1580 - Paris, début d’automne (9)

Paris, début d’automne 

[récidive] 

Journal extime 

(27 septembre – 4 octobre 2023) 

9

3 octobre

Matin

Je lis et j’écris (à Aymeric, à T.).

Après-midi

Judith est en retard — alors même qu’elle m’avait demandé d’arriver quinze minutes en vacances. Elle cherche des toilettes dès que nous sommes rentrés à l’intérieur du musée.

L’affluence est plus drue que jamais. On dirait que chacun pressent un monde à vau-l’eau et réclame, en toute inconscience, sa part de beauté.

L’exposition sur les derniers jours de Van Gogh à Auvers-sur-Oise ne peut que combler pareil désir — et explique la presse.

Devant le dernier tableau peint par Van Gogh, je songe à ce que m’en avait dit Aymeric l’avant-veille, lui, ayant regardé un documentaire à son sujet. Et je songe à Etienne, que je n’ai jamais revu depuis notre escapade à Auvers.

Vincent Van Gogh, Fermes à Auvers-sur-Oise, Fin mai-début juin 1890, Huile sur toile, Helsinki, Finnish National Gallery, Ateneum Art Museum, Antell Collections

Vincent Van Gogh, Portrait du Dr Gachet (L'Homme à la pipe), Vers le 10 juin 1890, Eau-forte, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie

Bords de l'Oise à Auvers-sur-Oise, Seconde moitié de juin 1890, Huile sur toile Détroit, Detroit Institute of Arts

La Maison du père Pilon, 25-26 mai 1890, Huile sur toile, Collection particulière

Maisons à Auvers-sur-Oise, 9-10 juin 1890, Huile sur toile, Boston, Museum of Fine Arts

Ferme, Fin mai - mi-juin 1890, Huile sur toile Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation)

Vue d'Auvers-sur-Oise, Fin mai - mi-juin 1890, Huile sur toile, Providence, Museum of Art, Rhode Island

Champ de coquelicots, 14 juin 1890, Huile sur toile, La Haye, Kunstmuseum Den Haag, prêt de longue durée du Cultural Heritage Agency of the Netherlands (RCE)

Jardin à Auvers-sur-Oise, 18-20 juin 1890, Huile sur toile, Collection particulière

Adeline Ravoux (22 juin 1890), Huile sur toile, Collection particulière

Adeline Ravoux (24-29 juin 1890), Huile sur toile, Cleveland, The Cleveland Museum of Art

Magnifiques sont les toiles au « format double carré » de la dernière salle, peintes dans les derniers jours du peintre

Sous-bois avec deux personnages, 20-22 juin 1890, Huile sur toile, Cincinnati, Cincinnati Art Museum

Paysage au crépuscule, 20-22 juin 1890, Huile sur toile, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation)

Champ de blé aux corbeaux, 8 juillet 1890, Huile sur toile Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation)

Champ de blé sous des nuages d'orage, 9 juillet 1890, Huile sur toile, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation)

Pluie à Auvers-sur-Oise, 18 juillet 1890, Huile sur toile, Cardiff, Amgueddfa Cymru - National Museum Wales

Champs aux meules de blé, juillet 1890, Huile sur toile, Riehen/ Båle, collection Beyeler

Fermes près d'Auvers-sur-Oise, 25-26 juillet 1890, Huile sur toile, Londres, Tate

— dont celle-ci, réputée la toute dernière (donc), l'avant-veille de son suicide¹, le 29 juillet 1890, date que je retiens en ceci que son geste a lieu soixante ans jour pour jour avant le jour où est né J.-M.

Racines d'arbres, 27 juillet 1890, Huile sur toile, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation)

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¹Voici le texte du cartel accompagnant le tableau :

Andries Bonger, beau-frère de Theo, mentionne ce tableau comme le dernier de Van Gogh. Cet entrelacs de racines dénudées, cadré très près comme un gros plan de photographe, présente une composition presque abstraite. Paradoxalement, c'est aussi l'image que l'on peut associer le plus directement à un motif réel récemment identifié. Ce sujet, peint le jour même du suicide, porte de toute évidence une charge symbolique : « ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même », écrivait-il le 10 juillet.

 

* * *

Nous prenons un verre rapide ensuite : Judith doit être à 15 heures 30 chez elle pour donner un cours de piano.

Elle me montre des photographies prises la veille de meubles design des années trente chez Christie.

Après que nous nous sommes quittés, je saute dans un bus pour, profitant une dernière fois de Paris, me rendre au Musée de Cluny, rouvert depuis quelque temps.

Je parcours d’abord une exposition qui propose un « Voyage dans le cristal ». Le polyèdre y est décliné sous toutes ses faces.

Alberto Giacometti, Le Cube, Fin 1933-début 1934 Plâtre, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne/Centre de création industrielle

Georges Braque (1882-1963), Le Sacré-Cœur de Montmartre, 1910, Huile sur toile, Villeneuve-d'Ascq, LaM-Lille Métropole, Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut

Patrick Neu , Verres fumés, 2006 et 2020, Cristal de plomb et noir de fumée, Collection de l'artiste, D'après Hans Sebald Beham (Trois crânes) et Edvard Munch (Le Cri).

Puis j’explore, en tâchant d’en négliger aucune, les salles du fonds permanent.

Jan de Molder (ou de Moeleneere, mentionné à Anvers de 1494 à 1536), Retable du Saint-Sacrement, La Messe de saint Grégoire (au centre, en haut), L'Adoration de l'hostie (au centre, en bas), La Rencontre d'Abraham et de Melchisedech (à gauche) ; La Cène (à droite), Anvers. 1513-1514, Bois (chêne) polychromé

Attribuée à Jan Borman I (mentionné autour de Louvain de 1489 à †1502-1503), Sainte Marie Madeleine, Bruxelles, vers 1480-1490, Bois (chêne), traces de polychromie

Quatre perdrix, Rouen (?), début du XVIe siècle, Verre blanc, verres colorés, grisaille, sanguine, plomb

Coffrets à estampe, Le Martyre de saint Sébastien, Paris, vers 1490, Bois de hêtre, cuir, fer forgé, tissu enduit, xylographie sur papier

Entourage de Nino Pisano (mentionné de 1349 à 1368), Ange de l'Annonciation, Pise, vers 1360-1380

Adam (Île-de-France, vers 1260), Calcaire lutétien, vestiges de polychromie Provenance : Notre-Dame de Paris, revers de la façade sud du transept

Rien n’y fait : quel que soit l’appareil, les tapisseries de la Dame à la Licorne ne se laissent pas aisément capturer, et les prises que je réalise sur le téléphone portable pour la énième fois sont à nouveau tristement ternes, les personnages et bêtes comme posés dans leur obscurité inerte.

Mon seul désir, Tapisserie, Laine et soie, Pays-Bas méridionaux ou Paris (?), vers 1500

4 octobre

Je m’adonne aux deux heures et demie rituelles de ménage. J’enferme ma moisson de texte, de livres et d’images dans mon sac de voyage, le plus précieux étant celui que m’a offert Khadija le samedi précédent.

*  *  *

Je finis le roman de Marie-Hélène Lafon dans le train. J’ai pris place aux côtés d’une voyageuse plongée dans l’indifférence — que j’ai incontinent saluée d’un signe vigoureux de la main, lui arrachant tout de même l’esquisse d’un sourire.

FG m’a écrit dans la matinée : il voulait passer — il était déjà 10 heures et demie ! — et je l’ai renvoyé à mes messages antérieurs stipulant les dates où j’étais à Paris.

Il viendra demain. Tout rentrera donc dans un certain ordre, selon un certain orbe : je n’ai plus qu’à rentrer ma colère qu’il m’ait fait lanterner durant deux mois… Je sais de toute façon par avance que le chantier et ses à-côté ne seront pas clos avant la fin de l’hiver…