1627 - Balise : 11 mai 2013 (1)
in memoriam J.-M.
Courriel à N*** [?], [11 mai 2013]
1
[Tout ce qui fait sens (pour moi, et parce que je cherche ce sens — bien évidemment) :]
Pascal et F., W. et X. ont demandé à dormir chez moi, la famille proche dormant dans la maison de J.-M. et le petit pavillon contigu où habitait sa mère.
Patrice, le frère de J.-M., me demande de graver les musiques qu’il a choisies pour la cérémonie. J.-M. aurait dit : « Romain fera très bien cela ! ». (A l’époque des cassettes audio, j’enregistrais des pots-pourris de chansons et de musiques que je destinais à Pascal et J.-M. A la veille de la crémation de J.-M., je trouve le temps de graver sur DVD des chansons — entre autres sources de l’émission “Studio 5” dont je regrette la disparition — pour l’anniversaire de N***. Je termine par une chanson sur l’Italie, dont je reviens.)
Patrice a choisi d’ouvrir sur Quand ceux qui vont. De mon côté, j’avais songé, à faire entendre plutôt à la fin, à Rémusat, [chanson] moins dramatique, moins théâtrale, plus sobre et posée. Naturellement, cela aurait mieux convenu aux obsèques de la mère de J.-M., laquelle est partie dans des chœurs d’église et non sur de pareilles visions païennes et mystiques à la fois.
Je vais chercher les enfants et petits-enfants de M., la sœur de J.-M. ; W. et X., venus de Reims, qui me suivent en voiture, embarquent les enfants de M.-P., l’autre sœur ; M., quelques moments plus tard, A. et ses filles. Ce cortège de voitures charrie ces chaînes dont je me plais à ouvrir ou refermer les maillons.
* * *
La cérémonie s’ouvre sur Quand ceux qui vont (donc). Pascal prend la parole. Il me dira plus tard qu’il voulait à tout prix parler le premier, non par préséance, mais parce que, sinon, l’émotion aurait été trop forte ; or, il n’a pas eu en articuler la demande puisque, précisément, Patrice avait prévu qu’il parlerait en premier. L’émotion le submerge. Suit un ami syndicaliste, à qui J.-M. en partant à la retraite avait cédé le flambeau (comme après N. pour lui, ainsi que j’ai raconté). Les sanglots le gagnent. Maurice prend la parole, un ami de longue date. Sa voix se brise. Patrice, ensuite, clôt tous ces discours dont les recoupements sont si évidents, et dont la précision et la rhétorique, quand bien même circonstancielle et parfois convenue, produit ses effets.
[Car] [t]out paraît juste, rien n’est forcé. Il n’est pas jusqu’aux inénarrables bermudas à carreaux que J.-M. portait en été — auxquels je n’avais guère prêté d’attention particulière quoique les ayant bien sûr remarqués — [qu’évoque Maurice, qui fassent cet office]. Ce trait, qui porte à sourire et vise à détendre l’atmosphère autant qu’à aider le locuteur à se libérer de son émotion, fait évidemment mouche. Patrice, le dernier à parler, après des remerciements qui ne sont jamais nominatifs, mais qui concernent les amis, le personnel soignant, les accompagnateurs de l’unité de soin palliatifs, de fait remarquables à tous égards, lit deux poèmes que nous avions choisis, à son instigation, parmi quatre, sans m'avoir rien dit de son texte (sans doute pour ne pas être influence), texte que je trouve impeccable : [à la suite], il lit [donc] deux poèmes de Prévert dont la chanson des escargots qui vont à l’enterrement d’une feuille morte. ([Et] [j]e songe à C., qui s’était mise en tête de me le faire réciter avec force et douceur, et qui savait comment me faire dire avec à propos la chute pleine de sourire…)
Je songe à la pertinence de l’enchaînement de ces orateurs prononçant un éloge funèbre (que tempérait ici ou là quelque agacement amical ou amoureux) : un amant qui a eu avec J.-M. treize ans de vie commune et qui, vingt ans après, paraît de nous tous le plus bouleversé ; un compagnon de lutte ; un ami véritable ; un frère. S’il manque quelque femme, elles sont dans l’assistance : elles ont été les plus douées pour marquer leur affection, pour tenir la main de J.-M., pour l’apaiser, pour partager les larmes. Les hommes, eux, ont souvent été inaptes et maladroits — moi le premier.
Les discours ont souligné l’intransigeance, la révolte, la générosité, l’appétence à la vie, le goût de la bonne chère et de la boisson, l’amour des arts et de la littérature, le plaisir à voyager, le verbe haut et vif, l’invective et l’insulte parfois faciles à naître sur les lèvres de J.-M., qui, impénitent bavard, voulait toujours refaire le monde, au prix parfois de controverses qui laissaient l’interlocuteur laminé. Etrangement, en dépit d’un épisode houleux concernant la Pologne se libérant du joug communiste, J.-M., s’il pouvait être féroce, ne s’en prenait jamais à moi. Voire : il quêtait parfois mon approbation. J’aimais tout autant avoir la sienne.
Le second morceau gravé vient ensuite, un peu trop long de sa dizaine de minutes, mais qui dégonfle l’émotion dont l’assistance a auparavant été saisie. C’est le moment consacré, selon la maîtresse de cérémonie, avant d’éventuelles autres prises de parole, au recueillement. Les gens croisent et décroisent leurs jambes ou leurs bras. Sans doute d’autres songeries les agitent aussi tant cette musique cérémonielle pakistanaise est longue et répétitive. Pascal s’est tourné vers moi, souriant, croyant, à tort, que j’en suis à l’origine. J.-M. aimait cette musique, je la découvre tardivement.
A l’instigation de la maîtresse de cérémonie, qui ponctue par ses discours et la musique qu’elle envoie (je rends grâce à la médiocrité de la sono, à sa faiblesse de volume, le fait que l’assistance n’a pas été d’emblée saisi par l’accord dissonant et dramatique de Quand ceux qui vont…) et puisque personne ne s’essaie à improviser un discours public, nous sommes invités à processionner devant le corps avant la crémation, à adresser un dernier signe au défunt, à toucher le bois du cercueil ou à faire tout autre salut… Cela n’est pas sans évoquer l’arrosage au goupillon de l’office catholique, mais je me mêle au cortège nombreux des personnes venues là et ajoute à une pluie d’œillets rouges — lesquels seront bientôt suppléés par des grappes de lilas ébranchés faute de suffisamment de fleurs par l’officiante — ma propre fleur, qui, si je n’en aime pas l’odeur, a un ton de rose rouge dont j’imagine qu’il n’aurait pas déplu à J.-M. [Mon tour vient] après [celui de] Sothy, le premier amant en titre de J.-M. [qui s’adonne à] une sorte d’incantation et de prière, laquelle dure un petit temps, élégante et dramatique. J’attends [donc qu’il ait fini] pour lancer ensuite mon propre trait rouge.
(à suivre)