1696 - Voyage dans l'Yonne (1)
Voyage dans l'Yonne
(Work in progress)
(1)
Samedi 14 septembre 2024
Pascal et F. m’ont invité de longue date à célébrer les soixante ans de F.
Je n’ai pas voulu me dérober. L’envie ne m’en manquait pas, pourtant.
Je quitte Troyes — j’avais mis à profit mon voyage pour mener cette escapade en amont — et rallie T*** par des chemins de traverse que me désigne le GPS.
De fait, je ne suis jamais passé par ces routes secondaires, que des stops inopinés interrompent dans les rues principales des villages empruntées. Sans doute de jeunes fous des volants ont-ils franchi là des carrefours qui auront abrégé nos jours…
Je n’ai pas voulu me dérober. Que dire cependant de pareils moments, sinon qu’ils confirment que je n’aime guère devoir « faire la fête », et je pèse ces mots quant à l’expression consacrée ? Je n’aime guère devoir feindre la gaieté ni le simple enjouement ; d’ailleurs, tout en moi y renâcle, même si je n’en veux concurremment de ne pas savoir donner le change en pareille circonstance.
(Tristement d’ailleurs aussi, les événements se chargeront d’apporter un démenti cinglant au mitan des festivités à toute joie durable et siffleront funestement une fin de partie…)
Quatre-vingt-sept personnes ont été invitées, dont seule manquera une finalement à l’appel — mais pas le mort, qui, lui, se sera mis en tiers.
Quand j’arrive le soir à plus de 19 heures je suis suivi par une voiture à l’intérieur de laquelle il me semble reconnaître W. C’est elle, en effet. Je tourne un peu dans le village avant de pouvoir me garer, revenant à mon point de départ, où j’avise Pascal, qui monte à mes côtés, puis nous guide jusqu’au gîte où nous devons passer la nuit.
Nous nous installons donc, W., Xavier et moi, eux dans une chambre à deux lits d’une personne — W. arguant que ce sera préférable après la soirée avinée qui nous attend —, moi, dans un lit bien trop large pour moi seul. La première chambre est occupée, nous a dit Pascal, par un ami de La Rochelle dont le nom ne m’évoque rien.
Nous nous demandons depuis combien de temps, W. et moi, nous ne nous sommes pas vus, sans songer que la dernière occasion pourrait remonter à la crémation de J.-M.
Nous partons ensuite ensemble rejoindre l’assistance, servie dehors, chacun éprouvant la fraîcheur vespérale et la commentant.
Je suis content de retrouver Cindy et Shun — surtout lui, que je ne reconnais pas immédiatement du fait de ses très longs cheveux — Shun toujours aussi chaleureux, toujours endiablant, malgré des fils d’argent diamantant sa chevelure de cette texture propre aux asiatiques, lisse et noire, malgré l’ébauche de ventre qui lui point. Il me le dira bientôt par soustraction de son âge (quarante-six ans) et de la date de leur rencontre : cela fait onze ans qu’il a emménagé rue P*** à Paris chez Cindy. Je me livre à un rapide calcul mental ; il n’a pas pu connaître J.-M., ce qu’il me confirme. Il se souvient de mon premier séjour dans l’appartement de F. et Pascal lorsque je m’étais enquis du mot de passe de leur “box” pour pouvoir me connecter à Internet.
Enfin, après quelques apéritifs déjà bus — en prévision du repas, je tâche néanmoins de modérer ma consommation d’alcool —, nous atteignons la salle où est disposée une immense table en U, chacun se retrouvant malgré tout serré en dépit des dimensions de la pièce.
Une grande femme m’identifie bientôt, qui me dit être une amie de Pascal avec qui elle avait fait ses études pour devenir infirmière et m’avoir connu quelque quarante ans plus tôt (si son prénom me dit immédiatement quelque chose, son visage pourtant ne me rappelle rien). Tout cela, quoique prononcé sur un ton amène, grince un peu…
Autour de la table, chacun cherche son nom. Une septuagénaire est en train de déplacer le carton qui arbore le mien (complété d’une initiale, pour sans doute me distinguer d’un homonyme) afin de pouvoir se rapprocher de son clan ; or, ayant trouvé ma place auparavant, j’ai posé sur la chaise veste et gibecière, et, comprenant la situation mais comme malgré elle, elle suspend son geste en comprenant que je me suis déjà installé.
De fait, je suis, à son instar, placé au milieu de personnes que je ne connais ni des lèvres ni des dents selon la plaisanterie qu’aimait à faire J.-M. D’être éloigné de W. ou de Shun, au vrai, ne me ravit pas plus que la dame, et je me demande comment F. et Pascal ont conçu leur plan de table.
Heureusement, le repas commence bientôt, les nourritures emportant le souci de paraître — ou tout à rebours de s’effacer — en accomplissant le travail des mâchoires.
Pascal et F. circulent. Et Pascal m’explique qu’ils ont annulé le séjour qu’ils avaient prévu à Naples, en prévision du décès, qu’ils estiment imminent, de son frère — raison pour laquelle il m’avait également enjoint de prendre ma voiture, au cas où ils annuleraient la fête au dernier moment, toutes choses qu’il m’avait dites au téléphone deux semaines plus tôt.
* * *
Le repas est interrompu par un trou normand, durant lequel l’on sert du ratafia aux invités, boisson que pour ma part je n’avais pas bue depuis les cinquante ans de Pascal, treize ans auparavant.
On tire alors un feu d’artifice. Il est 23 heures 10, et je n’envie pas parmi les habitants de ce paisible village ceux qui, peut-être, ont été dérangés dans leur sommeil. Je me souviens alors de la fois — autre occasion d’un feu artifice — pour les cinquante ans de F. ainsi que leur mariage, Pascal et lui, ce qui me fournit, comme malgré moi, un nouveau repère dans le temps : ce devait être la dernière fois que j’ai vu W. et non pas au moment du décès de J.-M., survenu un an plus tôt. [En fait, la réponse à cette interrogation était contenue dans ce journal, puisque j’ai consigné à la date du dimanche 19 avril 2015 notre dernière rencontre, laquelle ne datait pas de septembre 2014…]
Commencent ensuite les danses, bal d’ailleurs ouvert par une chanson de Dalida, reconnue et entonnée à tue-tête par nombre d’assistants, “Laissez-moi danser”. Dommage, en l’occurrence, que ce soit sur une musique bien trop forte qui tympannise les oreilles. W. me demande alors si j’aime toujours assez peu danser, question plus rhétorique que véritable et dont elle ne doute pas de la réponse, en se glissant bientôt au sein de cette piste improvisée.
(Elle-même me réveillera quand elle rentrera à potron-minet puisque ma montre indiquera dépassé minuit de 7 heures 7 très exactement…)
* * *
Le fromage, puis le dessert sont servis bien après minuit, ce dernier accompagné d’une flûte d’un vin effervescent dont est assez réussie la « prise de mousse », au point que je crois à un champagne sur le moment.
Cindy se plaint auprès de Shun, qui a entamé une aimable causette avec moi, qu’il est tard, qu’elle va se coucher bientôt, ce à quoi elle ne tarde guère en effet.
Et, une demi-heure plus tard, je décide de suivre son exemple, prenant congé de quelques personnes auprès de moi.
W. et l’amie infirmière de Pascal me poussent à demander la serviette de bain que je n’ai pas prise sur la foi même de Pascal, qui m’avait dit que le gîte m’en fournirait une, ainsi qu’un gant de toilette.
Et je m’achemine jusque chez lui, enlacé par Shun, qui pèse doucement de ses membres (bras et hanche) sur Pascal et moi — sa chaleur m’est très agréable —, afin que me soit fourni le linge nécessaire à la douche du lendemain. Je suis alors immédiatement consolé d’avoir trouvé ennuyeuse et longue la soirée — sans songer à mal ni même à bien, imbécile que je suis, de cet appui endiablant sur ma personne.
(à suivre)