Archive GA CXVI - Balise : Avec Charles, dimanche 1er août 2010
Dimanche : quatre heures avec Charles (Hommage)
Pour ma seconde rencontre avec Charles, je ne m’en remettrai cette fois pas à une réécriture ample et sourde, littéraire pour tout dire, à quoi je me reproche tant et plus d’avoir cédé (même si en même temps je m’y suis passablement amusé1), à partir de rêveries que pseudonyme, photographies et danse ont comme dictées, dans les deux morceaux précédents.
Comme avec N*** en avril, j’entends plutôt m’en remettre à des « fusées » — précisément à quelques fusées éclairantes, espérant embraser par instants sa silhouette et son visage.
Quatre heures avec C*** (donc).
Ses plaisanteries ressemblent à celles de JP — et le rire qui les accompagne aussi. (Je vois bien parfois qu’il cherche à me faire marcher, comme fait JP. Et, jouant à être docile, sans prendre les devants pour autant, je ne refuse pas de marcher, je me laisse mettre en boîte doucement !)
J'ai rendez-vous au même endroit que la fois dernière, Place Sainte-Opportune.
Mais, comme Charles est un garçon original, je l'attends à onze heures cette fois-ci.
C*** est amusant, C*** est intelligent, C*** est charmant. (Avec son prénom, cela consonne autrement mieux — et tant pis si, en l’absence de nom, l’on perçoit moins la gradation !) Charles est un garçon dont on peut être positivement toujours un peu amoureux. S'il poussait le bouchon un peu plus loin : l'on pourrait même tomber amoureux fou !
Il fait un peu frisquet ce matin-là. A la terrasse de ce café, nous avons conservé nos blousons.
(Je tâche mentalement de retrouver sa voix, mais n’y accède guère. C’est une voix musicale, aux rythmes changeants, mots parfois précipités, parfois alanguis… Faut-il dire d’elle, sans céder aux associations faciles, que c’est une voix qui danse ?)
De quoi cette voix parle-t-elle ? Je sais qu’il est question de son grand-père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Je lui parle de la mère de Simone, qui souffre de la même affection, de la mienne ensuite, dont la pathologie est différente — et moindre peut-être. Je songe que ce n’est pas d’emblée une conversation très gaie. Rectifie aussitôt. Après tout, nous nous fichons pas mal d’être graves ou légers !
Il me parle ensuite de son père, du démon de midi qui l’a saisi, de sa compagne actuelle qui — il se livre à une arithmétique comme quoi, si ma mémoire est bonne, elle a — vingt-deux ans de moins que lui. Ce roman familial esquissé, les bâtons sont rompus et nous nous laissons emporter par cent sujets divers, dont nous rattrapons le fil comme nous le pouvons.
(Il me traverse bien l’esprit quelque instant que j’ai le double de son âge. Je pourrais être son père. Je chasse pourtant cette idée à bien des égards détestable comme on évacue de sa pensée un souci qui voudrait remordre.)
A un moment, je me penche vers lui. J’ôte la peluche blanche sur le veston noir dont m’obsède idiotement la présence depuis que nous sommes assis.
Nous déjeunons assez bien dans un restaurant d'une rue adjacente à la rue Saint-Denis. Nous passons ensuite rue Montorgueil, animée, et je pense à ***, que je verrai peut-être un jour lors d'un de mes prochains séjours parisiens...
Il m'explique qu'il peut être autodestructeur. Qu'il a parfois tendance à la dépression. Qu’il se dénigre à l'extrême, se charge, avant d'en revenir tout bonnement à incendier les autres qui l’ont fait douter de lui... Je l'écoute, mais bien entendu je n'en crois pas un traître mot.
Ou plutôt : je crois que C*** est un garçon en passe de se sublimer. Je l'imagine bientôt secouer toutes les scories, et, débarrassé, se ressembler, sortir tout neuf de sa gangue — fluide et beau. Car, s’il faut croire, je ne croirai qu'à ce dieu-là qui tant et plus danse !
D'ailleurs, je le trouve plus beau que la dernière fois...
Rue Montorgueil, il marche légèrement en avant de moi. Il me dépasse d’une douzaine de centimètres au moins, et marche — roule et déroule — sa danse. Il porte un pantalon ajusté qui moule les muscles fessiers. Il me revient en mémoire les lignes d’un article lu récemment — peut-être chez Simone, car je ne vois pas bien où j’aurais pu lire cela, probablement même était-ce dans Danser — comme quoi ces muscles sont les plus volumineux et puissants du corps humain. C*** n’a rien du jeune homme frêle. Il a les hanches larges — des épaules à la taille, de la taille aux hanches, le corps dessine un rectangle bien taillé que surligne en les débordant un peu la barre des deux épaules — et deux globes rebondis propulsent la marche du danseur.
(Si le fessier est indéniablement viril, sans que la taille s’évase, le déhanchement est, lui, plus féminin — cet efféminement contre quoi C*** lutte, mais qui transparaît dans sa démarche…)
Chemise blanche (un invariant ?), blouson noir en toile, pantalon à rayures, baskets (noires ?) montantes. Il fait un peu frais — ai-je dit déjà — à onze ou treize heures dans les rues de Paris ; aussi écarte-t-il le blouson pour me montrer les bretelles qu'il a mises par coquetterie (ce n'est pas le mot peut-être qu'il emploie), invisibles sous le blouson noir.
Quelques poils follets à la base du cou (et — sur les photos — autour des aréoles).
J’avais beaucoup bu d'eau le matin avant de le voir. Parler me donnant soif encore, j’écluse, outre un verre de vin, une carafe d’eau. Nous en recommandons une autre. Au café, puis au restaurant, je vais plusieurs fois aux toilettes. C*** raille le « petit rein du Lorrain » — et m’évoque fugitivement MT, dont ç’aurait pu être une plaisanterie.
Je lui dis que ce 1er août cela fait exactement huit ans que j’ai cessé de fumer. Lui est sensible aux anniversaires : il sait, par exemple, que son blog a dorénavant un an. Je suis content — absurdement — que nous ayons ce trait commun. De même, quand nous évoquons ses prochaines vacances dans le sud de la France, de savoir que nous avons à peu près le même rapport aux horaires et aux bagages…
Puisqu’il en fait mystère, je lui demande son second prénom, qu’il dit détester. Il esquive une première fois, puis, comme j’y reviens, s’y refuse. Je n’insiste pas, n’ayant guère fait qu’entrer dans son jeu. C’est bien assez mirifique — de toute façon — qu’il reste quelque chose à apprendre sur C***. (Cependant, je pourrais mettre C*** en boîte à mon tour, d’avoir en quelque sorte amorcé une sorte de McGuffin ne pouvant guère livrer qu’un secret de Polichinelle. C’est là néanmoins la moindre de mes envies. Je range ma question au chapitre des questions absurdes et sans objet.)
Pourquoi — d’ailleurs — lui avoir demandé s'il était juif ? (Il évoquait, il est vrai, sa mère, la qualifiant de « mamma juive ».) Je devrais savoir qu'il ne l'est pas, puisqu'il m'a déjà parlé des institutions catholiques bon teint dans lesquelles il a poursuivi sa scolarité, et puisque, bref, bref, je devrais savoir cela1, et je me trouve stupide de lui avoir posé la question...
A un moment donné, il m’expose le truc auquel il a recours pour construire mentalement des alexandrins : sur la mélodie d’Amsterdam, il chantonne son texte. Ce n’est qu’ensuite qu’y repensant et me chantant le premier couplet, je m’apercevrai que les vers de Brel sont, en fait, des hexamètres, ce qui n’empêche pas de composer des alexandrins (ou des vers de treize syllabes), mais en contrarie — heureusement d’ailleurs — la solennité. Au chapitre des inexactitudes, je lui parle, je ne sais pourquoi, de “temporas” (pour tempéras) vus au Musée du Petit-Palais, et confonds momentanément (au moins en esprit) « retable » et « lutrin », alors que je sais parfaitement à nouveau de quoi il s’agit, en donnant du premier une définition qui conviendrait mieux au second !
* * *
De la maladie de son grand-père à des futilités, d'une critique de film à une lecture d'un roman de SF, d'un importun qui le drague au dernier "post" qu'il a mis sur son "blog", nous empruntons mille voies diverses, digressons pas mal, mais reprenons toujours le fil droit de nos discours. (De même ici, alors que j’attendais du décousu, je dévide un tissu : de fait, mes « fusées » auront fait long feu…)
Les quatre heures passent vite. Nous nous quitterons, cette fois, non pas du détour d’un couloir mais dans une rame du métro, prolongeant de quelques stations nos bavardages.
* * *
Je vais voir ensuite l’exposition “Vanités” à la fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent.
Je repense à cet ancien dessin au fusain de François représentant un crâne posé sur un livre près duquel brûle une chandelle.
* * *
Et... je me demande toujours où en est N*** de ses sauts en parachute...
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1On pourra dire aussi de ces textes : 1rom1 s’amuse. De fait, je me serai, en même temps que bien inquiété, bien amusé à les écrire : amusé de leur contenu proprement allusif, des paraphrases faites sur les paraphrases que fait C*** lui-même de son pseudonyme — et amusé surtout de moi, cela va de soi.
Je sais son âge.
Je sais sa taille.
Je sais son poids. (Je sais ce que chacun peut savoir s’il consulte son profil…)
Je sais son signe astrologique (et quel décan). Je crois savoir la date.
Je sais la couleur de ses yeux (mais changeante, cette couleur, his golden eyes). Je sais qu’il s’appelle Charles — si je ne sais pas… son second prénom !
Je sais qu’il habite tel arrondissement de Paris.
Je sais qu’il a fait sa scolarité dans des institutions catholiques.
Je sais quelles études il a poursuivies, je sais quelles études il vient de finir, sais aussi qu’il a été enseignant auxiliaire peu de temps et sais quelle matière il enseignait.
Je sais qu’il aime le cinéma, qu’il est proprement cinéphile.
Je sais qu’il aime la chanson de Véronique Sanson, “Chanson sur une drôle de vie”, son rythme, ses onomatopées chantées qui s’achèvent dans l’allégresse et pallient la nullité de certaines de ses paroles (Même si tu as des problèmes/ Tu sais que je t’aime/ Ça t’aidera-a… !). Depuis, il arrive que je fredonne, que je chantonne, que j’entonne cet air-là (et même… quoique plus inquiet par endroits, cet autre-ci intitulé Pour les Michel, tout entier tissu de ses « vaïavaï » et « lalala » et qu’en l’occurrence ne frappe la nullité d’aucune parole…)
Je sais aussi qu’il sait chanter “Amsterdam”.
Je sais qu’il sait cuisiner (il me quitte ce dimanche parce qu’il doit préparer un gâteau d’anniversaire).
Je sais qu’il sait écrire.
Je sais qu’il aime les hommes virils, pas caricaturaux pour autant, arborant une élégance et un flegme tout britanniques — c’est pourquoi il s’amuse (en avril) à évoquer le dernier amant en date, un petit roux un peu gras (si j’ai bonne mémoire), le contre-modèle en quelque sorte du grand british, non pas fashionable mais élégant et viril auquel, selon C***, chacun rêve…
Je ne sais pas grand-chose de C***, n’est-ce pas ? — en vérité, je ne sais rien.
— Mais, je sais, ce que moi-même aimerais tant savoir,… je sais qu’il danse.