1652 - April in Paris (again), 7
April in Paris (again)
(31 mars - 8 avril 2024)
7
— Work in progress, journal extime —
4 avril 2024
La matinée se passe pour l’essentiel à écrire, à reprendre et développer les notes des précédents jours.
Nous avons rendez-vous au Musée des Arts décoratifs pour 14 heures, à l’instigation de Judith, pour l’exposition consacrée à Henri Cros, frère du poète Charles Cros, un artiste-sculpteur dont — à nouveau — j’ignorais l’existence.
Je me mets dans la file d’attente un quart d’heure auparavant, mais suis admis à rentrer en très peu de temps. J’attends que Judith arrive, pendant que la queue à mesure va croissant. Aussi proposé-je d’acheter un billet avant qu’elle entre. La personne à la caisse suggère que je prenne en photo le QR-code ; mais il n’en sera finalement pas besoin.
Deux salles en tout et pour tout sont dévolues à Henri Cros. L’artiste, dont l’œuvre est plaisante, s'avère marqué par le symbolisme avant tout, ainsi que par son compagnonnage artistique.
La Vénus aux Hippocampes, Vers 1897, Pâte de verre [Signée au dos : H. CROS], Courtesy Brame & Lorenceau
Henri Cros, Marie Cros, Vers 1895, Terre cuite modelée, Collection Lucie Audouy - Galerie Elstir, Paris
Nous arpentons ensuite les collections permanentes en pratiquant quelques coupes claires. Je constate peu de changements depuis ma dernière visite. Je m’amuse de cette correspondance entre ce buste masculin dû à Jean Paul Gaultier et la robe de chez Lanvin vue la veille au Centre Pompidou.
Jeux Olympiques obligent — à notre commun dam —, nous nous sauvons d’une exposition de vêtements de sport, qui nous paraît rebutante.
Après Elsa Schiaparelli, dont je prononce mal le nom (ce pour quoi me reprend Judith), nous parcourons une autre exposition consacrée cette fois à Iris van Herpen et autres créateurs de mode, peuplée de vêtements extravagants, excessivement laids quelquefois, spectaculaires dans tous les cas — et faisant à appel à une virtuosité technique en recourant à des procédés technologiques en pointe.
Je passe parfois au large, d’autant que l’heure a tourné, opérant néanmoins quelques arrêts et captures photographiques. Ainsi de cette sculpture en argile, qui, malgré sa vocation affichée de « transcende[r] l'humain et les codes de la représentation classiques » m’évoque une Danse macabre telle que le Baroque naissant avait coutume de saisir les peurs encore présentes du Moyen-Âge finissant…
Heishiro Ishino (né en 1992), Japon, Yomotsuōkami, 2023, Métal, argile en poudre, peinture acrylique, laque japonaise, Collection de l'artiste
D’autres rencontres ont lieu, entre le Gothique des cathédrales, la technologie la plus avancée (donc) et les recours traditionnels, si j’en crois la lecture des divers cartels.
À droite : Iris van Herpen (née en 1984), Robe Cathedral, collection «Micro », Pays-Bas, En collaboration avec Isaïe Bloch (né en 1986), Polyamide imprimé en 3D (Selective Laser Sintering), cuivre (électrolyse), Groninger Museum ; à gauche : Iris van Herpen (née en 1984), Robe Holozoic, collection « Hybrid Holism » 2012, Éco-cuir, cristaux Swarovski, 2012, Collection Iris van Herpen
Tim Walker (né en 1970), Kiki Willems, David Altmejd Studio, Fashion : Iris van Herpen, 2018, Tirage d'exposition
Ainsi, pour cette robe, « le vêtement est constitué d'un ensemble de sphères géodésiques fabriquées à partir d'acier galvanisé découpé au jet d'eau délicatement façonnées en trois dimensions grâce à un moule en bois ».
Iris van Herpen, En collaboration avec Philip Beesley (né en 1956), Robe Aeriform, collection « Aeriform », 2017, Acier Inoxydable découpé au laser, tulle, Collection Iris van Herpen
Je laisse Judith à peine abordons-nous le second niveau d’exposition afin de prendre le métro et rejoindre Anne et Patrice à la Grande Halle de la Villette où nous avons rendez-vous.
* * *
Je suis encore dans le métro quand Anne et Patrice me préviennent qu’ils sont déjà installés à la terrasse d’un café « à côté de la Philharmonie et devant la fontaine ».
Je crois comprendre alors qu’ils veulent, sans me laisser temps de boire un verre, se consacrer d’abord à arpenter l’espace dévolu à ces jeunes artistes fraîchement diplômés qu’accueille un festival gratuit intitulé 100 % L’Expo — auquel ils m’avaient convié la veille.
De fait, nous arpentons bientôt les lieux.
Nous apercevons Hippolyte Girardot, que me désigne Patrice, accompagné d’un homme plus jeune que lui (« son fils » présume, je ne sais pourquoi, Patrice), que nous ne nous reverrons plus lors des circuits que nous effectuons sur place, chacun selon orbe, plus ou moins rapide, Patrice d’abord, moi ensuite, puis, plus lente ou consciencieuse, Anne.
Parmi la cinquantaine d’œuvres nécessairement inégales, inégalement intéressantes, qui retiennent mon attention et que je photographie, je note comme malgré moi que sont déclinés, dans les professions de foi les accompagnant, explicitant ou surlignant bavardement leurs intentions, certains mots clés, magiques ou mantras : iels, queer, care — accessoirement engagement, activisme ou écologie —, comme autant de discours édifiant le regardeur possiblement ignorant, médusé ou abusé…
Pour ne pas déformer (ni interpréter plus avant), je reproduis les cartels, en risquant toutefois quelques commentaires.
Pour le premier, je précise que n’ai pas voulu prendre de photographie puisqu’il s’agissait d’une vidéo que j’ai regardée presque entièrement en m’amusant de cette représentation donquichottesque stylisée et drôle inspirée par Monique Wittig, dont j’avais achevé la lecture de l’Opoponax peu de temps auparavant.
Autre provocation réjouissante dans son mauvais goût, cette Polysémiologie Rectale, sous-titrée « my anus is a weapon »
— tandis que m’impressionne ce triptyque géant de Nguyen Quoc, dessiné à la main, en utilisant d'innombrables stylos à bille Bic…
Elise Nguyen Quoc, Faded psychic toxins ~2023, triptyque, stylo à bille sur panneaux de bois, Adagp, Paris, 2024
(Je reproduis enfin le texte de l’installation de Attandi Trawalley, Care as a color, laquelle occupe à elle seule tout un espace aux dimensions d’un gigantesque cube, qui plus est en contrebas de la surface d’exposition — on y accède en descendant un escalier —, installation dont l’effet visuel est également saisissant.)
Attandi Trawalley, Care as a color ~ 2023, installation composée de : Hair by Hadja ~ 2023, vidéo 3' ; And with all the care in the world~2024, tissu coton tendu sur châssis ; Even good things have to die~ 2023, tissu coton suspendu ; Reach out ~ 2023, tissu coton teint ; Seashells ~ 2023, tissu coton teint ; Too little to grab II ~ 2024, bois, cheveux synthétique kanekelon, sachet plastique, bissap ; Start first ~ 2023, bois, cheveux synthétiques kanekelon, sachet plastique, bissap
* * *
Nous nous rejoignons ensuite, alors que Patrice, sorti des lieux dix minutes auparavant, nous attend à l’extérieur.
Le ciel menaçant de pleuvoir, un vent frais soufflant de toute façon, nous nous installons à l’intérieur du café qui fait face à la fontaine.
Anne se montre exaspérante par instants. L’impression qu’elle bride parfois Patrice effleure à nouveau ma pensée. Elle me paraît souvent dans la cage de ses obsessions. Comme la fois précédente, sa logorrhée est telle qu’elle lasse mon écoute.
Il est d’abord beaucoup question de cinéma (les titres des films nous échappent souvent, à elle, à Patrice ou moi), puis, plus longuement, d’abonnements téléphoniques, pris, abandonnés et repris, de portabilité, d’adresse mail (tout cela selon un ordre incertain), en vue de bénéficier des tarifs les plus avantageux possible.
Anne évoque aussi le média indépendant Reporterre, sujet autrement intéressant, et nous peinons à retrouver le prénom — Marie ? Marine ? (ce qui écorche un peu la bouche) — de l’actuelle cheffe des écologistes.
J’apprends qu’Emma, enceinte, accouche dans un mois.
— Est-ce la contrariété d’essuyer tant de paroles ?, je parle plutôt mal. —
L’heure de se quitter approchant, un débat assez vif s’ouvre entre eux sur le moyen de rentrer — en marchant ou en prenant le métro — et Patrice finalement s’incline : ils rentreront à pied.
Devant la bouche de métro, Anne s’enquiert in extremis de nouvelles des proches autour de moi, et notamment aussi de Pascal et de F. Elle et Patrice ne les ont pas vus depuis bien plus longtemps que moi. Je leur dis donc que le frère de Pascal, comme J.-M., a un cancer de la vessie, qu’il est promis à mourir bientôt.
* * *
J’ai trouvé plutôt pénibles les moments passés avec eux — et me reproche d’éprouver ces impressions. Quoi qu’il en soit de ce sentiment, il me semble que c’est avec une certaine mauvaise grâce qu’Anne (ou suis-je légèrement paranoïde ?) a accepté notre rendez-vous, et il n’en demeure pas moins vrai que mes relations avec Patrice nolens volens se trouvent dorénavant altérées…