1700 - Si au moins… ça pouvait ressembler… à l'Italie (2)
Si au moins…
ça pouvait ressembler…
à l’Italie !
(récidive)
2
25 septembre [suite]
Je me rends au musée Jacquemart-André, qui a rouvert, pour voir les Chefs d’œuvre de la collection Borghese. Puisque les autres musées dont m’intéresse de parcourir les expositions sont fermés le mardi, que Norbert travaille le mardi et ne pouvait accompagner, j’ai réservé ma place sans tenir compte de Judith ni de lui, qui n’ont somme toute guère besoin de moi et y iront plus tard ensemble.
C’est en quelque sorte un avant-goût puissant de l’Italie qui m’est administré dans ces salles — dont les fonds tapissés, quelquefois envahissants, parasitent néanmoins de par leur luxuriance le regard. La surface d’exposition n’a pas augmenté par ailleurs, tant et si bien que l’on processionne devant les toiles en attendant que se débouchent horizon ou hauteur de vue pour admirer le Caravage (il faut tricher pour en prendre un cliché sans reflet indiscret de la vitre, en outre)
Michelangelo Merisi, dit Caravage (1571-1610), Garçon à la corbeille de fruits, vers 1596, Huile sur toile
— ou ce Veronese dont me paraissent insignes le cadrage et la scénographie, le Christ en amorce à gauche et en bas du tableau.
Paolo Caliari, dit Véronèse (1528-1588), La Prédication de saint Jean-Baptiste, vers 1566-1570, Huile sur toile
Gian Lorenzo Bernini, dit Bernin (1598-1680), Portrait d'un jeune garçon, vers 1623-1624, Huile sur toile
Antonello di Antonio, dit Antonello da Messina (1430-1479), Portrait d'homme, vers 1476, Tempera et huile sur panneau
Lorenzo Lotto, Vierge à l'Enfant avec les saints Ignace d'Antioche (?) et Onuphre, 1508, Huile sur panneau
Andrea d'Agnolo, dit Andrea del Sarto (1486-1531), Vierge à l'Enfant avec saint Jean-Baptiste enfant, 1517-1518, Huile sur panneau
Alessandro Filipepi, dit Sandro Botticelli et atelier (vers 1445-1510), Vierge à l'Enfant avec saint Jean-Baptiste enfant et six anges, vers 1488-1490, Tempera sur panneau
Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520), la Dame à la licorne, vers 1506, Huile sur toile appliquée sur panneau
Tiziano Vecellio, dit Titien (vers 1485-1576), la Flagellation du Christ, vers 1568, Huile sur toile
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certain d’avoir jamais pris un tel bain de foule dans ces murs. Heureusement, comme la fin d’après-midi s’amorce, lors du second tour que j’effectue, le flot des visiteurs s’est quelque peu tari, ce qui permet de plus amples coudées pour ma rapine photographique, ainsi que pour mon regard sur les œuvres.
Et puis. J'effectue quelques coupes claires à travers le fonds permanent du musée pour d’énièmes captures qui en améliorent de précédentes…
Donatello (vers 1386-1466), Deux spiritelli (putti), Bronze, Institut de France, Musée Jacquemart-André, Paris
L'Enlèvement de Ganymède, Manufacture de Carlo Ginori, Porcelaine, Vers 1745, Florence, XVIIIe siècle
Soirée
Je reçois un message d’Angelo : à la suite du dégât des eaux qu’il a occasionné (ai-je raconté cela ? je n’en suis pas sûr), l’ami de la famille referait toute la salle de bains. Il parle de repeindre tout en blanc. Je propose des tons clairs, neutres, en précisant qu’il faudrait éclater les écailles des murs, enduire par-dessus ensuite et surtout recourir à une peinture pour cuisine ou salle de bain.
Il commence à pleuvoir. Dans ce pub de la rue de la Roquette où je me réfugie et bois une pinte de bière, Luis et Ella chantent — un peu fort — Chick to chick.
Un petit Brabançon — dont je reconnais le pedigree à cause de la chienne de ma sœur — me darde de son regard insistant avant de me coucher à mes pieds.
Dans le restaurant où j’ai réservé, sur la table ronde réservée à l’entrée, sont allumées des bougies. Je m’amuse de ce détail : il est vrai que j’ai demandé « une table à l’écart, propice aux conversations intimes » afin que nous soyons installés au calme. Une tablée de neuf jeunes gens non loin viendra troubler la quiétude relative du lieu, sans pour autant faire exagérément de bruit.
François, cette fois, est à l’heure.
Je passe deux heures avec lui — un peu plus, en l'espèce, que d'ordinaire.
Il s’est découvert du diabète. Il s’est mis, peut-être définitivement dorénavant, à un régime sans alcool, sans sucre et, plus généralement, sans glucides. Il déplore de ne plus pouvoir manger de pain blanc, se plaint de ne pas aimer le pain complet. Il boira son café sans sucre en fin de dîne.
Comme invariablement, il me parle de ses filles, l’une qui rentrera sans doute bientôt d’Amérique du Sud, l’autre, qui aura fini sa mission humanitaire en Asie ; mais lui — ce qui le chagrine —, ne paraît pas certain de les voir davantage.
Comme il n’aime pas l’appartement de son frère, il ira à l’hôtel pour le Festival de jazz de Nancy où il doit se rendre prochainement.
Je l’invite à venir une fois prochaine chez moi. Il dit alors être un ours. Je le rassure : l’appartement étant suffisamment grand, je lui laisserai sa pleine autonomie.
Il touche désormais une partie de sa pension, mais continue son activité “en free lance” auprès de celui qui ces temps derniers représentait son principal employeur. Il a vécu une « année horrible », précise-t-il, ne décrochant que peu de contrats. Mais il est dorénavant plus à l’aise au plan pécuniaire que jamais. (Je note au passage qu’il ne parle plus de passer sa retraite à ****.)
Il se déclare un « homme d’habitudes ». Je souris à ce propos : il semble n’avoir pas conscience qu’il m’a livré très souvent lesquelles.
Ainsi, en réponse à ma question, il confirme ne plus lire de romans, seulement des essais, historiques pour la plupart.
Il vitupère à diverses reprises contre la vieillesse. Je réponds alors que si, certes, la jeunesse est enviable en tant que telle, je ne voudrais pour autant être confronté à toutes les épreuves qui attendent les jeunes gens, le sort que leur réserve une planète de moins en moins habitable, mais tout aussi bien le parcours de vie semé d’embûches qui les attend indépendamment de l’époque, même si je crois en l’occurrence que bien des obstacles se sont accumulés pour eux.
Nous avons commandé les mêmes plats et trouvons notre repas bon. Les prix, en outre, s’avèrent corrects (le cocktail sans alcool à dix euros qu’avait commandé François m’avait fait craindre que soient onéreux les verres de vin…).
Nous cheminons ensemble jusque l’entrée de la ligne 5 sur la Place de la Bastille et je poursuis seul jusque Saint-Paul pour attraper la ligne 1 et rentrer chez Norbert et Judith.