1631 - Etablissement (2)
3-9 janvier 2024
Je me fais interpeller par une jeune femme que je ne reconnais pas. Heureusement, elle engage la conversation, et je comprends alors que je suis en train de converser avec Anouk, que l’absence de lunettes a empêché que j’identifie. Elle se trouve avec ses parents, qu’elle me présente rapidement, en précisant qui je suis, en ajoutant le bon souvenir qu’elle a conservé de mes cours.
Elle me demande comment je vais depuis je l’ai vue trois ans et demie auparavant à l’hôpital.
À ma demande, elle me donne très librement des nouvelles de Justine et de Romain. Elle a vu tout récemment, au moment des fêtes, Justine à Strasbourg. Justine est enceinte de sept mois — de Romain, ajoute-t-elle assez comiquement. Elle me propose très poliment de s’asseoir sur la banquette en face de moi, puis fait défiler en le tendant à mon intention sur son téléphone portable quelques photographies, d’elle et d’une autre jeune femme, ainsi d’un jeune homme qui, eux, me sont parfaitement inconnus même s’ils étaient au lycée ensemble — enfin de Romain (¡). Il me paraît s'être émacié. Lui et Justine sont toujours à la Réunion.
Je lui propose de déjeuner ensemble un jour où elle travaillera à l’hôpital (elle a dit entre-temps qu’elle y travaillait encore, en plus de la patientèle qu’elle reçoit dans mon cabinet à T…). Elle en accepte le principe — celui d’un verre, plutôt — mais me dit qu’elle sera occupée jusqu’à la fin du mois de mars : elle achève un ouvrage sur la maladie de Parkinson (ce qui fait songer immédiatement à Paul).
Je la verrais avec plaisir. Je me souviens d’elle comme une jeune fille pleine de réserve et de délicatesse, excellente élève, qui, autant que Pauline, avait une compréhension vive des exercices qu’on lui proposait et avait progressé impeccablement dans l’apprentissage du commentaire littéraire.
À vrai dire, ces trois-là (Justine, Anouk, Romain) se disputaient l’avantage de l’emporter en intelligence, finesse, alacrité d’esprit…
Événement minuscule comme je les affectionne, qui me console de n’avoir vu Nathalie ni Léo au moment de Noël, sans doute parce que j’étais alors à Paris.
En revanche, j’ai vu Christine le 3 janvier. Elle reprendra à la prochaine rentrée scolaire le difficile métier de professeur, en espérant obtenir sa mutation dans l’Académie de Nancy-Metz. Elle renonce pour le moment à travailler au Canada, même si son séjour à Toronto (?) l’a enchantée. Depuis notre dernière rencontre, son frère, schizophrène, a menacé par plusieurs fois de se suicider (je songe au frère de Khadija, passé à l’acte en se défenestrant, lors d’une “bouffée délirante”), et elle juge difficile désormais de s’éloigner de sa mère et de son frère. Elle a contacté l’assistante sociale de l’Education Nationale, qu’elle doit rencontrer prochainement, afin de faire valoir sa situation. Il lui faudra vendre sa maison, dans laquelle elle habite encore, auprès de J., avec qui elle s’est décidée — la veille ou l’avant-veille — d’engager la conversation après un silence de plusieurs mois. Elle se dit « autocentrée », demande à être excusée de s’épancher auprès de moi. Je l’encourage, sans trop appuyer, à poursuivre ses confidences.
Elle me raccompagne en voiture jusque chez moi.
* * *
(Pendant que j’écris ces lignes-ci, je reçois un message d’Aurélien. Je lui pardonne sur-le-champ son silence de presque quinze jours. Il s’est retiré dans le sud-ouest, allègue-t-il en guise d’excuse. Il écrit.)