1558 - Retour à Dieppe (6)
[récidive]
Journal extime
(26 juillet - 2 août 2023)
6
31 juillet
Matin
En dépit des indications fournies par son site, le Musée du Château s’avère fermé. Epidémie de coronavirus ou non, il était comme écrit que je ne pourrais pas plus le visiter cette fois que deux ans auparavant.
J’en profite en vérité pour m’octroyer un quartier libre bienvenu jusque l’heure du déjeuner. Je flâne, entre dans quelques rares magasins ouverts en ce lundi matin, pousse jusqu'au port,
bois une bière brune dans un café du centre.
Jacques-Emile Blanche (Passy 1861 - Offranville 1942), Dieppe, le Puits-Salé, 1920, Huile sur toile [photographie du 4 août 2021]
Après-midi
M.-C. ne veut pas sortir et propose de regarder un film. Le film en question, spécialement lent — Antonioni et Bergman sont “crédités” dans les commentaires de la jaquette du DVD —, se révèle vraiment ennuyeux. M.-C. est la première à en convenir.
Je parviens à la persuader de nous promener un peu à la faveur d’une éclaircie.
Nous allons jusqu’au pied des falaises et, alors qu’on vient de nous servir un verre, la pluie se met à tomber, noyant bientôt puis bouchant l’horizon, colorant la mer de teintes laiteuses, café au lait, jade vert et blanc, tel un rideau de théâtre obstinément baissé empêchant de profiter du spectacle. La ligne d’horizon n’est même plus perceptible.
Nous faisons quelques courses.
Alors qu’elle s’est emparée d’un autre plat surgelé plutôt que le risotto que je lui ai désigné, M.-C. marquera de la surprise au dîner que j’aie pris des pâtes et non du riz ; je ne peux m’empêcher de lui dire qu’elle-même les a choisies… Pareille anecdote paraît illustrer à merveille les menus incidents qui ont émaillé nos journées — dans la continuité de la fois qu’à Palerme elle avait refusé nous prenions des raviolis semi-frais au prétexte que les plats préparés « c’est dégueulasse »… Préventions, principes et valeurs à géométrie volontiers variable ont ainsi été l’occasion d’escarmouches répétées, se nourrissant de ma manière de doser le sucre, de manger de la compote de pommes avec un yaourt, de ranger la table pour la débarrasser au fur et mesure, etc., etc. — entre autres remarques sur le fait d’avoir dû se lever si tôt en raison même du moment de mon lever contre ses habitudes, etc., etc.
Soir
Le concert auquel nous assistons à Varengeville-sur-Mer, même si nous sommes assez mal placés, nous offre une distraction très agréable.
Une pièce plaisante d’un musicien connu alterne avec une autre, plus difficile et plus virtuose, souvent dû à un compositeur moins connu, et destinée à faire valoir le brio de l’instrumentiste.
Le récital s’achève sur un finale sympathique et bon enfant qui réunit tous les solistes sur un extrait d’opérette.
Sur le parking, alors que nous sommes plongés dans une absence totale de lumière, M.-C., désorientée, refuse d’aller plus loin, persuadée que je me trompe de chemin : elle soutient que sa voiture était stationnée sur le bas-côté de la route. S’il est vrai qu’elle ne s’était pas garée en épi comme ne le permettait plus l’aire de stationnement où l’on nous avait guidés à notre arrivée celle-ci se rétrécissant à mesure que nous avancions, je suis convaincu que nous sommes au bon endroit et continue d’avancer. Apercevant la voiture, je la lui désigne tout en criant à la fois ma satisfaction de l’avoir enfin repérée mais aussi mon dépit que, comme en bien des occasions, elle ne m’ait pas fait pas confiance ni cru : « La voilà, ta voiture ! ».
Elle explose alors : je serais toujours méprisant dans mes affirmations et ma conduite générale, hurle-t-elle en substance (car je ne saurais retrouver tout à fait les termes qu’elle emploie alors). Ebranlé, je crie d’abord aussi fort qu’elle, tout en protestant que son imagination lui joue des tours…
Puis, après un temps de morne silence, elle cède à une appréhension qui confine à la panique : jamais elle ne trouvera sa route dans le noir.
Je décline sa demande de prendre le volant à sa place : je conduis une voiture automatique depuis trop longtemps, et ma crainte est trop forte tant d’avoir perdu les habitudes de freinage et d’embrayage nécessaires que de me retrouver en outre au volant d’un véhicule que je n’ai jamais conduit.
Je lui propose de la guider, et, pour pouvoir suivre notre itinéraire, mets en service le GPS du téléphone qui nous amène, après un ou deux kilomètres qui nous paraissent une éternité, jusqu’à la route départementale qui est lui est familière.
Elle conduit à moins de 30 km/h, le nez sur le volant. Je regrette amèrement d’avoir oublié son problème, finalement aigu, de cataracte, et de n’avoir pas pris ma voiture.
Entre-temps, elle s’est quelque peu rassérénée. La colère initiale et la panique qui l’ont prise l’ont quittée. Nous mettons cependant un temps infini pour rejoindre Dieppe par cette route tortueuse sur laquelle nous doublent toutes les voitures. Retrouver les éclairages d’une ville est un immense soulagement, dont je sens les effets immédiats sur M.-C. qui retrouve tous ses réflexes de conduite dans les derniers kilomètres jusque chez elle.
1er août 2023
Matin
Naturellement, M.-C., au réveil, entend se rattraper de l’accès colérique de la veille — et, de mon côté, j’ai fait de toutes les façons mon maxima culpa de mes propres inconséquences de la veille, de n’avoir en particulier pas pensé à ce qu’impliquait pour elle un trajet à la nuit tombée.
Elle se montre donc toute douce, un peu mielleuse même — parce que peut-être la voix est pâteuse, encore ensommeillée : je peux faire tout le bruit que je veux dans mes préparatifs de retour, en attendant qu’elle se lève…
Contrairement à ce qu’elle avait affirmé quelques jours auparavant, elle-même ne rentrera que le lendemain, et elle décline ma proposition de faire avec elle rangement et ménage avant que je m’en aille.
Je pars un peu en avance sur l’horaire que je m’étais fixé, soulagé de prendre la route.
Car ce séjour m’a coûté : ces querelles incessantes, nos humeurs constantes de chien et chat — sans que je sache lequel a endossé le rôle de l’un ou l’autre animal ¡ — m’ont rendu malheureux, et m’ont montré, invitus invita, une impossibilité cruelle de s’accorder et de voyager ensemble. Et j’ai déterminé que jamais il n’y aurait de récidive désormais.