1664 - De l’Âge : d’un jeune homme l’autre
De l’Âge :
d’un jeune homme
l’autre
24 avril 2024
Alors que je cherche les passages de mon “blog” rendant compte de la prière khmer pour les défunts que, dans le jardin de J.-M., après la crémation, Sothy avait chantée, je retrouve la relation en juin 2013 (quelques jours après le décès de mon ami) d’un fuck vraiment agréable avec un dénommé Jérémie. Ce que j’en lis me trouve d’abord amnésique : qui peut être ce Jérémie ?
Cependant, la mémoire me revient à mesure : en vérité, il devait s’appeler Jérôme, et, de fait, je retrouve, indexée de son prénom véritable, sa photographie, dont j’ai conservé une capture d’écran. J’y vois un jeune homme brun, vêtu d’un jean et d’une chemise rouge rubis, grattant une guitare sèche connectée à un petit amplificateur posé près de lui, avec un faux air de Maxime Leforestier mâtiné un peu de Michel Jonasz (à moins ce que soit l’inverse, l’instrument posée sur sa cuisse invitant au rapprochement avec le premier).
Demeure encore cet écho d’une conversation ultérieure, que je retrouve dans le ventre de mon ancien ordinateur :
Mais à peine sont-elles nées/ Qu’elles sont déjà condamnées... [chanson connue]
Jérémie, vingt ans. Toujours la même antienne, toujours ce syndrome des jeunes gens. C’est pourquoi parmi les Jean-Paul, Patrice, Jean-François, Christian… et autres prénoms rencontrés ces temps derniers — ma mémoire flanche déjà un peu —, une petite cristallisation s’est faite... qui a reçu très vite, sans aucune méchanceté de sa part, un cinglant démenti !
MOI - [12. Jun. 2013 - 18:57] — […] [T]u vas bien, Jérémie ?
LUI - [12. Jun. 2013 - 19:02] — Bonsoir Monsieur !!! Oui ca va bien, je vais retrouver des amis ce soir ca va etre bien :) et toi ca va ?
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:04] — oui, merci, ça va ! (tu es déjà déconnecté — cela n'empêche pas de te souhaiter une bonne soirée !)
LUI - [12. Jun. 2013 - 19:05] — Je suis sur mon telephone c pour ca. Mais je recois un message quand j'en ai un sur le site. Enfin quand ca veux bien :) Merci bien en tous cas !
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:12] — ^^ (et moi je n'ai plus de téléphone : je me suis acheté un mobile pour remplacer le tacot dont je t'ai parlé : mon opérateur téléphonique m'a envoyé une carte "microSim", mais en omettant de désactiver la précédente : résultat, plus rien ne fonctionne ! — hormis Internet et le fixe, heureusement ! Bref, pas de SMS pour moi avant quelques jours !) :(
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:14] — PS - et je ne serai donc pas tout à fait empêché de t'inviter à dîner un de ces quatre ! :))
LUI - [12. Jun. 2013 - 19:14] — Ca m'ai deja arrivé de perdre mon telephone pendant 1 semaine... C horrible car au moment la je devais faire un projet noté... Du coup la communication fut tres réduite ! J'y penserais merci ;)
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:17] — à quoi penseras-tu ?? à te laisser inviter à dîner ? ^^
LUI - [12. Jun. 2013 - 19:19] — Oui. Mais pour le moment je suis entrain de me laisser emporté par une vague d'espoir. Un jeune de 22 ans a l'aire de vouloir qqch de serieux et me plais. Alors bon, jvais esperer ^^
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:22] — de fait, je combats à armes inégales avec trente ans de plus ! ^^ mais, plus sérieusement, on peut se revoir dans tous les cas — et selon des modalités variables ! :)
LUI - [12. Jun. 2013 - 19:23] — Adorable ce [Romain] !
MOI - [12. Jun. 2013 - 19:26] — lol tu en doutais ? tu es plutôt pas mal dans ton genre également ! :) bref, tiens-moi au courant de tes disponibilités…
Il s’est montré affectueux, prévenant. Et il aura considérablement durant quelques heures allégé mon chagrin.
Pourquoi le contact n’a-t-il pas été maintenu ? Je fais cette hypothèse : « Jérémie » ayant bel et bien trouvé le corps frère auquel il aspirait aurait supprimé son profil sur le site de rencontres où lui et moi étaient alors inscrits… Car à peine sont-elles nées…
2 mai [carnet de santé]
Chaque jour le mouchard électronique m’informe de la qualité — médiocre, bonne, excellente — de mon sommeil.
En l’absence d’Ennio, depuis une semaine, je dors sans bouchons d’oreille. Luxe insigne.
J’apprends, dans des opérations de serrage, des manipulations délicates nécessitant la pliure, à faire jouer mon pouce de la main droite pour éviter le plus possible la douleur due à l’arthrose.
5 mai 2024
Une histoire de famille — voire : un épisode demeuré jusqu’alors secret — que conte incidemment (?) mon père lors du déjeuner dominical : mon arrière-grand-père Théodore aurait placé le cadet de ses fils, en raison d’une adolescence turbulente (encore le motif n’est-il pas tout à fait clair), comme enfant de troupe, à une époque où les « pères sévères » avaient (presque ?) tous les droits.
Or, le fils est mort quelques années plus tard à peine, en 1954 (?), « tué en Indochine » selon le roman familial, verbatim apposé au verso d’un de ses portraits photographiques — épisode certes connu, quand le reste m’avait été pourtant tu jusqu’alors. Je n’ai jamais connu ce grand-oncle dont m’a toujours impressionné la beauté des traits et la pureté lointaine de leur expression, et je n’ai pu m’empêcher de protester contre une destinée broyée par une volonté paternelle criminelle.
Romancier, je m’emparerais, rageur, de l’histoire d’Albert afin de rédimer une existence si odieusement interrompue.
11 mai 2024
J’aime beaucoup le physique de ce jeune homme qui se tient à la caisse de la supérette, non pas celle à proximité de chez moi mais celle à quelque quatre cents mètres, et je m’y rends volontiers en espérant que c’est lui me servira.
Le jeune homme n’est pas beau selon les canons les usuels, mais sa sveltesse, sa relative petitesse, ses geste déliés, ses traits levantins, son amabilité, son sourire surtout, me séduisent (donc) beaucoup.
Ce matin, c’est lui qui sert. Nous échangeons quelques phrases alors que je m’apprête à payer.
Au moment de quitter les lieux, je me souviens tout à coup avoir oublié de prendre des mouchoirs.
Entre-temps, il a quitté son comptoir et s’emploie à vider des cartons afin d’approvisionner les rayons.
Voyant que des clients attendent, il saute gracieusement au-dessus du comptoir et m’avisant : « Alors, il a oublié quelque chose, le petit monsieur ? » lance-t-il, d’un ton tout aussi guilleret que sa cabriole.
La formule telle que je la reçois me paraît aussi attentatoire que vexatoire, l’âge conjugué à ma petite taille y ayant sans doute présidé ; et je la reçois comme une gifle qui m’écarte de son monde à jamais, attestant l’insolence inconsciente de sa jeunesse à l’égard d’un troisième âge — le jeune homme que jadis j'étais avait bien en partage le même absence d'imagination ou de représentation que lui ¡ — inenvisageable de toutes les façons…