1577 - Paris, début d’automne (6)
Paris, début d’automne
[récidive]
Journal extime
(27 septembre – 4 octobre 2023)
6
1er octobre
Matin
Cette fois, Judith et N. sont en retard au rendez-vous que nous nous sommes fixés la veille.
Khadija propose de prendre d’abord un café.
L’exposition consacrée aux relations d’Amedeo Modigliani et de Paul Guillaume est plaisante — je sens Khadija d’emblée conquise.
Amedeo Modigliani, (Livourne, Italie, 1884 - Paris, France, 1920), L'Enfant gras, Huile sur toile, 1915, Milan, Pinacoteca di Brera
Artiste Fang, Gabon, Masque anthropomorphe Ngon Ntang, Bois, pigments dont kaolin, laiton, XIXe siècle, Paris, Musée du quai Branly-Jacques Chirac
Amedeo Modigliani, Madam Pompadour, Huile sur toile, 1915, Chicago, The Art Institute of Chicago, Joseph Winterbotham Collection
Le Jeune Apprenti, Huile sur toile,1917-1919, Paris, Musée de l'Orangerie, Collection Walter-Guillaume
Je prends peu de clichés, la plupart des toiles sous vitre renvoyant les silhouettes des regardeurs, non sans éclabousser ou zébrer d’éclairages importuns les tableaux.
Nous parcourons la collection permanente,
Chaïm Soutine (1893-1943), Le Gros Arbre bleu, Vers 1920-1921, Huile sur toile, Paris, Musée de l'Orangerie
puis la boutique. Khadija achète un “magnet ”du Bassin aux Nymphéas, harmonie verte pour Judith. Nous achevons notre visite précisément par Monet, par les salles des Nymphéas.
Nous convenons, Judith et moi, de nous retrouver au Musée du Luxembourg plutôt le matin le lendemain.
Après-midi
Nous déjeunons dans l’appartement.
Khadija me dit que seuls ses vrais amis ont vraiment conscience de ce qu’elle a mis sa vie entre parenthèses depuis sept ans. Le week-end aura passé pour elle trop rapidement. C’est ce que, précisément, j’ai désiré ces quarante-huit dernières heures : la divertir ; cependant, je lui rappelle que, sept ans auparavant, j’avais tenté de la dissuader d’accomplir un tel sacerdoce. Je sais, sans qu’elle l’exprime, qu’elle n’avait pas imaginé que ses soins maintiendraient si longtemps sa mère en vie — et je me demande combien de temps encore cette dernière pourra encore durer sans que la machine flanche.
* * *
Nous nous rendons au Centre Pompidou pour l’exposition « Over the Rainbow », de l'autre côté des luttes, laquelle, chronologique, adopte un parcours historique obligé, sans surprises de ce fait, mais qui suscite des révisions et remontées mémorielles précieuses quelquefois, tout en n’interdisant pas sur place des découvertes, voire en autorisant des explorations ultérieures.
Ainsi savais-je ou avais-je oublié que le film de Victor Fleming le Magicien d’Oz dans lequel Judy Jarland « entonne le thème “Over the Rainbow” » — d’où les guillemets de citation (que je n’avais pas remarqués) dans l’intitulé de l’exposition —, était à l’origine du drapeau LGBTQIA+ aux couleurs de l’arc-en-ciel ? ou que « longtemps, dans la communauté gay, c'est grâce à ce nom de code (“un ami de Dorothée”, du nom du personnage de Judy Garland dans [ledit film]) que les homosexuels pouvaient discuter entre eux librement de leur orientation sexuelle » ?
Copieuse, puisque « [r]éunissant plus de cinq cents œuvres et documents (films, photographies, magazines etc.) », l’exposition évite malgré tout, du fait de la variété de ses supports, l’effet de saturation (contrairement à la rétrospective photographique Corps à corps) et permet également quelques coupes claires — Un Chant d’amour de Jean Genet, vu au moins deux fois, une première, au cinéma, une deuxième je ne sais à quelle occasion —, le temps nous étant compté avant le train que doit prendre Khadija en fin d’après-midi.
Marie Laurencin, L'Hermaphrodite, [1955], Eau-forte sur papier, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Je pense à ma lecture des ouvrages de René Crevel, découverts par l’intermédiaire de François, en découvrant ce portrait, somme toute médiocre, de cet autre suicidé (puisque Nicolas de Staël, Amadeo Mogliani, Vincent Van Gogh, ont accompagné ou accompagneront mes déambulations parisiennes du moment).
Christian Bérard, René Crevel, 1925, Huile sur papier marouflé sur toile, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Les dessins de nus du photographe Raymond Voinquel aiguillonnent dans ma mémoire des souvenirs anciens
— suscitant cette anamnèse : dans un numéro de Masques consacré à Jean Cocteau, publié pour le vingtième anniversaire de sa mort, Jean Marais à demi dénudé, (la “Photo X” paraît appartenir à une série bel et bien due au talent de Voinquel) —,
tandis que, approfondissant cette signature, je croiserai par la suite d’autres portraits magnifiques, tel cet adolescent diaphane et luminescent, irradiant son incandescente jeunesse dans un Hommage (ô combien approprié) au Bronzino,
ou cet autre hommage aux corps sculptés par Michel-Ange,
ou ce portrait d’un Louis Jourdan abandonné et perdu dans des cordes suggestives, très beau de toutes les façons — la bouche et la narine, outre la toison fine, le sein parfait.
Au cours de ces brèves recherches, je découvrirai aussi ce cliché de Barbara, sans date, mais remontant sans doute aux années 1964-1965.
Précisément, je m’intéresse à la galerie de chanteurs et chanteuses déclinés dans une pièce qui leur est dédiée sous le chapitre de « Chansons interlopes ».
Le film de Kenneth Anger, Scorpio Rising, que j’avais dû voir dans un festival du film underground quand j’avais vingt ans, m’apparaît assez daté dans son esthétique et même plutôt ennuyeux à regarder — ce que je fais distraitement, mais peut-être cette esthétique cuir et les motards ne font-il pas partie de mon imaginaire personnel, même si ce buste de Jean Boullet magnifie la lippe autant que le regard et le cou droits du cinéaste.
Je pense, enfin, à Mathieu Riboulet à propos des photographies, réalisées par Jean-Baptiste Carhaix, des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence — et à ma lecture de Avec Bastien.
Khadija prend en note des références, pour Coco dit-elle.
J’achète à la librairie du Centre l’Opoponax de Monique Wittig, absent des catalogues des médiathèques que j’ai pu consulter.
* * *
Nous rentrons à l’appartement afin que Khadija boucle sa valise.
Nous disposons de trois quarts d’heure ensuite pour nous poser dans le bar à bières dans lequel, elle et moi, avons pris nos habitudes depuis le mois de mars précédent.
Début de soirée
Pour moi aussi, ces deux derniers jours ont passé trop vite. Je quitte Khadija tout comme elle me quitte, précipitamment, et le rendez-vous pris en cours de journée avec Patrice et Anne nous donne l’avantage d’éviter un au revoir au bout d’un quai de gare…