1158 - Carnets d'un confiné (64)

Publié le par 1rΩm1

 

 

CARNETS d’un CONFINÉ

 

64

 

[Journal pas toujours extime]

 

(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)

 

17 mai

Dimanche catastrophal.

 

Matin

Amélie a fait appel à des énergies volontaires pour rédiger un texte. Je ne peux que me sentir concerné. Nous sommes deux à répondre, Stéphanie et moi. Elle a jeté quelques lignes sur un logiciel « collaboratif ». Je corrige deux ou trois détails, en promettant d’y revenir l’après-midi.
Le reste de la matinée se passe à éditer un de mes articles (indexer les œuvres me prend beaucoup de temps) — et à travailler.

 

Après-midi

Je suis invité à déjeuner par mon père.

Ma mère est installée sur un fauteuil en rotin face à la fenêtre, dos tourné, et ne se retourne pas quand j'entre dans la pièce. Je lui demande, comme à une gamine, si elle boude. C’est à peine si elle esquisse un geste en ma direction.
Mon père explique qu’elle n’a pas voulu prendre une douche depuis le début de la semaine. Aussi n’est-elle allée ni se faire coiffer, ni passer le scanner pour lequel mon père avait pris un rendez-vous obtenu bien difficilement en cette période singulière où toute priorité est donnée au coronavirus.
Nous prenons l’apéritif, lui, ma sœur et moi, sans qu’elle nous ait adressé geste ni parole. Mon père a décidé que nous mangerions tous trois, sans elle. Je tente une ouverture : va te laver, habille-toi et rejoins-nous. Elle refuse en proférant quelques mots agressifs. Ma sœur dit qu’elle est « malade » à l’idée de la faire déjeuner à la cuisine. A quoi ma mère rétorque qu’elle ne mangera pas, qu’elle n’a pas faim. Mais mon père a décidé — au moins pour un premier temps — de ne pas céder.
Elle finira, cependant, après avoir mangé à la cuisine — davantage selon mon père que d’ordinaire — par accepter de s’habiller, sans pour autant se laver les dents ni (bien sûr) se doucher. Puis elle s’installera sur le même siège, à l’extérieur, au soleil, sur la terrasse.
Mon père, lui, entend profiter de cette bouderie pour nous faire part de la situation et de ses possibles et probables suites. Il cite le début de la fable de La Fontaine, “Le Laboureur et ses enfants”. Il expose quelque projet immobilier — on se croirait avec Judith ! —, se propose de loger ma sœur dans l’appartement qu’aura quitté bientôt, après un bail d’un an, un locataire, puis entend répartir également — j’ai déjà protesté bien des fois que « l’égalité n’était pas l’équité » — divers biens entre ma sœur et moi. Apparemment, elle et lui en ont déjà discuté, et cette distribution, sans tout à fait m’indisposer, m’agace un peu : je n’ai aucune espèce de défiance envers ma sœur, pense, en effet, que nous nous arrangerions si besoin était, et songe à part moi que ces dispositions ne se vérifieront sans doute d’aucun avenir… Sur ce qui pourrait advenir concernant ma mère, mon père est amer — et désespéré. On le comprend. Cependant, l’absence de solutions nous laisse impuissants, ma sœur et moi. Nous savons bien combien tout cela le mine, mais ne pourrions — ni ne saurions — nous substituer à lui.


Fin d’après-midi

Je travaille à une première version de texte, en fonction des suggestions faites par Stéphanie, que j’amende, élague ou précise.

Claudie appelle. Je musèle un peu ses ardeurs téléphoniques. (Son proviseur entend organiser une pré-rentrée le dernier mercredi du mois de mai.) J’argue que je n’ai pas dîné, que je dois continuer la rédaction entreprise avec les collègues. Je lui propose néanmoins de nous voir, par exemple sur ma terrasse, à l'extérieur (puisqu’elle propose une « bonne bouteille »). En vérité, à l’instar de M.-C., je ne la sens pas tout à fait prête à quitter sa tanière.


Soir et nuit

Je reprends et peaufine en compagnie de Stéphanie dans un premier temps la première version que j’ai proposée d’un texte, que je propose d’être aussi bref que possible, puis avec Amélie une heure plus tard.

Entre-temps, je regarde le début d’un film d’Eugène Green, Toutes les nuits, dont T. m’a prêté une copie. Je dois être singulièrement impressionné par les événements de la journée car cette adaptation de la première version de l’Education sentimentale provoque chez moi une irrépressible hilarité…

1158 - Carnets d'un confiné (64)
Adrien Michaux dans Le Pont des Arts d'Eugène Green

Adrien Michaux dans Le Pont des Arts d'Eugène Green

 

L’échange avec Amélie est agréable, amusant et fructueux. Elle ajoute quelques mots et nous finalisons le texte à près de minuit. Il a, malgré les divers strates une belle unité de ton, et il me paraît complet.
J’en envoie une copie à T., M.-C., Marthe et Paul.

 

Après quoi, je constate — et il y a bien de quoi — qu’il est bien tard.

 

 

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