1643 - A propos de Nice (1) • 23 et 24 avril 1987, Lettre à J.-M.
in memoriam J.-M.
Lyon, le 23 avril 1987
Hello Dears,
En route vers le Sud. C’est un heureux effet — il y en a peu, on peut donc le souligner — de cette année, où un salaire régulier tombe chaque mois. Me voici en escale à Lyon, il est vingt heures trente, en transit, en attendant le train de 0 h 15 qui me mènera jusque Nice, où j’arriverai demain matin. C’est une idée qui m’est venue subitement !
Une idée liée de très près, bien entendu, au concours de l’Agrégation. Hier matin, j’étais devant une copie, que j’ai rendue blanche ; hier soir, à **** ; ce matin, sur le bord d’une route. Voilà, c’en est fini de la part pénible de cette année. Il a fallu que l’auteur à propos duquel j’avais commis une impasse (La Rochefoucauld, contre lequel je n’ai aucune animosité personnelle, mais Diderot et Zola m’attiraient plus) « tombe » le jour de la dissert’ ; et j’ai vu que toutes chances d’être admissible à l’oral étaient désormais compromises. J’ai patiemment attendu les deux heures et demie réglementaires pour sortir de la salle, rendu ma copie — et me suis échappé.
Voilà. Et pour ne pas me punir, j’ai décidé de me mettre en vacances plus tôt que prévu (pourquoi s’obstiner ? s’enfoncer ? les épreuves duraient jusqu’au 28…) — et de partir. Sur un mot de Nathalie, que j’ai pris littéralement au mot, j’ai mis dans mes bagages à **** quelques polos (car c’est une bénédiction qu’il fasse si beau) et le voyage a commencé. Pour ne pas me ruiner complètement, j’ai décidé d’aller aussi loin que possible en auto-stop. Vous savez tout.
J’étais ici à dix-neuf heures. J’aurais pu, dès l’abord, être emmené jusque Marseille. En effet, mon premier chauffeur allait jusque là. L’ennui, c’est qu’il roulait dans un J7 immatriculé 57, était allemand et me parlait anglais.
La conversation (ou plutôt le soliloque) m’a vite appris qu’il avait stolen ledit J7, que lorsqu’il n’aurait plus d’essence he will steal a another one, et, comme de plus est, il roulait comme un fou sur les routes de France et de Navarre, je lui ai proposé de stop in order to drink a coffee — j’avais bien du mal à articuler quelques mots de mauvais anglais —, et, une fois descendu du stolen J7, lui ai dit que je continuerais on my own, lui ai payé un café et laissé mes cigarettes ! Ce Monsieur Victor-là — car, quoique mad, il semblait vraiment très gentil (il s’est d’ailleurs confondu en remerciements devant le café et les cigarettes, et n’a pas eu l’air trop surpris de mon désir de continuer ma route par un autre moyen, tout en me recommandant de rien dire, geste à l’appui, sur ce qu’il m’avait confié de l’origine du véhicule) — ne m’inspirait guère confiance, en effet…
Un autre conducteur sur une vingtaine de kilomètres, puis un dernier jusque Lyon, c’est-à-dire l’essentiel du voyage. Un papy belge établi en Corse, bavard comme une pie, très doux et sympathique, avec lequel j’ai bavardé pendant cinq heures. Il faisait un temps superbe, le paysage fleurissait à mesure que nous descendions vers le sillon rhodanien, et la Saône, profonde et large, achevait l’enchantement. 26° annonçait un affichage électronique. Jugez de cette douceur quand, en route sur le Sud, j’oubliais un échec somme toute lourd à digérer !
Le monsieur belge m’a laissé à Lyon-Perrache, malheureusement the wrong station. Sans quoi je serais arrivé à Nice à minuit. L’instant de désarroi passé, j’ai décidé de prendre un train de nuit, de réserver une couchette, de dormir afin d’arriver aussi dispos que possible demain matin.
Le soir tombe tout doucement. J’ai, face à moi, ce qui doit être le Cours L***** local. Peut-être aurais-je dû m’attarder… veiller à Lyon… profiter de l’abandon d’un instant… Mais le monde est court, on le court, et peut-être ne peut-on s’attarder jamais… (C’est une question ! la syntaxe en rend d’ailleurs compte assez précisément…)
(à suivre)