1662 - Voyage à Metz (récidive), 2
Voyage à Metz
(récidive)
(2)
20 avril 2024 [suite]
Après-midi
Nous déjeunons dans la brasserie où nous étions allés Judith, N., W. et moi au moment de l’exposition Leiris & Co.
La salade que nous avons commandée est copieuse et bonne.
Nous retournons au troisième niveau du Centre pour écouter in extenso les propos de Masson sur les livres qui ont exercé une influence durable sur une éducation littéraire et philosophique et re-parcourons les lieux.
Puis nous dégrossissons l’exposition sur Lacan et l’art avant la conférence pour laquelle M.-C. nous a inscrits.
Pablo Picasso (1881-1973), Tête de femme n°3 Portrait de Dora Maar, Janvier-juin 1939, Aquatinte et grattoir sur cuivre, VII° état, 31,5 x 23,8 cm, Musée national Picasso-Paris
Velazquez, Diego Rodriguez de Silva et atelier, Portrait de l'infante Marguerite Thérèse, 1654, Paris, Musée du Louvre
Si moi aussi « je laisse de côté l’Origine du Monde de Gustave Courbet », vu et revu d’une exposition l’autre, le sexe de la dame devenu exsangue d’être ainsi trop exposé, je m’intéresse en revanche au cache(-sexe) commandé par Lacan à Masson, complétant utilement mon tableau de chasse photographique de la matinée. Et, contrairement à Pascal Quignard1, je trouve élégantes ces courbes qui enveloppent et désignent la vulve de Constance Quéniaux.
André Masson (1896-1987), Panneau-masque de L'Origine du monde, 1955, Huile sur bois, 45,5 x 54,5 cm, Collection particulière
Alberto Giacometti (1901-1966), Pointe à l'œil, 1931-1932, Bois, fer peint en noir, 12,7 x 58,5 × 29,5 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Hans Bellmer (All, 1902 - Fr, 1975), Étude préparatoire pour Portrait d'Unica avec l'œil-sexe, Vers 1961, Stylo-bille et crayon sur papier, 22 x 16,5 cm
Je retrouve la Sainte Lucie de Francisco de Zurbarán, vue durant mon dernier voyage en Bretagne
Francisco de Zurbarán, Sainte Lucie, 1635-1640, Huile sur toile, 115 x 68 cm, Chartres, musée des Beaux-Arts
— et découvre cette œuvre qui fait pendant aux d’autres Voeux d’Annette Messager, vus avec Judith en septembre.
Carol Rama (It, 1918-2015), Appassionata (Marta e i Marchettoni), [Passionnée (Marta et les Marchettoni)], 1939, Technique mixte sur papier, 33 x 28 cm, Milan, Collection particulière
Louise Bourgeois (1911-2010), Fillette (Sweeter Version) [Fillette (Version adoucie)], 1968-1999, Caoutchouc uréthane pigmenté, pièce de suspension, 59,7 x 26,7 x 19,7 cm, New York, The Easton Foundation
Hans Bellmer (1902 - 1975), Portrait du Père, 1955, Dessins, 20 x 17 et 26 x 10 cm, Collection particulière
Outre les œuvres sous influence explicitement génitale, je m’amuse souvent de la réception critique, frondeuse ou ironique du psychanalyste, me rappelant les notes de Roland Barthes sur les séances d’analyse avec Jacques Lacan (parcourues récemment à la Bibliothèque Nationale-Richelieu) le taxant de « charlatan ». Entre autres facéties, une œuvre dénonce « Lacan Coyote », une autre représente un flacon de parfum intitulé « Séminaire n°5 ».
La conférence en forme de visite guidée ensuite s’avère décevante. La touffeur due à l’affluence à l’intérieur du cabinet reconstitué de Lacan dans une des salles où se reflète sur la vitre qui le protège qui•e se veut se mirer par projection (on peut même se coucher sur un divan selon les modalités de la cure pour qui•e veut s’étendre) — la touffeur s’avère bientôt insupportable.
Nous apprenons que le Narcisse de Caravage a quitté l’exposition une semaine auparavant, à notre immense dam évidemment…
Pendant les considérations plus ou moins oiseuses de la conférencière, je photographie cette page manuscrite du Glossaire : j’y serre mes gloses… de Leiris, tout en songeant à Aymeric du fait des consignes presque vétilleuses concernant le corps et la police de caractère données par l’écrivain.
Je m’amuse au passage de cet autre jeu sur les signifiant et signifié
Jean Dupuy (1925-2021), Origine d'un genre, 1980/2013, Tubes en néon, fils, transformateur et Plexiglas, 19 x 36 x 4 cm Paris, galerie Loevenbruck
— retrouve les Sisters of Perpetual Indulgence de Jean-Baptiste Carhaix dont les clichés de la série Extase, sous vitres, s’avèrent impossibles à photographier et contemple la galerie de dessins sous influence des enfants et des fées assemblée par Edie Dubien…
L’exposition s’achève d’ailleurs par le i.el et les transidentités, un peu comme si tout devait ou ne pouvait que s’achever ou subsumer ainsi. M.-C. affirme que Lacan n’est pas pour rien dans la prise de conscience des chevauchements (pour le dire ainsi !) des rôles et des identités sexuels.
* * *
Enfin, nous nous rendons dans les salles de la Galerie 1 consacrées à « La répétition ». Je découvrirai fortuitement qu’en fait M.-C. avait vu l’exposition en même temps que moi au moment où nous avions parcouru celle consacrée à SuzanneValandon : pour autant, elle semble n’en avoir pas conservé le moindre souvenir…
Pour moi, je reprends ou complète des photographies prises auparavant.
Simon Hantaï (1922 - 2008), Mariale m.a.3, 1960, Huile sur toile, 293,6 x 209,5 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Simon Hantaï, Peinture (Écriture rose), 1958-1959, Encres de couleur, feuilles d'or sur toile de lin, 2 morceaux cousus, 329,5 x 424,5 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Josef Albers, Affectueux (Hommage au carré) [Affectionate (Homage to the Square)], 1954, Huile sur isorel, 81 x 81 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national
Josef Albers, Hommage au carré [Homage to the Square], 1956, Huile sur Isorel, 61 x 61 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
František Kupka (1871-1957), Le temps passe, 1920-1921, Huile sur toile, 107 x 107 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
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Nous prenons un verre ensuite en attendant l’heure du train.
Nous nous quittons à la gare de **** encore emplis du contentement (nous le disons) que la journée nous a donné.
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1de Pascal Quignard, Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour, 2024, Seuil, “Fiction & Cie”, pp. 72-73 :
Le cache de Masson à Guitrancourt
Je laisse de côté L'Origine du monde de Gustave Courbet. Par parenthèses je ne puis taire la gêne que représente pour moi le fait de savoir que la vulve qui est montrée est celle de Constance Quéniaux, d'en connaître la vie, de pouvoir faire la liste des ballets auxquels elle a participé à l'Opéra de Paris, de connaître en détail les habitudes quotidiennes de l'ambassadeur Halil Sherif Pacha, qui l'aima. Il aima follement Constance. Mon arrière- grand-mère, qui vivait dans le même temps, et qui avait à peu près le même âge, s'appelait elle aussi Constance. Il portait le fez à l'intérieur de son palais. Il sortait dans le monde avec des lunettes bleues. Il convoqua Courbet pour qu'il fît cette image.
C'est Gambetta qui a inventé ce titre, L'Origine du monde. C'est faux, bien sûr. Le sexe de la femme, ce n'est que l'origine de l'homme et de la femme et non pas celle de la terre ni, a fortiori, de l'univers.
Jacques Lacan, de façon très curieuse, fit fabriquer un cache pour cette peinture de 1866 quand il l'acquit en 1955.
Lacan commanda cet écran ou, plus précisément encore, cette toile à double fond — à Masson, qui était l'ami de Sylvia et de Georges Bataille. Jacques Lacan venait d'épouser Sylvia Bataille dans le midi de la France, au Tholonet, avec pour témoins, d'ailleurs, Rose et André Masson eux-mêmes.
Ils se retrouvèrent tous les quatre à Guitrancourt où ils accrochèrent ce cache au-dessus de la toile de Gustave Courbet.
Cette toile à double fond de Masson n'est pas sa plus belle œuvre. Elle est même médiocre mais, ce qui est curieux, c'est qu'elle montre tellement ce qu'elle cache. Il est difficile de comprendre ce qui a motivé Jacques Lacan quand il a commandé à son ami, à son témoin de mariage, ce masque qui masque si peu.
Peut-être a-t-il voulu substituer une représentation un peu abstraite et symbolique à une représentation nettement naturaliste.
C'est le « d'après nature », c'est le « sur le vif », c'est le réel qui le met mal à l'aise.
J'y vois trois degrés : d'abord sa fragmentation, ensuite son effet de réel, enfin sa source.
Mais dans ce cas, s'il éprouve un tel embarras, si cet embarras le pousse à enrober cette œuvre, à la dérober au regard, pourquoi Lacan a-t-il acheté cette peinture ?
Il y a une détresse — une originaire détresse — à regarder le visage de Mademoiselle Léona Delcourt, ses longues boucles d'oreilles, ses lèvres ourlées et peintes, ses beaux seins lourds, son décolleté, et de songer à la Nadja de Breton.
Il en va de même pour Constance Quéniaux ouvrant ses cuisses « en direct » devant Gustave Courbet qui l'observe longuement, la palette à la main, et qui peint ce que son amant recherche, fouille, déplie, désire, adore.