1576 - Paris, début d'automne (5)
Paris, début d’automne
[récidive]
Journal extime
(27 septembre – 4 octobre 2023)
5
30 septembre
Matin
Les bouchons d’oreille ont empêché que j’entende les voisins. Khadija ; en revanche, a peu dormi — alors même que je ne me rappelle pas m’être réveillé durant la nuit…
Nous faisons quelques courses : Khadija s’est mise en tête de pourvoir F. et Pascal de produits utiles ; je lui montre les stocks accumulés dans la penderie de la chambre, ce qui retient ses ardeurs dans les rayons du magasin.
Elle avait envie de voir l’exposition photographique Paris rive droite/ rive gauche, les bords de la la Seine entre labeur et loisirs, ce pour quoi nous nous mettons ensuite en route. Je me trompe d’abord de direction en sortant du métro à Saint-Germain-des-Prés, mettant la topographie de Paris à l’envers, confondant le nord et sud. Le cap retrouvé, nous descendons la rue de Seine jusqu’à la galerie. Les photographies exposées nous plaisent beaucoup. La fonction testimoniale de ces clichés sans prétention — peu de signatures y sont apposées — n’exclut pas, loin s’en faut, la qualité esthétique des prises de vue. A l’issue de notre visite, Khadija m’offre le catalogue de l’exposition.
Nous déjeunons ensuite dans le Stube où nous sommes allés plusieurs fois, Judith et moi. Deux jeunes gens vraiment jeunes sont assis à nos côtés dans ce lieu plutôt exigu, dont l’un parle assez fort, exposant, tout infatué de lui-même, les 4000 euros que la fonction d’attaché sénatorial lui vaut, inconscient, semble-t-il, de pareil privilège — tout fier de cette rétribution. Une telle inconscience, qui plus affichée à la cantonade, m’attriste un instant.
Après-midi
Nous retrouvons Judith et N. à l’entrée du Musée d’Art moderne. La presse est considérable pour voir les deux cents œuvres et dessins de Nicolas de Staël. Khadija, d’abord réticente, semble baisser la garde à mesure devant les paysages, ces fausses abstractions, de la période où l’artiste, converti à la peinture en plein air, « des couleurs plein les mains à ciel ouvert », peint, au cours de l’année 1952, année particulièrement prolifique, plus de deux cent quarante œuvres… Il est vrai que ces paysages, d’un accès autrement plus plaisant — presque facile à force d'évidence — rapportés aux compositions pleinement abstraites de l’immédiate après-guerre, dominées par une noirceur littérale, se montrent toutes lumineuses, presque heureuses, et constituent sans doute la part la plus abordable, la plus connue de la production de l’artiste.
Marine (Peint sur le motif ), 1952, Huile sur contreplaqué, Collection particulière ; Marine (Peint sur le motif ), 1952, Huile sur contreplaqué entoilé, Collection particulière ; Nuage (Peint sur le motif), 1952, Huile sur carton, Collection particulière
Reste que celle-ci s’avère inégale : certaines toiles du tout début et de la toute fin surtout déçoivent, ce dont font part N. et Judith à la sortie de l’exposition, plus particulièrement à propos de la dernière salle parcourue, en raison d’un retour à un figuratif plus appuyé, lequel paraît courtiser un pittoresque de fait plus conventionnel. Je partage cette (relative) déconvenue — que corrigera plus tard pourtant la galerie des photographies que j’ai prises lorsque je la regarderai plus tard.
Judith propose que nous nous arrêtions un instant sur un banc du Palais Galliera tout juste en face du Musée d’art moderne pour que nous défatiguions nos jambes. Elle retrace à grands traits, avec sa verve coutumière, l’histoire de cette duchesse excentrique.
La terrasse du café du Musée du Quai Branly étant fermée, nous prenons un verre non loin. N. se laisse apprivoiser, me semble-t-il, par Khadija. Cependant, Judith et lui ne s’attardent pas.
Rentrés dans le quartier Oberkampf, nous prenons un autre verre : il est trop tard pour que j’aille, en effet, à la séance de cinéma du film que j’avais envisagé de voir, trop tôt pour le rendez-vous prévu par Khadija avec Coco (j’ai décliné sa proposition de les accompagner, échaudé par la chronique amoureuse de la dernière fois et ne voulant pas de toutes façons me trouver en tiers), et nous prévoyons que je dînerai tranquillement dans l’appartement en en laissant les clés à Khadija.
Soir
Je retrace ces lignes-ci.