1522 - Si bien que… ? (66)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Si bien que… ?

(Journal extime)

Work in progress

 

66

 

19 avril 2023

Je ramène à une seule les séances hebdomadaires chez l’orthophoniste. Comme elles avaient lieu les mardi et mercredi, je trouvais la seconde bien moins efficace, en raison de la fatigue de la veille.

Je me décide à aller me faire raccourcir les cheveux : je temporise depuis des semaines tant et si bien que cinq mois ont dû s’écouler. Quand j’entre dans la boutique, le coiffeur — un assez jeune homme barbu, plutôt grand, que je n’ai jamais vu — se montre légèrement embarrassé et demande, avec un fort accent étranger (je pense que le salon est tenu par des turcs) de l’attendre quelques instants. Je le vois se déchausser, disparaître en partie derrière le comptoir — et entamer sa prière. Je détourne les yeux et fais mine de m’intéresser, tout en m’asseyant, par la vitrine au spectacle de la rue.

Il laisse une assez longue mèche sur le dessus de mon crâne dégarni, houppe dont je demande à deux reprises qu’i la raccourcisse. Il allègue l’idée, par ce pauvre moyen, de dissimuler une calvitie de toute façon bien entamée. Je proteste qu’à ce stade que rien, rien n’y peut plus rien, obtenantc’est du moins l’impression que j’ai face à ce mâle peu dégrossi qui ne ménage guère ma tête en la manipulant quand il est besoin dans telle ou telle direction et dont j’entends la respiration plutôt bruyante au dessus de mon cuir chevelu tanné par les ans — pour la première fois l’esquisse d’un sourire.

 

Pourquoi en vingt ans — ne cessé-je de me demander au fil des mobilisations qui passent —, pourtant naguère “fer de lance” (avec les intermittents du spectacle, d’ailleurs plus endurants qu’eux), avons-nous perdu les enseignants dans le mouvement actuel contre la réforme des retraites ? (Cette question, je l’ai posée à Elvire, à Sylvie, sans être convaincu de leur réponse, tout en demi-teinte.) En fait, je crois le corps enseignant épuisé, sinon rendu malade par les réformes successives qui se sont abattues sur lui, contre son gré ou, quelquefois, dans une indifférente assumée : un corps dépéri à devoir appliquer des réformes mortifères pour la formation de jeunes esprits parfois pourtant pleinement disponibles, demandeurs et tout prêts à avaler des nourritures autrement solides que celles qu’on leur propose dorénavant. Pour leur plupart désabusés, certains désolés, les enseignants se voient contraints de trahir leurs propres idéaux de par les programmes qu’ils suivent, et une large majorité s’est réfugiée dans son quant-à-soi. Abandonnant le terrain dès juin 2003 par crainte — mais pourquoi donc ? — de nuire à leurs propres ouailles et voulant maintenir à toute force un baccalauréat déjà amplement démonétisé — sans se douter, malgré ce qui crevait déjà les yeux, que l’examen serait bientôt réduit à de ridicules oripeaux —, ils sont rentrés dans le rang à la veille de l’examen, et, laissant seuls les intermittents, ils en ont pris pour vingt ans de déclassement, de dévalorisations, de turpitudes ou d’indifférence envers le sort peu enviable qu’on leur a, depuis, fait subir…

Et c’est à peine si le corps enseignant, décimé lors de sa défaite contre la loi Fillon, a frémi encore au moment du CPE. Ce sont surtout, en effet, les lycéens — véritable force vive d’une jeunesse seule victorieuse, et ce, vingt ans après leur révolte contre la Loi Devaquet — qui ont agité, en rentrant dans la danse — et avec quelle vigueur ! —, son ectoplasme comateux, privé depuis lors de tout ressort véritable.

Aussi, quand, rassemblant un concert de voix suffisamment puissantes pour contrer le ministre Blanquer et renonçant à toutes leurs réticences coutumières, vainquant leurs scrupules habituels, au nom de « l’intérêt des élèves » (mais la vue accourcie à la longueur de leur nez), la colère s’avisant de jouer les bonnes conseillères, au moment des derniers coups de butoir contre le baccalauréat en tant qu’examen égalitaire et national, ils ont tout d’un coup repris la pelote là où ils avaient interrompu le travail, pourtant si nécessaire.

Nous avons vécu des moments splendides, intenses et collectifs, dans l’unité retrouvée alors (nonobstant la majorité silencieuse), même si, à nouveau, bien engagée pourtant, la bataille n’a pas été pas gagnée du fait de barrages de tir dignes d’ores et déjà de forcenés, des manœuvres et mensonges ourdis dans les rectorats depuis le ministère par un ministre Blanquer dénué, lui, de tous scrupules, en recourant à de grossiers maquillages dans la publication des résultats de l’examen, des notes attribuées étant de pures fictions quand des jurys n’avaient pu se tenir — en toute illégalité, naturellement…

Et que de couleuvres avalées depuis la défaite contre Fillon et le non-remboursement des jours de grève en 2003 !

 

C’est Adrien qui m’a appris, à mon retour d’Espagne, la nomination de Pap Ndiaye à la place de l’ancien ministre Blanquer. Lui, s’était demandé pourquoi il avait accepté pareil poste, pourquoi un historien sérieux et reconnu était allé dans pareille galère… Même si la distinction doit être faite entre épouvantail et homme de paille, de Blanquer à Pap Ndiaye, de Didier Lallement à l’actuel Laurent Nuñez, le pareil au même sévit toujours, jusqu’à ce que la colère fasse que l’obstacle se fracasse, peut-on espérer, après avoir vendangé l’avenir !

C’est pourquoi l’on ne peut qu’acquiescer (et se réjouir) en entendant cette intervention de Dominik Moll après que son film, la Nuit du 12, s’est vu attribuer le césar des lycéens — en présence même dudit ministre de paille…

 

Et c’est aux Enfants de novembre de Barbara — ceux de 86 — que j’ai songé au moment où la (grosse) grappe de manifestants avant-hier s’égrenait de par les rues :

Ils repartent en musique les Enfants…

Beaux Enfants…

Les Enfants… les Enfants de novembre…

1522 - Si bien que… ? (66)

 

 

 

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