1672 - Si bien que… ? (98)
2 juillet 2024 [suite]
Judith a pris rendez-vous pour visiter trois studios au même endroit — dont les deux que j’ai déjà vus le dimanche précédent. Fort de cette première visite, je me contente de l’accompagner jusqu’au pied de l’immeuble et la laisse visiter seule, tandis que rejoins Paul et T. dans un café de la place de la gare, tout occupés à commenter les (non)désistements des candidats à la députation entre les deux tours des élections législatives.
Je reçois bientôt un appel téléphonique de Judith, égarée dans une mauvaise direction. Comprenant où elle se trouve, je vais à sa rencontre.
De retour dans le café, je lui présente les « deux drôles » avec qui je suis.
Judith alors entretient la conversation, mais, me semble-t-il, avec moins d’entrain qu’à l’accoutumée.
Nous dînons ensuite, elle et moi, dans le restaurant où officie désormais Dimitri. Pour faire sourire Dimitri, je dis avoir constaté un certain retour du port du chignon chez les jeunes filles du moment. (Il avait raconté, avec la verve qui lui est coutumière, qu’un jour, en plein cours, je me serais interrompu afin de compter combien, parmi l’assistance féminine de cette classe littéraire où il était un des rares garçons, arboraient cette protubérance capillaire roulée en boule, moins à la manière des danseuses classiques pour dégager la nuque alors que portée fièrement — crânement allais-je écrire — au haut de la tête. J’avais oublié ce comptage intempestif, moi qui pratiquais volontiers la digression afin de distraire et relancer l’attention des élèves, mais me souvenais bien de cette floraison surabondante des chignons, laquelle avait perduré un an encore puisque Paul avait noté le fait, de même que le port de la jupe, et que nous nous en amusions souvent…)
Pour faire sourire Judith cette fois, Dimitri s’étant éloigné, je raconte, comment, nouvel élève survenu en janvier après une réorientation tardive, Dimitri, pour se faire connaître comme gay tant, j’imagine, auprès des filles groupées autour de lui qu’aux oreilles de l’enseignant sorti un instant dans le couloir lors d’un intercours, avait clamé qu’elles n’étaient que des « voleuses de mecs ». La plaisanterie avait fait mouche de toutes les façons parmi l’auditoire, élèves — certaines peut-être sensibles au charme de Dimitri, plutôt beau garçon, et pour lors averties du peu de chances qu’elles avaient auprès de lui — comme professeur, et tous, dépitées et ravi(es), la chose entendue, savaient dorénavant à qui ils avaient affaire… Parmi tous les élèves que j’aurais pu avoir, je ne connais que Dimitri pour s’être livré à pareil coming out en milieu scolaire…)
Nous parlons de choses et d’autres. Comme je lui demande — par politesse plus que par véritable intérêt — si William va bien, elle se lance dans un développement qui campe un personnage singulier, qui s’attache à dérober aux autres une pleine et entière connaissance. Ainsi, on ne lui connaît aucune vie sexuelle avérée, voire : William pourrait être vierge encore (!). Le contraire de Dimitri en quelque sorte.
Ce n’est que par recoupements, Judith s’est aperçue qu’elle avait affaire à un mythomane patenté. Durant des années, il a entretenu la légende à laquelle elle a cru d’abord d’une liaison secrète avec une comtesse — ou s’agissait-il, mieux encore, d’une duchesse ? j’avoue avoir oublié le titre de l’ectoplasme titré — entichée de lui, mais empêchée de vivre pleinement sa passion du fait des conventions de son milieu… Lui, vivant avec sa mère, se serait satisfait de ce commerce à distance… Cette cohabitation, caricaturale, si ce n’est topique de certains homosexuels, aurait pu conduire à penser que William couvrait ainsi des relations inavouées, sans que jamais pour autant n’ait transparu aucun fait en ce sens — ni d’ailleurs en un autre. Pour ma part, j’ai peine à imaginer une existence “asexuelle” de bout en bout, car, si j’imagine possible de faire jouer à plein les ressorts de la sublimation pour s’assouvir de phantasmes les plus romanesques, il faut à coup sûr que, même furtivement, même mal, le corps ait sa part en quelque façon, et la fréquentation de prostitué(e)s reste toujours un recours possible — sinon probable, estimé-je à part moi…
Le repas est bon, nous sommes servis assez vite, et il n’est pas 20 h 30 quand nous quittons le restaurant. Judith décline ma proposition de se rendre jusqu’à la Place Stanislas, pourtant toute proche.
D’ailleurs, elle se couche presque aussitôt que rentrée.
Mercredi 3
J’ai cédé ma chambre à Judith et songe bientôt que je n’aurais pas dû puisque, malgré les bouchons d’oreille, Angelo me réveille à divers reprises. A quatre heures du matin, il n’est pas encore couché.
Je dors très peu (en somme, allais-je écrire !), la nuit traversée de cauchemars nourris de RN.
Matin
La chaudière, qui avait lancé des signes avant-coureurs en décembre puis, par deux fois dans les jours qui ont précédé, d’un dérèglement, après avoir grimpé jusqu’à des températures voisinant l’ébullition, déclare forfait et se coupe d’elle-même au beau milieu de la douche que prend Judith. L’eau étant devenue froide, elle est bientôt réduite à une « toilette de chat » et doit abréger ses ablutions.
Je la raccompagne jusque sur le quai de la gare en milieu de matinée.
Après-midi
La propriétaire de l’Hôtel de **** a donné son accord à Judith pour la location de son studio.
5 juillet
Comme pour se faire pardonner de la fois où il m’avait interpellé d’un « mon petit monsieur » qui m’avait fortement déplu, Mecton (surnommons-le ainsi), à qui je m’adresse pour trouver quelque article dans le magasin où il travaille, fait l’éloge de mes lunettes de soleil : « La classe ! Dallas ! », lance-t-il — à quoi je proteste que j’ai oublié tout bonnement de les ôter, la politesse commandant de retirer des lunettes foncées lorsqu’on s’adresse à un interlocuteur, qui plus est à l’intérieur. Et, vissant son regard dans ses yeux, j’ajoute : « Parce que c’est important, le regard !… » Et lui d’en convenir, en une concaténation de formules et postures éculées. Parmi toutes, son compliment voisine la stupidité, et contribue à disqualifier Mecton de nouveau… Je m’amuse de l’échange, cependant, et lui pardonne incontinent ¡
* * *
Judith me fait parvenir une vidéo réalisée par Lucien sur un texte de Léo Ferré dont elle m’avait parlé la veille, jaculation verbale plutôt réjouissante dont j’ignorais l’existence jusqu’alors. J’accuse réception de l’objet filmique, hasarde un commentaire élogieux argumenté en demandant si Lucien a porté à la connaissance de Mathieu Ferré l’existence de son travail.
Nous avons un assez long téléphonage, Khadija et moi. Elle se dit très contente d’être en vacances. Je parle de venir quelques jours dans les Ardennes.
6 juillet
Judith se propose de venir à Nancy avec N. la dernière semaine d’août (je ne sais pas si ce sera avec ou sans Lucien…) pour occuper le studio — puisque le bail débutera au début du mois — et approfondir leur connaissance du Grand-Est.
7 juillet
Je réponds en différé à son courriel — et termine par : « Bon début de dimanche d’élections législatives, en espérant que l’ébranlement (pour le dire ainsi…) sera moindre que redouté. »
20 heures
L’ébranlement s’est éloigné. Soulagement immense. Même si rien ne paraît réglé pour autant et si la suite ne laisse pas d’inquiéter.