1628 - Balise : 11 mai 2013 (2)
in memoriam J.-M.
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[En roue libre, détaché (semble-t-il) du courriel adressé à N***, sous forme parfois de notations sèches1, que j’étoffe seulement onze ans après :]
Akseli Gallen-Kallela [Axel Gallén, dit] (1865-1931), La Mort et la Fleur, 1896, gravure sur bois, Musée Gallen-Kallela, Espoo
Je ne mettrai pas la main sur le cercueil, ainsi qu’on nous l’avait suggéré. Mes parents, eux, sont demeurés sur place.
Cependant, je suis sûr que J.-M. aurait apprécié que mon tour vienne après Sothy — et, de fait, j’ai rencontré J.-M. peu de temps après leur séparation.
Quel bonheur (tant pis si le mot peut, en pareille circonstance, surprendre ou heurter !) qu’on ne m’ait pas demandé de prendre la parole — de n’avoir pas eu à refuser.
A Nicole, comme nous sommes à l’extérieur du crématorium après que le cercueil de J.-M. a glissé dans les flammes ou plus probablement ensuite comme nous nous tenons dans le jardin de J.-M. où Patrice avait invités proches, parents et amis, je dirai cette horreur des discours.
Pendant que nous parlons, je ne peux m’empêcher de fixer l’arête de son nez, lequel s’est émacié. Cette si belle femme, sans être devenue tout à fait laide, est l’ombre d’elle-même dorénavant. (J’apprendrai plus tard qu’un accident vasculaire cérébral l’a physiquement éprouvée, ce qui explique cette saisie par avance de la Camarde, pinçant ce nez comme au cours ces jeux d’enfants qui nous restent bien après que l’enfance s’est tue : je te tiens, tu me tiens par la barbichette, sans bien comprendre lequel duquel l’autre a eu, l’indifférent ou le cruel en l’occurrence…)
J’échange ensuite avec Francine, cette autre amie de J.-M. Ils ne se voyaient plus depuis quelques années. J.-M. avait quelquefois des rancunes ou des agacements tenaces. Il n’y paraît néanmoins pas dans son verbatim, que je retrouve notamment dans l’appellatif « Jim » dont elle seule usait (prononcé à la française), y mettant toute son affection, pour interpeller ou parler de son ami.
Car, comme pour pallier l’absence de tout discours au féminin durant la cérémonie, semble venu le temps des compagnes en délicatesse de J.-M., et je m’entretiens avec Marlène, que j’ai prévenue de son décès. Encore l’ai-je fait à l’instigation de mon père : comme J.-M. s’était fâché tout net avec elle quelques mois auparavant en ce qu’il ne supportait plus la sorte de déni qu’elle opposait si vaguement, si faiblement à la maladie, au « crabe », disait mon ami, qui le rongeait de l’intérieur, alors que lui ne voulait plus d’approximations ni de consolations ni d’enjouements feints — « Soyons gais ! », assène la « servante aimante » de Goldoni, plongée avec son maître dans la détresse la plus noire, partition que Nicole, Francine, Marlène, tour à tour, ont pu entonner sur un mode flûté — ; mon père, ayant eu vent du différend entre Marlène et J.-M., avait argué que la tenir écartée de la cérémonie serait par trop cruel, qu’il fallait la prévenir, qu’elle en concevrait, sinon une incompréhension, un dépit inexorables ; et il s’était chargé de trouver ses coordonnées par l’intermédiaire du fils d’un ami, puisque je la savais collègue dudit Stéphane. Patrice ou moi l’avions ensuite prévenue.
Dans la conversation, elle me demande si j’écris encore… — J’avais oublié que j’écrivais.
Elle ajoute que J.-M. aimait ce que j’écrivais. Je la crois. Mais je donne incontinent tort à J.-M. Pourtant, le regret me point de n’avoir jamais lui avoir fait lire ce “blog” que je tiens depuis presque quatre ans : lui, toujours prompt à recueillir mes confidences, à qui j’ai parlé tant et plus des lovers, se serait intéressé à ma chasse à l’instant telle que racontée, comme il s’était intéressé au long feuilleton de mes approches puis du long apprivoisement, avant qu’il ne saute le pas, de Julien, qu’il défendait toujours.
Vient aussi — mais c’était plutôt après la cérémonie funéraire que par la suite, cette fois — le tour d’Emmeline, la sœur de J.-L., elle-même collègue de J.-M., dont elle admirait, spécifie-t-elle, le combat syndical.
Elle paraît surprise de tous ces détails dont je me souviens la concernant ou concernant son frère, le premier (et dernier) amour de ma jeunesse. Si elle savait… ¡ [« la pauvre fille ! », aurait renchéri J.-M.].
Je me souviens que J.-L. l’aimait beaucoup, cette cadette au physique plutôt disgracieux envers laquelle il pouvait se montrer protecteur, même si la différence d’âge — l’une au collège dans un établissement d’une commune périphérique, l’autre au lycée du centre ville de **** — empêchait alors bien des activités partagées.
Plus tard, dans le jardin de J.-M., nous assistons enfin, attristés, à des tirades d’Annie, déjà soûle, insistante et pénible, volubile auprès de qui lui prête une oreille plus polie que complaisante, hystérique en même temps en indéniable détresse.
Pascal, qui écluse whisky sur whisky lui aussi, mais mieux aguerri ou plus simplement plus digne dans son chagrin, qui papillonne de l’un à l’autre, n’oublie pas de me prendre à part lors de régulières stases pour deux ou phrases affectueuses qui me touchent naturellement beaucoup.
Lors d’un de ces apartés, il m’adresse tout à trac un compliment qui, après que j’en ai saisi le sens, me laisse incrédule. Selon lui, j’aurais embelli ces temps derniers. Mon incrédulité n’empêche pas que je rougisse — puis reste coi ¡
(Khadija lui dira le lendemain, plus encore à trac, qu’il est toujours aussi beau : l’assertion paraît autrement vraie que pour ce qui me concerne — d’autant que, si j’embellis, c’est que mon être aurait quelques progrès à faire ¡)
Et puis, parmi l’assemblée, il y a ceux et celles qui discourent. Ceux et celles qui. Qui l’ont vu non pas une dernière, mais la dernière fois, durant laquelle alors il s’est adressé à eux tout spécialement. Je ne sais s’il faut rire ou rire jaune.
Ils ne savent évidemment pas (cela, je ne l’apprendrai que plus tard par Patrice [?]) qu’au cours de sa dernière nuit J.-M. s’est adressé à une femme du personnel hospitalier. Et c’est à elle qu’il aura confié la bague en jade vert qu’un amant thaï avait donnée à J.-M., assortie, disait-il, à la couleur de ses yeux, en demandant à cette aide-soignante ou infirmière (ultima verba et ultime transmission) que la bague soit remise à Pascal.
Puis. Sur la pelouse devant la terrasse, introduit par Patrice qui a interrompu nos hommages libatoires et réclamé notre attention, nous assistons à un moment particulièrement émouvant durant lequel Sothy entonne un chant khmer, une sorte de prière aux défunts, qu’il achève le regard embué de larmes.
Revenu parmi nous et une partie de l’assistance lui faisant cercle, il esquisse une brève biographie de sa relation avec J.-M., qui ne recoupe que très partiellement ce que j’en pouvais savoir :
Je connaissais bien sûr Sothy, figure familière de *** (avant de connaître J.-M.), que je croisais souvent vêtu d’un long manteau évasé de femme noir ou anthracite, col et liseré de manche en fourrure assortis, dans une librairie que je hantais moi-même beaucoup, m’étonnant d’une mise si hardie, tout en admirant la silhouette gracile ainsi que le joli minois de cet Asiatique si jeune et déluré qui bravait en souriant les regards qu’il ne manquait pas de susciter à son passage…
Je savais aussi que J.-M. et lui s’étaient revus longtemps après, dans les derniers mois de l’existence de J.-M., en fait, S*** habitant désormais Paris et J.-M. étant amené à se rendre à l’Institut Gustave Roussy à Villejuif.
Sothy raconte s’être séparé de J.-M pour « un second J.-M. », homme de théâtre connu, avec lequel l’entente sexuelle, précise-t-il, s’était avérée moindre qu’avec J.-M.
Sothy raconte donc. Ce narrant, une courte passe d’armes se produit entre lui et Pascal, intervenu, lui, comme second amant en titre de J.-M. (j’ai raconté cela dans mon journal — entre-temps, quoique dans un billet à venir).
* * *
Toutes et tous racontent.
Les forfanteries importent peu : les mots noient le chagrin.
Comme ils le peuvent
les hommages
pleuvent
autant qu'ils doivent
autant qu'ils peuvent.
Dans ce jardin.
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Je ne mettrai pas la main sur le cercueil, ainsi qu’on nous l’avait suggéré Mes parents, eux, restent sur place.
Mais je suis sûr que J.-M. aurait apprécié que je vienne après S*** — et, de fait, je l’ai rencontré juste après leur rupture.
Un amant, un compagnon de lutte, un ami, un frère.
Quel bonheur (tant pis si le mot peut surprendre !) qu’on ne m’ait pas demandé de prendre la parole — de n’avoir pas eu à refuser.
A Nicole, je dirai cette horreur des discours. Son nez. S’est émacié. Cette si belle femme, sans être devenue laide, est l’ombre d’elle-même. (J’apprendrai plus tard qu’un accident vasculaire cérébral l’a physiquement éprouvée
[Francine].
[Marlène].
Elle me demande si j’écris encore… J’avais oublié que j’écrivais. Elle me dit que J.-M. aimait ce que j’écrivais. Je la crois. Mais je donne tort à J.-M.. Cependant,
Puis [Emmeline]. Elle paraît surprise de tous ces détails dont je me souviens. Si elle savait. Je me souviens que JL l’aimait beaucoup
[Annie] soûle / pénible/ hystérique/ en même temps en détresse.
Pascal son compliment. J’embellis — c’est dire… — Je rougis — c’est ce que je voudrais en fait.
([Khadija] lui dira le lendemain qu’il est tjs aussi beau)
Ceux et celles qui discourent. Qui l’ont vu non pas une dernière, mais la dernière fois durant laquelle il s’est adressé à eux tout spécialement. Je ne sais s’il faut rire ou rire jaune.
Ils ne savent évidemment pas — ce que j’apprendrai plus tard — qu’avant de mourir J.-M. s’est adressé à une femme du personnel hospitalier. C’est à elle que J.-M. aura
La bague.
Chant khmer de S***, yeux baignés de larmes
Le second J.-M.
Courte passe d’armes entre lui et Pascal