1596 - Lettre à J.-M., 26 février-6 mars 1989 (1)
in memoriam J.-M.
Reims, le 26 février 1989
Bonjour,
Dimanche. Il fait beau. Je me suis perdu dans un parc quelques instants avant de marcher encore jusqu’à l’inexorable Place d’Erlon,
sans conviction, juste parce qu’il fallait profiter de ces conditions météorologiques agréables — et parce que mes murs enferment une lessive, un désordre de copies sur la table de la cuisine, sans compter tout cela qui aurait besoin d’une remise en ordre sévère…
Le côté nécessairement endimanché de la balade n’était pas, cependant, ce qu’on pouvait attendre de plus agréable, j’en aurais dû m’en douter ! Fallait-il demeurer chez soi,
ou affronter cette foule insipide dans ses mœurs bêtes à pleurer ?
Période d’ennui. Cela coïncide avec les obligations de fin de trimestre. Impossible (à cause [de la médiocrité] des programmes) d’aller au cinéma tous ces temps derniers. Cela manque beaucoup. Les copies tombent, tombent, tombent… Si je n’écris plus, je lis beaucoup — des choses intéressantes d’ailleurs. Mais les livres existent en dehors de soi de toute façon — et ne rompent pas tout à fait l’impression persistante de médiocrité qui m’accable de temps à autre.
Deux “événements” désagréables ont eu lieu. Le premier concerne Christophe, insaisissable — et que, pour cette raison, je ne vois pas presque plus. Il semble ne pas aller bien, et pratique la fuite en avant. S’il m’arrive de le voir, il se montre superficiel, et vite insupportable… Il m’évite de toute façon, vraisemblablement parce ce qu’il a bien compris que je m’essaierais à le secouer un peu. Cela m’a amené à me montrer critique vis-à-vis de mes relations rémoises, lesquelles ne résistent pas à cette sorte d’examen. W***, seule, s’en sort indemne. Mais nous nous voyons peu. (J’ai dîné avec elle, Eric, Marie-Annick et sa copine. Ce n’était pas désagréable, mais il y avait dans les conversations et attitudes une circulation souterraine qui ne me concernait en rien et, en conséquence, me mettait à l’écart. Je la verrais plus volontiers en tête-à-tête. Les occasions, ces temps derniers, ont manqué.)
Côté “professionnel”, cela ne va guère mieux. Cela irait même plutôt plus mal, peut-être. J’ai commencé la semaine par m’engueuler avec un collègue bête et intransigeant. Il n’avait que ce qu’il méritait — mon mépris —, mais peut-être eût-il mieux valu laisser courir — et garder son énergie. (Denrée rare et précieuse que l’énergie.) Après trois heures de bavardages vains avec les parents avant-hier, je n’en avais mie. Ni plus d’espoir. Ni rien.
(à suivre)