mon choix, quand elle a prévu de se rendre visiter au Centre Pompidou la rétrospective consacrée à Germaine Richier.
Elle m’étourdit de films vus, d’expositions faites. Je peine, quant à moi, à retrouver les titres des expositions que nous avons prévu de faire, Judith ou Khadija et moi, durant la semaine.
Je raconte la série d’actes manqués de l’après-midi, convertissant ainsi en une narration humoureuse l’agacement du moment.
Je demande des nouvelles de leurs deux filles, et d’abord de l’aînée, sur le point d’accoucher d’un second enfant. Eux ont passé la nuit précédente auprès de Julie afin de préparer par la présence leur petit-fils d’un peu de trois ans à l’absence de la future parturiente au cas où le conjoint serait en train de travailler.
Patrice et Anne se sont rendus à toutes les manifestations contre la réforme des retraites. S’ensuivent de longues considérations sur la situation politique. Patrice croit que la motion de la LIOT sera adoptée, provoquant la chute de l’actuel gouvernement : j’en suis moins certain que lui.
L’apéritif dure longtemps. Patrice se sert du vin généreusement. Je fais en sorte qu’il ne m’imprime pas la même cadence et remplisse mon verre moins souvent…
La crème d’ail dont nous tartinons des canapés de pain grillé est très bonne. Je ne sais si mon estomac en supportera la digestion. Anne évoque ses problèmes intestinaux, me prescrit tel ou tel remède, tandis que Patrice se gausse.
Nous passons à table. Le porc aux lentilles est lui aussi très bon. Anne me sert toutefois trop copieusement de légumes, et je ne prends que peu de viande. Patrice débouche une seconde bouteille, dont je m’aperçois que c’est celle que j’avais apportée, et je tâche à nouveau de freiner l’absorption de vin pour ne pas être trop saoul avant la fin du repas.
Anne parle alors que du projet qu’elle a conçue d’aller à Colmar afin de voir le retable d’Issenheim au Musée Unterlinden. Je propose qu’ils prennent le train jusque **** et de les conduire, en restant au moins un jour supplémentaire à Strasbourg (la pensée de Julien et de mon dernier séjour me poigne un instant).
Patrice sert ensuite une salade de fruits, qu’il me propose d’agrémenter de maniquette, une épice que je connaissais pas et dont Patrice me remplit incontinent un flacon faisant aussi office de moulin à poivre.
J’évoque la lithographie de Manet, que mon père aimerait faire authentifier. Patrice a une amie qui travaille à Sotheby’s, qui pourrait s’en charger, à condition que je lui fasse parvenir un cliché de qualité. Il en profiterait d’ailleurs pour faire estimer des œuvres que possédait J.-M., celles qu’il n’aime pas — et moins encore Anne, me semble-t-il — et qu’il pourrait proposer ensuite à la vente. (C’est la seule fois que nous évoquons J.-M., même si, bien entendu, son souvenir est présent à l’esprit ; Anne m’a d’ailleurs demandé des nouvelles de Pascal et F. bien plus tôt dans la soirée, Patrice et elle ne les ayant pas vus depuis plusieurs années.)
Il commence à se faire tard, et les paupières de Patrice s’alourdissent, ses traits s’épatent sous l’effet du vin. Je me sens moi-même pris de boisson. Je lance donc la proposition de les laisser et de m’en aller.
Nous convenons de peut-être nous retrouver pour la manifestation de jeudi et de battre ensemble la pavé parisien, ce qui me rappelle fugitivement la journée de février 2020 où j’avais rejoint des militants que je connaissais qui avaient fait le voyage jusque Paris pour défiler en leur compagnie.
Il est minuit moins le quart quand je me mets en chemin, marchant vite pour à la fois dissiper les vapeurs de l’alcool et contrecarrer la fraîcheur de la nuit.