599 - DE LA LECTURE [pages choisies, 2]
de Charles Dantzig, Pourquoi lire ?, Editions Grasset & Fasquelle, 2010 :
Lire pour apprendre
On peut lire pour apprendre. C’est un motif très contestable, du moins quand il s’agit de fiction. Demande-t-on à une nature morte de Pieter Claesz de nous enseigner la culture de la tulipe en Hollande au XVIIe siècle ?
(p. 82)
Secrets et mystères
Il y a des lecteurs qui lisent pour découvrir un secret. Hélas, ils le découvrent. Qu’est-ce que c’est, le plus souvent, un secret ? Un mouton de poussière caché derrière une porte. Il est curieux qu’on ne nous révèle jamais de secrets lumineux. C’est comme si on ne le voulait pas. La passion de découvrir des secrets bas est la manie des haineux, au mieux des envieux. Ce goût du bas a peu de résultats, sinon de déchaîner, éventuellement, des massacres collectifs. L’amer amour de ne pas s’aimer qu’éprouvent si souvent les hommes.
(p. 146)
Quand il y a texte et photographie, le mieux est que la photographie ne soit pas de l’illustration, ni le texte, du commentaire. Chacun vit de son côté comme la plage et la mer.
(p. 195)
Quand on lit énormément dans son jeune âge, je crois que c’est pour devenir écrivain et, si ça n’est pas réalisé, le grand lecteur devient un écrivain rentré. Il l’oublie à la longue, continue à lire, et c’est très beau s’il n’est pas amer. J’ai rencontré beaucoup moins de grands lecteurs amers de n’avoir pas écrit que de petits écrivains amers de n’être pas lus.
(p. 200)
Le lecteur est l’héritier
[…] Dans un moment de désœuvrement (ceux où je n’écris pas, où je ne lis pas, où je n’aime pas, où je ne suis pas très estimable), je constatais, avec une espèce de curiosité, que les vrais héritiers des écrivains sont leurs lecteurs.
Je ne parle bien sûr pas des universitaires français qui s’estiment propriétaires de la littérature et considèrent les écrivains comme des usurpateurs ; et, dans des maisons bien grises, ils publient des livres bien plats, compilés par des étudiants en thèse dont ils ont bien sucé les recherches, ne s’intéressant qu’à leur clan, ne donnant de références que de ce clan, et si banals, si dépourvus d’idées et de talent, si accablants d'ennui dès la première ligne lue qu’ils n’ont jamais eu un lecteur spontané, ne se perpétuant que parce qu’ils inscrivent leurs propres livres dans la bibliographie de leur cours, obligeant des étudiants à les lire, qui les haïront donc à moins que, mites rêvant de succéder à des mites, ils ne deviennent les mêmes dès l’âge de vingt ans, sans plus de talent ni d’idées, mais avec le même sens tenace de l’apartheid et de la reproduction. Ces universitaires ne savent pas que l’apartheid éloigne, en effet, […] ni que toute institution exclusive pourrit lentement. Et les écrivains s’en vont à la plage, sifflotant, suivis par leurs lecteurs, sous le regard haineux des mites, bouffies, expirant dans l’ombre. Le premier arrivé gagne une glace à la Woolf !
(pp. 221-222)