1612 - Si bien que… ? (83)
Si bien que… ?
(Journal extime)
Work in progress
83
24 novembre
Serait-ce que je commence à m’ennuyer ? C’est pourtant un état d’âme qui ne me connaît pas d’ordinaire. On est cloué à l’hiver. Partir ne se peut guère avant le printemps. La pensée de Paris me traverse, par instants. Mais c’est pour voir pleuvoir ailleurs… Reste le plaisir que ce serait de retrouver les amis parisiens.
Disponible de toutes les façons, je pourrais faire en sorte de rencontrer davantage de gens — avant le rétrécissement de la vie sociale dont mon père se plaint souvent.
J’ai d’ailleurs téléphoné à M. pour cette raison précise. Elle devait dîner chez moi il y a deux ans et s’était décommandée le jour même. Entre-temps, malgré quelques tentatives, nous ne nous sommes pas revus.
3 décembre
A la question posée par Denis : « Qu’est-ce que tu fais en ce moment ? », ma réponse part, sans être préméditée, conscientisée, aussi soudaine (une expression existe pour cela que je ne retrouve plus) qu’une arme chargée dont le coup est parti sans que l’on l’ait voulu [fuse ?].
Un rire, gêné, qu’accompagne en écho un autre rire, celui de Valérie, accueille ce mot qui n’avait pas prétention à être « un bon mot » — tout juste une vérité crue lancée à la face de mes deux interlocuteurs qui n’ont pas même idée de ce que ne rien faire peut vouloir dire, une vérité toute nue qui, tout autant, ne veut rien vouloir dire. Evidemment, j’aurais pu répondre : « pas grand-chose, je lis un peu, j’écris, je regarde des films… », ce qui, socialement parlant, aurait paru mieux acceptable, mais j’ai élu spontanément (pas choisi, non, le terme serait inapproprié) le parti de mots-réflexes, tel un geste sua sponte.
Un blanc encore succède aux rires avant que le camp de la raison l’emporte et fasse dire : « tu as bien raison ! »
Je ne voulais pas fanfaronner, cela va de soi. D’ailleurs, il m’arrive de m’ennuyer — sentiment qui jusqu’alors m’était inconnu [ajout du 23 mars : tant pis, je m’en aperçois, pour la redite] — au cours des journées qui se succèdent, sans aspérité, ardeur, couleur ni nuance, dans ce gris de l’automne que je mâche machinalement. Et ce « rien » était en quelque sorte le caillou dans la mâchoire qui, depuis, m’a enjoint de recracher pareil sentiment d’inutilité, redonnant saveur et texture au fond de ma bouche — si j’ose la métaphore filée…